Le premier que je rencontre c’est donc mon chef du bureau à l’EM/CEP. Comme chacun sait toutes les composantes des armées étaient présentes au CEP. Nos voisins étaient les bureaux Pers Air, Terre et un autre apparemment interarmes que je me demande bien à quoi il pouvait servir. Toujours est-il, j’allais l’apprendre à mes dépens, qu’il s’occupait, pour le moins, de statistiques. Ce bureau était dirigé par un adjudant. Un jour il vient réclamer des chiffres à mon patron. J’ai compris que, habituellement, c’était le second-maître qui fournissait ces chiffres. Or le SM est malade (un pays à Jacquez). Le PM répond à cet adjudant que ce dernier fait les statistiques pour l’armée de l’Air, pour l’Armée de Terre, alors pour une fois il peut aussi le faire pour la Marine. L’autre n’entend rien de cette oreille, ni de l’autre non plus d’ailleurs. Le ton grimpe. La moutarde monte au nez de mon patron dont le capital patience est épuisé. Il envoie son interlocuteur sur les roses sans ménagement. Et l’autre s’en va direct chez le commandant pleurnicher. Le commandant déboule dans le bureau et demande au PM d’abord de s’excuser et ensuite de fournir au biffin ce qu’il demande. La pression remonte. Là, c’est le commandant qui en fait les frais. Ça finit par : premier-maître, c’est un ordre ! C’est non, j’ai dit que je ne le ferai pas, je ne le ferai pas.
Le PM plus ancien, adjoint marine du commandant vient me trouver et me demande de compiler ces chiffres. Moi, petit mousse tout frais sorti du BE, tout ce qu’on me demande c’est de taper à la machine. Je suis dactylographe, c’est tout (à l’image, négative, que je me faisais d’un secrétaire – par contre j’étais admiratif du QM1Pondard, chargé du BM du Chéliff, ignorant que bientôt je prendrai sa place, ce sera le déclic qui fera de moi un secrétaire convaincu). Pour l’heure, je n’ai jamais été associé à la moindre tâche de gestion, mais moi j’obéis aux ordres. C’est sûr que les chiffres fournis ce jour-là (par moi donc) n’avaient rien à voir avec ceux des mois précédents. Le CEP avait dû perdre quelques milliers de marins en route mais cela n’a interpellé personne.
A mon retour en métropole, je fais la connaissance d’un autre PM du même métal. Lui aussi est chargé d’un bureau personnel. Son chef est une deux galons ORSA ou quelque chose comme ça. Elle veut faire plaisir à tous les commandants des bâtiments, leur dit toujours oui, contrariant sans arrêt le travail du gestionnaire. Un jour le couvercle de la marmite a sauté. Le PM a porté à sa supérieure son plan de mutations, fruit d’un gros travail mais qui ne tenait plus la route. Tout ceci est bon à jeter à la poubelle à cause de vos interventions sans concertation. Il y en a marre. La madame est partie illico pleurer dans le giron de l’amiral. Là encore le PM reçoit , en premier lieu, l’ordre de présenter ses excuses. Là encore, c’est non. Le PM n'a pas cédé, mais il a raccroché sa casquette. Navrant.
Autre cas, sortant du cours de chouf, j’arrive à la Bofost. Je n’ai pas 25 ans d’âge mais mon PM lui a plus de 25 ans de services, autant dire qu’à mes jeunes yeux il a dépassé la date de péremption. Quand nous parlions de lui, entre nous, nous disions pépé. Le téléphone sonne. C’est le commandant de l’Ile Longue. Je ne sais pas de quoi il en retourne mais ça chauffe. Pépé est rouge à exploser. Et il explose. Il en bégaie. Ça crie, ce n’est pas une conversation de salon. Nous sommes tous en position du chien d’arrêt, pas un ne bouge. Arrêt brutal de la communication. Je ne sais pas lequel a raccroché. Le commissaire est absent. Le téléphone sonne dans son bureau. Ça, c’est encore "lui", dit le PM toujours en colère. Il fonce chez le croc, décroche. C’était "lui". Deuxième salve. Qu’importe le grade et la fonction de son interlocuteur, Pépé ne baisse pas pavillon.
Lorsque l’on a été élevé à cette école, il doit bien en rester quelque chose.