À peine sept années après le premier vol motorisé des frères Wright, Henri Fabre fait décoller le premier hydravion autonome le 28 mars 1910 sur l’étang de Berre, à Châteauneuf-les-Martigues, près de Marseille. Huit mois plus tard, l’Américain Eugene Ely est le premier à décoller avec un biplan Curtiss d’un navire, le croiseur américain USS Birmingham, sur lequel a été aménagée une plate-forme.
Les marines militaires des grandes puissances s’intéressent à ces exploits et commencent à imaginer des hydravions militaires. En 1912, Raoul Pateras-Pescara construit pour la Marine italienne le premier hydravion monoplan lance-torpilles. À la même période, la construction des plates-formes de décollage sur les croiseurs et les cuirassés se généralise. Et les progrès sont rapides. Le 8 mai 1914, René Caudron réussit un premier décollage d’un hydravion depuis une plate-forme embarquée ; il parvient à décoller aux commandes d’un hydravion Caudron Type J depuis la plate-forme du croiseur La Foudre et amerrir plus loin.
Rapidement, deux visions différentes de la mise en œuvre des avions embarqués s’affrontent. D’un côté, les Anglo-Saxons se concentrent sur les possibilités de décoller depuis un navire. Du côté français, les nombreux accidents découragent de poursuivre dans cette voie. La Marine française donne la priorité à l’hydravion, mis à l’eau et remonté à bord à l’aide d’un mât de charge. Les expérimentations sont alors arrêtées et la plate-forme installée sur La Foudre est démontée.
Sur le plan organique, le début du siècle marque la naissance des aviations maritimes. Aussi, dans le but d’étudier l’emploi de dirigeables et d’aéronefs par la Marine, le vice-amiral Auguste Boué de Lapeyrère, ministre de la Marine de l’époque, constitue une commission qui rend son rapport le 1er juillet 1910. Dans ce texte, qu’on peut qualifier d’acte fondateur de l’aviation maritime, la commission affirme la primauté de l’aviation sur le dirigeable. Le Service de l’aviation maritime est créé par décret le 12 mars 1912. Trois types d’avions y cohabitent : l’hydravion côtier, le croiseur aérien et l’avion léger embarqué.
Le tournant de la Première Guerre Mondiale
Dans le prolongement des manœuvres maritimes de mai 1914, les hydravions sont d’abord affectés à des opérations de soutien. À l’instar de l’aviation terrestre, les missions de l’aéronautique militaire peinent à s’extraire des seules missions de reconnaissance et de réglage des tirs d’artillerie. Mais durant les premières années de la guerre, on s’aperçoit que ces avions peuvent avoir de réelles capacités offensives comme l’attaque à la bombe et à la torpille de navires, de sous-marins, de troupes ou d’installations à terre. Le premier sous-marin victime d’une attaque aérienne est d’ailleurs le sous-marin français Foucault, coulé le 15 septembre 1916 par un bombardement d’hydravions de la marine austro-hongroise au large de Kotor au Monténégro.
La Grande Guerre a donné ses lettres de noblesse à la troisième dimension dans le domaine des opérations militaires. En novembre 1918, le brigadier général américain Billy Mitchell déclarera que : « L’époque où les armées sur terre ou les marines sur mer pouvaient décider du destin d’une nation en guerre est révolue. La principale force de défense et la puissance de porter la guerre chez l’ennemi est passée dans les airs. »
Une aéronautique navale puissante est devenue un prérequis pour toute nation entendant jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Le lieutenant de vaisseau Jean du Plessis de Grenédan considère l’aviation navale comme « l’auxiliaire indispensable d’une armée navale au combat ». Le capitaine de frégate Henri de l’Escaille ira plus loin en affirmant qu’« une escadre sans aviation est une escadre perdue ».
La naissance de la Patmar
Les opérations aériennes de la Première Guerre mondiale marquent le début des frappes massives à longue distance. Ces bombardements nécessitent des aéronefs de grand gabarit, de dimensions difficilement compatibles avec les contraintes de l’aviation embarquée. C’est donc durant les années 20 que débute la spécialisation des flottes. Les premiers vrais porte-avions, avec pont d’envol continu, cheminée et passerelle déportées sur tribord, brins d’arrêt sur le pont et catapulte à air comprimé (elle-même inventée en 1912), apparaissent entre 1918 et 1922. C’est à bord du Béarn, premier porte-avions français, qu’est réalisé par le LV Montrelay le premier appontage à la mer le 10 mai 1927. Le Béarn n’a pas de catapulte. Le 4 avril 1927, premier catapultage de la Marine nationale réussi par le lieutenant de vaisseau Louis Demougeot à bord du croiseur Duguay-Trouin. Parallèlement, les hydravions côtiers et les croiseurs aériens deviennent multi-moteurs et voient leur rayon d’action augmenter considérablement. Ils ouvriront d’ailleurs la voie au transport aérien commercial et aux bombardiers-torpilleurs.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la patrouille maritime utilise concurremment des hydravions et des avions basés à terre capables de réaliser aussi bien des missions de lutte anti-sous-marine que du torpillage aérien ou de la reconnaissance maritime. Ces trois domaines de lutte sont particulièrement explorés au moment de la guerre froide, durant laquelle les patrouilles maritimes occidentales ont la mission capitale de tenir les sous-marins nucléaires soviétiques à distance des côtes. Les hydravions s’effacent progressivement dans les années 50.
La Patmar en France
Longtemps pourvue de patrouilleurs de facture américaine, il faut attendre 1965 avec l’arrivée du Breguet Br 1150 Atlantic pour voir la Marine nationale être équipée d’un avion français.
Depuis lors, les missions de la Patmar n’ont cessé de se diversifier. L’Atlantique 2, qui équipe la Marine depuis 1991, est employé dans des missions offensives (lutte antinavire et antisous-marine, défense maritime du territoire, bombardement de précision) des missions de renseignement ou des missions de service public (recherche de naufragés, surveillance des nappes de pollution).
Mis au point dès le début de l’aviation, l’hydravion est resté jusqu’aux années 50 la solution technique réalisant la synthèse entre les opérations menées depuis le large et les opérations réalisées depuis la terre. Ce n’est qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale qu’une nécessaire spécialisation des flottes d’appareils a entraîné son déclin. Évolution naturelle des gros hydravions d’après-guerre, l’avion de patrouille maritime s’est imposé comme un moyen indispensable à toute marine militaire au rayonnement international. C’est aujourd’hui un outil multi-missions dont l’emploi est une constante des opérations militaires et des missions de service public contemporaines.
Lieutenant-colonel (air) Vincent Declercq, stagiaire à l’École de guerre
J-M