Traversée du Golo : Manille-Haiphong
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Nous voilà donc accostant le quai à Haiphong.
Il me semble me souvenir que l’on a mis au poste de manœuvre pendant tout le parcours sur ce canal Cua Cam mais je n’en ai pas parlé dans ma dernière page.
Depuis l’entrée dans ce cours d’eau en plus du signal : « pilote à bord, nous avons hissé dans la mature et comme tout bâtiment en mouvement portuaire le fait son indicatif international, qui sont, pour le Golo, les pavillons alphabétiques F A D C.
A quai il y a donc un LST, et bien vite nous savons que celui-ci est le Cheliff. De notre dizaine de LST que nous ont transmis les américains, c’est celui qui durera le plus longtemps. Et dans ses dernières années il travaillera d’arrache-pied pour le Centre d’Expérimentations du Pacifique ; on le verra même à Tahiti, a quai à côté de ses clônes, le Trieux et autres BDC. Le Cheliff ex LST 874 ne sera retiré du service qu’en 1969, comme l’Odet, du reste.
Or nous accostons à quai dans prolongement de ce LST et, commme je le disais dans la page précédente, il y a à bord un enseigne de vaisseau qui a un appareil photo à la main. Il a tiré plusieurs clichés de notre arrivée et accostage et je vous en livre un ci-dessous.
Je ne me souviens plus si l’on s’est évité afin de mettre bâbord à quai dans le port de Haiphong, il me semble que non, et nous arrivons alors directement à l’accostage, la mer est donc loin sur l’arrière. Si je me trompe, les connaisseurs, et il y en a beaucoup, me le diront, merci d’avance. A ce quai, j’y suis retourné plusieurs fois, bien sûr, mais il y a de la porosité dans ma cervelle et les gens du Golo ne passaient pas leur temps à s’orienter à quai.
Nous accostons, le Golo tangente le quai et sitôt qu’il est possible, le lance-amarre envoie un bout suivi d’une aussière à terre ; des aides, à terre récupèrent l’aussière et la passe autour d’une bitte d’amarrage ; c’est à ce moment même que le bateau est considéré comme à quai et un timonier envoie le pavillon de beaupré, ce qui vient d’être fait dans notre cas. Et l’on distingue bien deux aussières de tournées sur leur bittes respectives.
On remarque aussi les signaux sur les drisses de bâbord ; sur la première : Code H (pilote à bord), sur la suivante notre indicatif international.
L’équipage est au poste de manœuvre et l’on distingue plusieurs personnes. Celui qui se trouve dans la barbette de 40, c’est notre officier en second, le LV Surply, il anime la manœuvre avant ; les LST, il connaît, il est un ancien de la Laita. Un peu plus bas, penché au-dessus de la rambarde, c’est le Maître de manœuvre (le bosco, qui n’est encore que SM, je crois).
A la passerelle, on distingue quelques personnes, cinq, pas plus. Je me trouve parmi elles, comme toujours, mon téléphone sur la tête, aux ordre directs du commandant Lévêque. Les autres sont : l’officier de quart qui termine, le QM timonier, le veilleur.
On distingue bien sur la photo la bosse que nous avons faite à la porte de bâbord, lorsque nous avons heurté, assez fort quand même, le quai de Guam.
Ce n’est pas à Haiphong que nous allons la réparer ( y sera-t-elle un jour ? puisqu’elle fonctionne, pas besoin d’immobiliser le navire) parce que l’on sait déjà quelle sera notre future mission : départ vers Saigon dès que parés, avec un autre chargement.
Pendant la fin de la journée et au cours de la nuit, les service du port enlèveront avec des grues comme celle que nous voyons à droite tout ce qui se trouve sur le pont. Demain nous nous rendrons à un beaching situé au delà d’Haiphong pour y débarquer une partie de ce qui est entreposé dans le hangar. Et puis, nous reviendrons à quai afin d’y embarquer des jeeps neuves qui seront toutes entreposées sur le pont. Alors là, ce fut une mega corvée, l’équipage H24, pas plus bosco que mécanicien ou timonier, par tiers la nuit, à jouer du ridoir, avec repas nuit et jours : des jeeps sur le pont du Golo, nous en avons amarrés 85 ! Avec notre brave officier en second, partout, qui voyait tout, qui encourageait tout le monde ; et qui donnait un repas à minuit et à quatre heures, pour les quittants comme pour les prenants, personne n’aurait essayé de tirer au flanc.
J’irai une fois à terre à Haiphong, pas plus, vu le boulot qu’il y avait à bord. J’ai pu acheter « l’Anglais sans peine » ; oui car au courrier, j’avais déjà une lettre de Dolly Zamora, ça alors ! elle n’était pas seulement une « fille de joie », elle était bien aussi amoureuse, sinon pourquoi m’écrire, nous n’étions pas destinés à nous revoir, et nous ne nous revîmes jamais. Alors j’ai acheté ce bouquin ou je piochais des mots, des morceaux de phrases, quand, en mer, je lui écrivais des lettres auxquelles elle me répondait toujours. Notre courrier s’espaça, et puis ces enfantillages cessèrent tout naturellement au bout d’un certain temps.
Le 2 février, notre chargement est tout reconstitué et c’est le départ pour Saigon. Pendant ces quatre jours d’escale, le temps était plutôt à la pluie sur le Tonkin, mais depuis hier soir, le ciel est redevenu clair et c’est le vent de nord qui souffle, la mousson chinoise.
Une fois sortie du Cua Cam, le Golo cap vers le sud file allégrement ses 9 nœuds peut-être 10, avec un beau soleil, le vent dans le dos. Dans cette direction, revêtu du bon blouson kaki US, on est bien quand on est de quart à la passerelle. L’équipage est heureux d’arriver bientôt à Saigon ; ceux qui en sont à leur seconde campagne et même troisième pour au moins l’un d’entre eux sont mis à contribution pour nous parler de ce que nous allons trouver là-bas. On sait qu’il y a une belle cathédrale de briques roses ; on connaît la rue Catinat et puis le « centre culturel » de Galliéni ; tout ça avant d’arriver là-bas.
La houle de nord, maintenant que nous nous éloignons de la terre est maintenant bien formée, les creux atteignents trois mètres et comme tout vient de l’arrière il n’y a pas de roulis.
L’homme de barre est le seul qui souffre un peu car le bateau se retrouve comme dans l’alizé, bousculé par l’arrière avec les lames qui le rattrapent et dessinant de grands S en forme de sillage.
Quand, dans quelques jours, le Golo retournera à Haiphong, avec le même temps, vent et mer de face, ce sera une autre chanson et on sera loin de marcher à 9 nœuds ; ces bateaux à fond plat sont obligés de ralentir, il n’y a pas d’étrave pour fendre les lames. Les vibrations engendrées par les coups de boutoirs pourraient démolir le navire.
Pour les hommes de quart à la passerelle ce ne sera pas drôle non plus et je comprends pourquoi, dans les équipements américains que nous avons à bord, il y a des masques de feutres pour la mer Coréenne.
Fin de la longue traversée du Golo de San Francisco à Haiphong
André Pilon matelot timonier à bord