Chevaliers du Tastevin passez votre chemin...
Voilà brute de souvenirs, ce que j'ai vécu en juin 1940 tout de suite avant avant l’Armistice et l'Appel du 18 juin...
Nous sommes en juin 1940, les Allemands déferlent vers Paris et commencent à franchir les ponts de la Seine, pendant que nos soldats essaient de ralentir cette avance en les faisant sauter.
J'ai alors 14 ans mon père a été mobilisé et est parti à la recherche de son régiment d'artillerie, qu'il n'a jamais trouvé.
Avec ma mère nous quittons Paris pour Mantes-la-Ville Seine et Oise dont je suis natif.
Mon grand-père maternel ancien artisan coiffeur est en retraite depuis longtemps mais il est Premier adjoint au Maire de la commune depuis 1936, a l'avènement du Front Popu Majorité SFIO.
Il nous accueille dans sa maison.
Mais l'avance allemande devient menaçante, les Panzers franchissent la Seine en aval de la Seine vers Rouen et la Roche Guyon.
- Spoiler:
- Il décide alors avec deux ou trois membres du conseil municipal et leurs familles de partir vers la Touraine dans la région du Cher ; ou sa sœur a une maison.
Cette petite maison est située à Bourré, le long du Cher environ 2 kms de Montrichard.
A part ma mère et mes grands-parents, la maison est trop petite pour accueillir les autres, qui trouvent à se loger chez des voisins du côte des hauteurs crayeuses qui bordent la rivière
Le soir de notre arrivée, après le souper, il fait beau et nous sortons faire quelques pas sur la route.
Au loin vers Blois nous entendons un grondement sourd, c’est celui d’un groupe de chars français qui passent dans le village en ralentissant à peine, les hommes qui sont moitié sortis du de la tourelle nous font signe de la main, ils ont l’air exténués, certains n’ont pas de casques, les tubes d’échappement des moteurs fumes légèrement et sont rouge sombre…
Depuis combien de temps roulent-ils, ils n’ont pas le temps de nous le dire, nous comprenons seulement que du côté de Blois tous les ponts sur le Cher ont été dynamités.
Le prochain est celui de Montrichard, leur but est de le faire sauter à son tour après être passé du coté Sud du Cher.
Ce seront les derniers soldats français que nous voyons, après leur passage tout est calme sur la route, pas une seule voiture à l’horizon.
La nuit tombée tout le monde part se coucher, le lendemain à l’aube je trouve les membres de ma famille en grande discussion autour du café préparé par la tante.
Comment nourrir tout le monde, car à Montrichard les boutiques sont fermées, les gens fuient, devant la gare un amoncellement de vélos s’entassent abandonnés par leurs propriétaires qui ont pris le dernier train du soir vers Tours…
Certaines boutiques dont les propriétaires sont partis commencent d’ailleurs être pillées.
La tante qui sait tout nous dit les Caves Mommouseau aussi, tout le monde rentre et se sert…
C’est alors que mon grand-père me dit :
- « Gamin tu vas prendre un sac à pommes de terre vide et tu vas voir aux caves si tu peux trouver cinq ou six bouteilles, enfin ce que tu pourras porter et tu nous les ramène, au moins on aura à boire… ».
Quelques instants plus tard me voilà cheminant sur la route vers Montrichard tenant mon sac vide sur l’épaule.
Un peu avant l’arrivée dans la ville un chemin en pente douce part sur la droite vers l’entrée de Caves Momousseau qui sont creusées dans falaises calcaires qui bordent le Cher.
Là plus de barrière, ni gardien je vois des gens entrer et d’autres sortir avec des sacs pleins de bouteilles… une fois dans la galerie il fait frais, à peu près 12° comme dans toutes caves.
Quelques ampoules sont encore allumées, et sur les côtés il y a des bouteilles de mousseux, un peu en vrac !
Je ne perds pas de temps à choisir, j’attrape six bouteilles au hasard, ça fait déjà lourd pour mes fêles épaules de 14 ans…
Je redescend la pente et passe côté rivière pour marcher dans l’herbe du talus sous les arbres, il doit être a peu près huit heures du matin, pas de voitures sur la route, juste un cycliste qui arrive en face en me disant « Petit fais attention à toi, les Allemands ils sont là pas loin… »
Je continue à marcher et la trouille me prend, je me questionne, soit je laisse le sac et me met à courir vers la maison, ou je continue à marcher tranquille l’air de rien mon sac sur le dos…
Ensuite en approchant je vois des camions gris bien rangés sur la droite de la route...
Ces camions sont impressionnants, presque brillants, bien astiqués, des Allemands sont descendus des cabines et fument des cigarettes assis sur le talus ou appuyés à leurs véhicules et ils discutent, certain rigolent.
Je me fais tout petit, mais en passant à leur hauteur le premier qui me voit me fit signe de traverser la route vers lui…
J’ai une trouille intense, arrivé à sa hauteur il me dit de poser mon sac (enfin c’est ce que je comprends, car je ne connais aucun traître mot d’allemand).
Dès qu’il voit les bouteilles il appelle les autres en rigolant « Gut ! Gut ! Champagne ! Champagne ! » il me pique cinq bouteilles et m’en laisse une…
Pourquoi fait il cela ? je ne saurai jamais, Largesse de vainqueur dans sa suffisance de pouvoir décider ?
Il me fait signe de repartir, je ne demande pas mon reste et marche le plus vite possible vers la maison de la tante, avec en passant devant chaque camion la trouille d’être appelé à nouveau, mais je porte le sac et la bouteille bien serrés contre mon ventre…
Un môme qui marche après tout c’est pas très intéressant pour des vainqueurs sûrs de leur avance foudroyante... (Enfin c’est ce que pense).
J’arrive enfin devant la maison, tout le monde me guettait par les fenêtres :
- « Il t’ont fait du mal me demande ma Mère et les autres… en m’entourant.
- « Rien j’ai répondu ils m’ont pris cinq bouteilles c’est tout. »
Voilà l’histoire des Caves de Montrichard telle que je l’aie vécue il y a 80 ans.
Ce que je sais, après avoir vu qu’il ne me manquait pas un cheveu, toute la famille m’embrassé comme du bon pain et la bouteille y est passée...
Mais près de cinq ans d'Occupation nous attendaient et je n'ai nulle envie d’aborder le sujet.
JC