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- Spoiler:
L'histoire des Français à Londres on n'en parla que peu, mais tous ne vinrent pas du Liban comme ceux du 2ème B.F.M. du Levant. D'autres, empruntant les chemins sinueux de la captivité et de la souffrance, mettront de longs mois avant d'arriver pour reprendre le combat. Tel Maurice Chauvet, qui devra lutter pendant vingt neuf mois, subir les privations et l'emprisonnement avant d'atteindre l'Angleterre(2).
Embarqué sur un croiseur de l'escadre de Méditerranée, Chauvet apprenait au retour d'un raid contre la flotte italienne que la France avait signé l'Armistice, mais que l'Angleterre continuait le combat. Il décida aussitôt de gagner l'Angleterre. Arrivant en fin de lien, il fut démobilisé puis regagna Paris et le domicile de ses parents. Ce qu'il constatera dès le début de l'occupation allemande, ainsi que les échos qu'il recueillera au travers des informations venant de Londres, vont confirmer son désir de retourner au plus vite en Angleterre.
Mais il y a une marge entre le désir de faire et l'exécution ; des milliers de kilomètres à parcourir et des mois de “galère”. Le 2 janvier 1941, Chauvet part vers Marseille. Il lui faut d'abord franchir la “ligne de démarcation” pour passer en “zone libre”, ou du moins déclarée telle. Les gendarmes l'interrogent ; motif du passage ? Il leur répond qu'il part pour s'engager dans la marine. Ralliant enfin Marseille, sans argent, Chauvet parvient, grâce à des amis, à se faire engager comme secrétaire au Service de Chômage de Jeunes (créé par Vichy). Le bureau sert plutôt de centre d'accueil pour des “fuyards” ou ceux qui, comme lui, cherchent à rallier l'Angleterre. Certaines imprudences commises par de jeunes réfugiés, attirent l'attention du Service d'Ordre Légionnaire et Chauvet est contraint de fuir afin d'éviter l'emprisonnement.
Il parvient à embarquer, de justesse, comme matelot, sur un cargo en partance pour le Dahomey. Des escales étant prévues à Dakar, puis Lomé, avant d'arriver à Cotonou, ce serait bien le diable s'il ne trouvait pas l'occasion de s'éclipser. Et pourtant ! La surveillance de l'équipage était si sévère que Chauvet se trouvait encore sur le cargo, en charge du nouveau fret, pour le retour. Deux cales étaient d'ailleurs remplies de graines de ricin, destinées à la production d'huile pour la Luftwaffe.
Le 22 juin 1941, un câble-radio annonce que les Allemands viennent d'envahir l'U.R.S.S. Maurice Chauvet est fermement décidé à faire tout son possible pour débarquer.
Il y parvient lors de l'escale à Casablanca. Là, certaines rumeurs courent sur le port , assurant que des embarcations parviennent à franchir le détroit de Gibraltar. Pourquoi pas ?…
En attendant, Chauvet est envoyé à Port-Lyautey, sur un cargo désarmé. Il y restera jusqu'à la nuit du 13 au 14 octobre, pendant laquelle, déjouant toute surveillance et avec l'aide de deux Norvégiens qui veulent rejoindre Gibraltar avec lui, ils dérobent un youyou, long de 2,50 m, dans lequel ils embarquent. Mais la chance ne leur sourit pas longtemps. Après une journée passée à s'éloigner des côtes marocaines, la tempête se lève. Ils vont la subir durant cinq jours. Lorsque se lève le septième jour, transis de froid et affamés, ils aperçoivent enfin le détroit de Gibraltar et le célèbre rocher. Un chalutier espagnol d'Algésiras, l'El Manuela, les arraisonne. L'équipage nombreux et étrange est armé de façon disparate. Quant au patron, il porte un énorme pistolet accroché à la ceinture dans un étui en osier.
Débarqués à Algésiras, Chauvet et ses malheureux amis sont “collés” en prison. Ayant refusé de décliner leurs identités, ils vont séjourner quatre jours dans une cellule garnie de pavés et ne seront nourris que d'un demi-pain par jour.
La visite d'un envoyé non officiel du consulat britannique, venu s'enquérir de leur nationalité, leur donne un peu d'espoir. En effet, le lendemain ils sont nourris plus décemment, puis une escorte vient les chercher pour les conduire, pensent-ils, à Gibraltar. Hélas, le soir même ils arrivent à la prison militaire de Séville, où se trouvent déjà sept cents républicains espagnols, incarcérés depuis quatre ans. Les Français y resteront trois semaines.
Entre temps, des renseignements transmis depuis l'Afrique du Nord, ont permis de les identifier. Intégrés à un convoi, ils vont être dirigés sur Cordoue. Les prisonniers voyagent “à la chaîne”, c'est-à-dire qu'ils sont enchaînés les uns aux autres. Chauvet et les Norvégiens ne recevront aucune nourriture de leurs gardiens. Les prisonniers espagnols étant nourris par leurs familles, nos “évadés” ne pourront compter que sur leur charité pour subsister.
Lors d'une étape à Linarès, le convoi récupère un jeune Belge. A ce moment, dans une cellule baptisée infirmerie, se meurent deux jeunes français qui ont refusé de donner leur identité.
Il faut préciser que, suivant les époques, le traitement appliqué aux prisonniers était différent. Ainsi, à la prison de Cordoue après une algarade avec le directeur, Chauvet avait reçu une belle raclée. Quel ne fut pas son étonnement le lendemain, lorsqu'un gardien vint lui remettre un message du directeur présentant ses excuses pour “l'incident” de la veille. Son étonnement fut encore plus grand lorsqu'on lui proposa, à titre exceptionnel, de visiter une cellule dans laquelle Christophe Colomb avait été enfermé… Plus tard, Chauvet émit quelques doutes quant à la véracité de l'histoire, car la cellule en question n'était pas particulièrement différente des autres…
Après un long et pénible voyage, les prisonniers arrivent à Madrid, où les deux Norvégiens, réclamés par leur Consul, sont libérés. Chauvet quitte également cette prison, mais… pour une autre, également située à Madrid ! Décidément, pour Maurice Chauvet, l'Espagne est un pays ponctué de nombreuses prisons, mais il ne connaît pas encore le camp de Miranda del Ebro.
Le Service des Etrangers l'ayant identifié, Chauvet va être transféré, en décembre 1941, à Miranda. Quel est le “contenu” de ce camp ?… Sept cents hommes, du moins au moment de l'arrivée de Maurice, car en novembre 1942, lors de l'entrée des Allemands en zone libre, il y en aura jusqu'à cinq mille. Le camp, glacial, est situé dans la province du Burgos, dans une plaine entourée de montagnes. Là, cohabitent les anciens des Brigades internationales Belges, Polonais, Anglais. Il n'y a aucune hygiène. Pour tous les prisonniers, il n'existe qu'un seul robinet qui débite un mince filet d'eau. La nourriture est insuffisante et les hommes n'arrivent à tenir que grâce aux colis de la Croix Rouge britannique.
Inutile de s'étendre sur l'attitude habituelle des geôliers, pourtant elle changera lorsque les Allemands connaîtront leurs premiers échecs. En attendant, les mois s'écoulent. Leur parviennent quelques nouvelles de la guerre, dont l'annonce du raid canadien à Dieppe (août 1942). Maurice Chauvet craint ne pouvoir jamais participer aux combats. Le nombre des internés croît lentement et leurs conditions de vie sont de plus en plus précaires.
Puis le Gouvernement d'Alger est reconnu belligérant, ce qui entraîne quelques départs de Français. Les premiers libérés sont, évidemment des chefs politiques et des officiers. Maurice Chauvet quitte le camp en mars 1943, après dix-huit mois de détention. Il se rend tout d'abord à Madrid, où se déroulent justement les fêtes de la semaine Sainte
Ayant enfin obtenu son visa, Chauvet quitte l'Espagne et passe au Portugal. Après un voyage interminable, avec d'autres Français, il embarque fin avril à Sétubal, sur un cargo qui va les conduire au Maroc. Mais que d'événements encore. Dès l'arrivée à Casablanca, un général leur annonce qu'ils vont tous être décorés de la Médaille des Evadés ! A la suite de quoi, ils sont dirigés sur un camp entouré… de barbelés. Maurice se demande si cela se terminera un jour.
Enfin, après avoir décliné les offres et relances des agents recruteurs de tout poil, Maurice Chauvet se joint à un petit détachement réuni par des officiers des Forces Françaises Libres qui les font embarquer sur un cargo en instance d'appareillage. Mais Chauvet est convoqué à l'Inscription Maritime où lui est signifié le jugement faisant suite à sa désertion en 1941 ; il est condamné à 10 ans de travaux forcés. Toutefois, il ne peut être arrêté tant que l'ordre demandé à Alger n'aura pas reçu de confirmation.
Par chance, la première depuis longtemps, Maurice parvient à temps à regagner le cargo qui appareille pour Gibraltar. Il va y être transféré sur un transport de troupes américain qui a déjà embarqué quatre mille volontaires(3).
Le général de Gaulle, se rendant en Afrique du Nord, vient leur rendre visite.
Le bâtiment appareille pour l'Ecosse. Après douze jours de voyage, Chauvet arrive à Greenock, près de Glagow ; nous sommes le 6 juin 1943. Le lendemain, il se retrouve enfin à Londres. Son voyage Paris-Londres aura duré 882 jours !…
A la caserne “Surcouf”, il contracte un engagement dans les Forces Navales Françaises Libres et se porte volontaire pour les commandos. Le commandant Kieffer, venu à “Surcouf” pour récupérer un des ses hommes fait prisonnier à Dieppe et qui, après s'être évadé, venait de rallier Londres(4), rencontre les nouveaux volontaires… Quelques jours plus tard, un sergent vient les chercher ; une nouvelle troop va être formée.