par CLOCLO 66 Dim 11 Nov 2018, 17:30
Après quelques semaines passées en Méditerranée à titiller l'Escadre à faire enrager les Pingouins qui nous ont traqués et pourchassés sans succès ou à perturber les ravitaillements de nos amis de la Mer Noire, la
Doris fait route en surface sur Toulon par une nuit sans lune de début décembre dans le noir le plus complet...
Là haut de la passerelle où notre Patron du pont "le Pilaf" est Officier de quart , on distingue au loin les lumières de la ville, elle brille de mille feux.
Nous allons bientôt entrer dans la Rade des Vignettes.
J'ai pris le quart au CO à 20H00 ; dans cet éclairage rouge, c'est le calme, seule la table traçante est en fonction, mon veilleur jeune Q/M Torpilleur entretien le plot avec un soin tout particulier, cela le change des barres de direction ou de plongée et de la manivelle du sonar !
L'échelle de la table étant de 2 Nautiques / pouce, il n'est pas débordé, c'est le moins que l'on puisse dire...
- Spoiler:
J'ai donc entrepris de l'initier à l'usage des règles et compas de vitesses à partir d'azimuths fictifs tracés dans un coin de la table traçante ; plus tard je lui apprendrai à se servir de la règle CRAS.
Un peu d'instruction n'a jamais fait de mal à personne, et quand il entendra parler de lancement à l'écoute il aura une idée de quoi on parle...
- CO de passerelle !!!
- CO j'écoute !!!
- Demander au Cdt l'autorisation de prendre le veille radar, nous avons un bâtiment sur l'arrière qui semble se rapprocher à grande vitesse !!!
- Reçu !!!
J'écarte le rideau qui sépare le CO du Carré où le Vieux est en grande discussion avec l'O2 et le Cipié sans doute à propos de la DISAC qui nous attend... il a entendu la demande de la passerelle et me donne son accord d'un hochement de tête.
Ayant capelé blouson et bonnet de mer, il traverse le CO pour monter à la passerelle superviser la situation...
Au Central au pied de l'échelle du sas, paré à monter il jette un coup d’œil sur les compte-tours des lignes d'arbres... et esquisse un petit sourire... les lignes d'arbres sont à 304 T/mn au lieu des 300 tours règlementaires... le chef de quart aux électriques à dû malencontreusement forcé sur les rhéostats de commande ; c'est souvent le cas quand nous revenons à la maison, mais jamais au grand jamais quand nous naviguons dans l'autre sens !!!
- Vitesse loch !!! interroge-t-il...
- 12 nœuds 5 Cdt !!!
- Bien !!! il grimpe à la passerelle...
Je hisse l'APV (antenne radar) et prend la veille radar... dès les premiers tours d'antenne j'ai un écho gisement 180 à environ 10 000 mètres ; distance que je transmets aussitôt à la passerelle.
Pour augmenter la précision je passe l'échelle de la table traçante sur 0,5 Nautique / pouce, change le papier calque, recale notre position et reporte azimuth distance de cet écho.
3 minutes plus tard après de nouveaux éléments, j'en déduis une vitesse instantanée de 25 nœuds que je transmets à la passerelle, mon veilleur est aux anges, voilà au moins du travail intéressant !!!
Pour que la lecture soit plus précise sur le scope radar je passe sur la plus petite échelle, au deuxième ou troisième tour d'antenne je suis intrigué par ce qui semble être un écho sortant des retours de mer au centre du scope ; quelque chose de très proche...
Je joue sur la luminosité pour lever le doute... il y a bien là quelque chose de bizarre à 200 300 mètres dans le gisement 110, quelque chose qui se confond avec les retours de mer... après quelque tours d'antenne supplémentaires je me décide à prévenir la passerelle :
- Passerelle de CO !!!
- Passerelle écoute !!!
- J'ai un écho radar gisement 110 distance inférieure à 500 mètres !!!!
- On n'a rien à la vue !!!
Quelques minutes plus tard...
- Passerelle demande confirmation de l'écho !!!
- Écho confirmé gisement 120 distance 400 mètres !!!
- Nous n'avons toujours rien à la vue !!!
Là haut à la passerelle ils doivent se dire que le Cloclo en bas n'a plus la lumière à tous les étages !!!
L'O2 qui avait une oreille attentive aux échanges entre passerelle et CO vient de lui-même constater que cet écho existe bien, il s'équipe lui aussi et monte à la passerelle.
Je reporte sur la table la position de l'emmerdeur qui nous rattrape : il est en route de collision, j'en informe la passerelle.
- Le timonier est demandé à la passerelle !!!
Mon veilleur va le prévenir au poste AV.
Arrivé là haut le Cdt lui demande de brancher son projecteur de scott et d'envoyer un message de demande d'identification dans le gisement 120, le timonier s'exécute, pas de réponse, une minute plus tard :
- Recommencez !!! ordonne le Vieux.
Le timonier envoie son message... toujours pas de réponse.
- Éclairez en continu par le travers !!! demande le Vieux.
Personne ne voit quoi que ce soit... au bout de deux ou trois minutes, le faisceau du projecteur accroche ce qui ressemblerait à une vague d'étrave.
- Restez dessus !!! demande le Vieux.
Et soudain au bout de quelques minutes des feux de navigation s'allument dans la nuit noire !!! il y a bien là tout près de nous un bateau genre grosse vedette qui fait une route parallèle à la nôtre pendant quelques instants avant d'abattre en grand sur son tribord pour s'éloigner puis éteindre ses feux de navigation.
Le Vieux est rassuré quand à mon état psychiatrique !!!
- CO !!! demandez à Cépet s'il est au courant qu'un bâtiment de petite taille navigue tous feux éteints dans la rade des Vignettes !!!
Le Tac tac appelle Cépet canal 16 qui nous répond ignorer la chose.
- Sans doute une vedette des Douanes ou de la Gendarmerie qui patrouille tous feux éteints et qui a dû être intriguée par nos feux de navigation !!! estime le Vieux.
- Distance du bâtiment rattrapant ? demande la passerelle...
- 5000 mètres en route de collision, vitesse calculée 23 nœuds.
Le Cdt demande au timonier d'envoyer un message de demande d'identification à ce bateau qui si cela continue ne va pas tarder à grimper sur notre plage arrière !!!
Le timonier s'exécute : pas de réponse...
- Ils se foutent de nous !!! recommencez !!!
Deuxième message sans réponse ; mais à la suite de ce message le suiveur a découvert qu'il avait un bateau devant lui, nos feux de navigation se confondant sans doute avec les feux de la ville, de plus notre feu de poupe étant très bas sur l'eau il ne nous avait certainement pas vus... mais là il décoince et abat sur sa droite pour s'écarter de notre route et ensuite revenir à une route parallèle à la nôtre.
Il nous dépasse par la droite toujours à 23 nœuds ; la passerelle m'informe qu'il s'agit probablement d'un yacht de luxe vu les lumières qu'il arbore, il brille de mille feux... un vrai sapin de Noël !!!
Je le surveille de très près au radar car je pense qu'il va nous faire une queue de poisson pour prendre la passe de St Mandrier avant nous...
Mais non !!! pas du tout !!! il file toujours tout droit cap sur le milieu de la rade abri ; il croit pouvoir entrer dans la rade comme il rentre dans le golfe de St Tropez !!! il a ralenti à 20 nœuds ; j'en informe la passerelle.
- Prévenez Cépet qu'un bâtiment se dirige droit sur la jetée !!! demande la passerelle...
Ce n'est pas la peine : on entend Cépet en VHF s'égosiller à appeler ce fameux bateau dans toutes les langues possibles et imaginables... sans obtenir de réponse.
Et ce qui devait arriver arriva... le yacht s'échoue à 20 nœuds sur la jetée, ses lumières s'éteignent les unes après les autres.
Ce freinage aussi brutal qu'inattendu a dû provoquer des blessés à bord ; le bateau lance un appel au secours à Cépet le tout en anglais, précisant qu'il y a des blessés et une voie d'eau importante.
Cépet organise les secours pendant que nous franchissons la passe de la rade abri.
Il est presque 23H00 quand nous nous amarrons à Castigneau, reste à prendre la tenue de repos, un bon décrassage sous la douche avant de regagner la maison où nous arrivons encore une fois à une heure pas possible.
La nuit sera courte... même très courte !!!
Le surlendemain le journal local "La République" affiche en grand à sa Une la photo d'un magnifique yacht d'une trentaine de mètres qui a escaladé la jetée sur une bonne dizaine de mètres sa plage arrière complètement sous l'eau... les supputations des journalistes sont comme d'habitude peu convaincantes, mais il faut bien vendre du papier !!!
A l'appel de 13H30 l'02 nous informe que le Cdt ayant mené son enquête à réussit à savoir qu'effectivement une vedette de la Gendarmerie Maritime était en patrouille tous feux éteints dans la rade des Vignettes.
Par contre le sémaphore de Cépet était bien au courant mais ne pouvait nous donner l'information sous peine de faire foirer la patrouille !!! pour intercepter qui ? on ne le saura jamais !!!
SECRET DÉFENSE.