Cette histoire est tirée de l'ouvrage suivant :
Les voiliers de DJIBOUTI
1)
HISTOIRES DE LA FLOTTE FRANCAISE DE COMBAT
de Jacques MORDAL
éditée chez PUBLEDIT - 71, Avenue d'Aumade - CASABLANCA
En 1959
de Jacques MORDAL
éditée chez PUBLEDIT - 71, Avenue d'Aumade - CASABLANCA
En 1959
Les voiliers de DJIBOUTI
1)
- Spoiler:
- "Qui croirait que les temps de la voile sont révolus ? Vous avez vu la petite Jacqueline faire à la voile l'aller et retour de Douvres à Dunkerque, sous les bombes, pour arracher à la captivité une trentaine de soldats français. Et voici l'histoire des voiliers qui aidèrent, en une période critique, les habitants de Djibouti à ne pas mourir de faim.
Tout le monde connait Djibouti. Au moins de nom. C'est un coin de terre grillé par le soleil sur la rive sud du golfe de Tadjourah, à l'entrée de la mer Rouge. Il y fait 50° à l'ombre en été...quand il y a de l'ombre, car le seul arbre de la colonie, si l'on en croit les mauvaises langues, est ce palmier en zinc qu'un commerçant astucieux fit jadis fabriquer dans la cour de son café, où l'on pouvait venir l'admirer pour cinq sous !
Ne croyez pas, au demeurant, que Djibouti soit un enfer. J'y suis passé, il y a une dizaine d'années, et j'ai pu constater que la plupart des gens qui y étaient en poste ne demandaient qu'à prolonger leur séjour...
De là à dire que Djibouti est entouré de vergers ou de riches pâturages, il y a loin ! La ville ne pourrait vivre sans le secours du monde extérieur, soit par la mer, soit de l'Abyssinie voisine.
Or il advint, à l'été 1940, que les Anglais, après nos malheurs, décretèrent le blocus de toutes nos colonies. Personne à Djibouti ne pouvait concevoir que ce blocus intéresserait également la côte française des Somalis. Pourquoi diable bloquer Djibouti où il n'y avait pas un Allemand ou un Italien, mais seulement quatre ou cinq mille Français et une quinzaine de milliers d'indigènes qui ne demandaient qu'à subsister en attendant des jours meilleurs ? Cependant, le 27 septembre, le cargo français Espérance qui apportait à Djibouti quelques douzaines de boeufs de Madagascar en même temps qu'il rapatriait quelques femmes de fonctionnaires ou d'officiers évacués au moment de l'entrée en guerre de l'Italie, fut arrêté par la croisière anglaise et conduit à Aden. Les Anglais, galamment, renvoyèrent les épouses à leurs maris - peut-être pour les aider à consommer plus rapidement les maigres provisions - mails ils gardèrent les boeufs.
Des semaines, des mois durant, il ne vint pas un bateau à Djibouti. Il fallut bien se retourner vers les autorités italiennes d'Abyssinie pour leur demander un peu à manger. Mais là-dessus, les Anglais entreprirent la conquête de l'Abyssinie et menèrent leurs opérations si heureusement qu'à la mi-avril 1941 ils s'étaient emparés non seulement d'Addis-Abbeba, la capitale, mais des neuf-dixièmes du pays. Désormais Djibouti se trouvait complètement isolé, côté mer comme côté terre, et la situation devenait catastrophique. Encore quelques semaines et ce serait la famine totale.
Comment venir à leur secours ? Par avion ? Certes, quelques appareils avaient réussi à faire la liaison entre la France et Djibouti. Non sans peine, car la distance est importante, et de toute façon ils ne pouvaient pas apporter de bien grands chargements. C'était insuffisant. Il fallait forcer le blocus, et cela ne pouvait se faire qu'à partir de Madagascar, où se trouvent les bases françaises les plus proches de Djibouti.
Le 13 juin 1941 le capitaine de vaisseau Maerten, commandant la marine à Madagascar, fit appeler ses collaborateurs.
- Voici le télégramme que je viens de recevoir de l'Amirauté française : "Ravitaillez coûte que coûte Djibouti par voiliers, et le plus vite possible." VOus connaissez la situation. Il est hors de doute que nous n'aurions aucune chance de faire passer un cargo à vapeur...si nous en avions un sous la main, sans le faire escorter par un bateau de guerre - que nous n'avons pas. Il ne s'agit pas de se battre à coups de canons contre les Anglais, qui ont à Aden tout ce qu'il faut pour être les plus forts, mais de faire passer des vivres à Djibouti à leur barbe. Et pour cela, aucun doute, il nous faut trouver quelque voilier, de préférence un boutre dans le genre de ceux qu'on rencontre journellement par dizaines entre Guardafui et Bab el Mandeb. Peut-être aura-t-il une cance de se faufiler sans être remarqué...Voyons, poursuivit-il en se retournant vers son adjoint, qu'est-ce que nous avons sous la main ?"