Outre les avantages résultant pour nous d'une occupation qui nous procure 477 000 sujets nouveaux, une augmentation de 123 000 hectares de terres cultivées, la possession exclusive des grands fleuves et des canaux importants qui forment les principales artères commerciales de la basse Cochinchine, enfin un supplément de revenus de 3 millions, cet agrandissement nous donne de sérieuses garanties de sécurité.
Il sera, de plus, possible de faire verser par la colonie au Trésor de l'État un contingent de 1 million de francs en 1868. La récolte du riz en 1866-1867 a été très abondante.
Les exportations de cette denrée à la Réunion, en Europe, au Japon et en Amérique, se sont élevées a 113 725 tonnes.
On signale un développement intéressant des autres cultures, telles que la canne à sucre, le tabac, le bétel et les arachides.
L'étendue des terres cultivées est évaluée à 157 397 hectares.
Il a été vendu à Saigon 9831 mètres de terrain urbain, et 2199 hectares de terrains ruraux ; 48 hectares ont été concédés gratuitement.
On sait que le port de Saigon jouit de la liberté commerciale la plus large ; les navires n'ont qu'à y payer un droit d'ancrage, commun à tous les pavillons.
Aussi le mouvement d'entrée et de sortie prend-il un développement croissant.
On évalue à 887 le nombre des navires qui y ont participé du 1er juillet 1866 au 30 juin 1867, et à 55 millions la valeur de la cargaison, à l'importation et à l'exportation.
D'autre part, le cabotage a employé, pendant le même laps de temps, plus de 9000 barques annamites jaugeant ensemble 150 000 tonnes.
Les grands travaux, entrepris tant à Saigon que dans les principaux centres de population, améliorent chaque jour les conditions de notre occupation.
Le réseau télégraphique qui occupe déjà un développement de 407 kilomètres, va s'augmenter d'un nouveau parcours de 87 kilomètres. Les progrès moraux suivent le même mouvement ascensionnel ; on compte aujourd'hui dans la colonie institutions ou écoles recevant 1240 élèves ; on s'occupe d'en créer de nouvelles et de recruter un supplément de personnel enseignant.
Un service typographique a été également organisé le 1er février 1862, et a pris le titre d'imprimerie impériale de Saigon.
Il comprenait à cette époque 5 ouvriers (1 compositeur, imprimeur, 1 écrivain autographe, 1 imprimeur lithographe et enfin 1 relieur) ; le matériel comprenait 2 presses typographiques à bras et 1 presse lithographique.
Huit jours après, c'est-à-dire le 8 février 1862, l'imprimerie était en pleine activité, et la première impression sortie des presses fut une proclamation adressée à l'armée de terre et à la marine par le commandant en chef du corps expéditionnaire, M. le contre-amiral Bonard, qui venait de terminer une courte, mais brillante campagne contre les Cochinchinois opposés à notre domination.
D'un autre côté, M. Aubaret, lieutenant de vaisseau et directeur des affaires indigènes, fit venir de Canton trois artistes chinois chargés de graver et d'imprimer en langue du pays un journal officiel destiné à faire comprendre à ces peuples les bienfaits de notre occupation ; ce journal était rédigé en entier par M. Aubaret, aujourd'hui capitaine de frégate et consul de France à Bangkok (Siam), qui connaît on ne peut mieux les signes idéographiques usités dans ces contrées lointaines.
Aujourd'hui l'imprimerie de la Cochinchine est en pleine prospérité ; le matériel a été augmenté considérablement ainsi que le personnel.
Dans l'origine, le journal qui se publiait avait pour titre : Bulletin officiel de l'expédition de la Cochinchine, et paraissait sous format in-8°, c'est-à-dire qu'il faisait volume ; le nouveau gouverneur, M. de La Grandière, a transformé ce journal, et aujourd'hui il est intitulé Journal officiel de Saigon, et contient des annonces commerciales, les entrées et sorties du port de Saigon, etc..., enfin des articles divers sur le pays et les actes officiels.
Linguistique.La langue cochinchinoise appartient à la famille indo-chinoise du groupe des idiomes de la région transgangétique, système des langues monosyllabiques ultra indiennes de Logan.
Elle est parlée par les Cochinchinois, nation la plus nombreuse de l'empire d'Annam, et son vocabulaire diffère peu de celui du Tonkin et du cambodgien.
La prononciation cochinchinoise est d'une difficulté insurmontable pour beaucoup d'Européens ; elle consiste principalement dans l'accent, qui distingue par des nuances délicates d'intonation des syllabes identiques sous les autres rapports.
D'après Taberd, le système phonétique du cochinchinois comprend douze voyelles simples, trente et une diphtongues, vingt et une triphtongues, vingt-six consonnes initiales et huit consonnes finales.
On se sert, pour les écrire, des caractères chinois de la classe des phonétiques.
Comme en chinois, les mots de cette langue sont dépourvus de flexions, et la grammaire renferme beaucoup de formes analogues à celles de la grammaire chinoise.
On ne saurait être surpris d'une telle affinité, qui doit être attribuée a l'introduction de là langue chinoise dans l'empire d'Annam par une colonie de 500 000 Chinois qui allèrent s'y établir vers l'an 215 av. J.C., refoulant les aborigènes dans les montagnes, entre la Cochinchine et le Cambodge.
Depuis plus de vingt siècles, cette langue s'est modifiée considérablement, sans cesser pour cela d'être, au fond monosyllabique.
Un assez grand nombre de termes étrangers à la langue mère, et exprimant des idées relatives à l'état de civilisation, aux arts et au commerce, ont été empruntés par les Cochinchinois à tous les peuples avec lesquels ils ont eu des rapports.
Il est même probable que, de nos jours, la langue française exercera quelque influence sur le langage des habitants des contrées qui sont tombées en notre pouvoir.
Le cochinchinois n'a pas de mots qui correspondent exactement au verbe être.
Il omet entièrement ce verbe dans certaines circonstances, et, dans d'autres, il le remplace par le mot men, qui signifie convenir.
On peut consulter sur cet idiome la Grammaire de la langue annamite, par Aubaret (Paris, 1804, in-8°), et le Dictionnaire annamitico-latin de Pigneaux, publié par Thaberd (Serampore, 1838, 2 vol. in-4°).
Et, pour terminer sur une note humoristique.
Peut-on parler d'Annam et d'annamites sans évoquer la célèbre chanson...
Ma petite Tonkinoise
De Pierre-Paul Marsalés, dit Polin, né à Paris le 13 août 1863, mort à La Fertte-sur-Seine (Seine-et-Oise) le 8 juin 1927, une des gloires du music-hall et du café-concert avec Mayol, Dranem et Fragson.
« Bonhomme, finaud et pudique, sachant esquiver le mot scabreux sans perdre une intention, n'insistant jamais plus qu'il ne faut sur un effet, avec un art tout en nuances, servi par une voix ni trop forte, ni trop étendue, mais d'une extrême souplesse, Polin ne lassa jamais son public qui lui réclama chaque soir une dizaine de chansons qui, lancées par lui, ne tardaient pas à devenir populaires. » (Henri Lyonnet).
Cette chanson qui, par la suite, sera reprise avec un immense succès par Joséphine Baker a une curieuse histoire :
De passage à l'Alcazar de Marseille, Polin se fait remettre par un nouveau compositeur (Vincent Scotto) une chanson qui s'intitule « El Navigatore » :
Je ne suis pas un grand actore
Je suis navi, navi, navi, navigatore
Je connais bien l'Amérique
Aussi bien que l'Afrique
J'en connais bien d'autres encore
Mais de ces pays joyeux
C'est la France que j'aime le mieux.Polin aime bien l'air mais pas les paroles.
Il la confie à Christiné et lui demande d'écrire d'autres paroles.
Et ainsi naquit La petite Tonquinoise.
Pour qu'j'finisse, mon service, au Tonkin je suis parti
Ah quel beau pays mesdames, c'est l'paradis des p'tites femmes
Ell's sont belles, et fidèles, et je suis dev'nu l'chéri
D'une petit' femm' du pays, qui s'appell' Melaoli.
Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.
L'soir on cause de tas d'choses, avant de se mettre au pieu
J'apprends la géographie, d'la Chine et d'la Mandchourie
Les frontières, les rivières, le fleuv' jaun' et le fleuv' bleu
Y'a mêm' l'amour c'est curieux, qu'arros' l'empir' du milieu.
Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.
Très gentille, c'est la fille, d'un mandarin très fameux
C'est pour ça qu'sur sa poitrine, ell' a deux p'tit's mandarines
Peu gourmande, ell' me d'mande, quand nous mangeons tous les deux
Qu'un' bannane c'est peu couteux, moi j'y donn' autant qu'ell' veut.
Je suis gobé d'une petite,
C'est une anna, c'est une anna, une annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un oiseau qui chan-an-te
Je l'appell' ma p'tite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Y'en a d'autres qui m'font les doux yeux
Mais c'est elle que j'aim' le mieux.
Mais tout passe, et tout casse, en France je dus rentrer
J'avais l'cœur plein de tristesse, d'quitter ma chère maîtresse
L'âme en peine, ma p'tite reine, était v'nue m'accompagner
Mais avant d'nous séparer, je lui dis dans un baiser
Ne pleur' pas si je te quitte
Petit' Anna, petit' Anna, p'tite Annamite
Tu m'as donne ta jeuness' ton amour et tes caress-es-ses
T'etais ma petite bourgeoise
Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise
Dans mon cœur j'gard'rai toujours
Le souv'nir de nos amours
Dans mon cœur j'gard'rai toujours
Le souv'nir de nos amours.Extrait de la chanson interprétée par Joséphine Baker en 1930 :
Ma Petite Tonkinoise (mp3 - 490 ko)Fichier midi avec les paroles de Polin :
Ma Petite Tonkinoise (kar - 44 ko)