Les récifs coralliens fournissent un habitat à des myriades de poissons multicolores, les passes sont souvent riches en requins et barracudas, tandis que l’on rencontre au large le thon, la bonite, le thazard, et le mahi-mahi pour ne citer que ceux là.
Les îlots inhabités sont colonisés par des milliers de frégates et de sternes qui des pointes de leurs ailes, dessinent des arabesques dans les nuages.
Mais la faune, il est vrai, est d’une affligeante pauvreté à terre. A l’exception des crabes réfugiés dans les trous qui minent les cocoteraies et ceux, énormes, dont les pinces sont assez puissantes pour venir à bout des noix de coco en attendant de faire les délices des paumotu, il n’y a guère que les rats.
On trouve aussi, heureusement, le chien d’atoll. C’est un méli-mélo, un animal étrange qui englobe à lui seul un univers génétique.
Issu de croisements hasardeux, indéterminés, confus, improbables et totalement inattendus, il est une sorte de synthèse canine qui laisse pantois le voyageur de passage pour la première fois dans les Tuamotu.
Il mériterait une thèse de doctorat en médecine vétérinaire, en raison de son étonnante résistance, de sa capacité d’adaptation et de sa façon d’illustrer la théorie de Darwin sur l’évolution des espèces.
Jamais de croquettes savamment dosées pour lui, jamais de boulettes savoureuses et de terrines goûteuses que l’on trouve en abondance sur des dizaines de mètres de rayons dans tous les super-marchés. Ne serait-ce que parce que ce genre de boutique n’existe pas dans les atolls.
Bien évidemment, il n’a jamais rencontré un vétérinaire. Il n’en soupçonne même pas l’existence.
Mais c’est un chien libre, un anarchiste insolent et irrespectueux de toute règle établie. Il ne sait pas ce qu’est un collier ou une laisse, il ne répond à aucun coup de sifflet : il n’a pas de maître. Il se nourrit du coprah qu’il chaparde dans les séchoirs et va à la pêche. Il a réinventé l’autarcie, l’autosubsistance.
Il faut l’observer à la fin de l’après-midi, à l’heure où les perroquets nagent lentement dans quelques centimètres d’eau. Il se poste sur un massif de corail, retrouvant d’instinct la position du chien d’arrêt un jour d’ouverture en Sologne !
Il attend, immobile. Du coin de l’œil, il suit le déplacement de ses proies trahies par la caudale qui laisse un léger sillage à la surface calme du lagon. Et lorsque le poisson passe très exactement sous ses pattes, il se laisse tomber dessus pour le happer d’un coup de mâchoire. Encore lui faut-il regagner la plage et défendre violemment sa prise contre quelques pique-assiettes moins habiles que lui, avant de se délecter de filets au naturel d’une fraîcheur inégalée.
Bagarreur, le chien d’atoll porte les traces glorieuses de multiples combats qui marquent régulièrement les nuits du village par des hurlements et aboiements variés. Et il ne manque pas, ce Don Juan, d’assurer sa descendance en présentant ses hommages à une horde de copines pas du tout vertueuses.
Les jours de cérémonie officielle, il est présent lorsque les couleurs montent au mat de la mairie et que les écoliers chantent « La Marseillaise ». Car le bougre aime la compagnie, les rassemblements festifs. Jusqu’au moment où un mutoi, un policier municipal, le chasse d’un coup de pied.
J’ai vu avec plaisir un de ces chiens d’atoll ainsi maltraité, se venger séance tenante : il s’est éloigné et à quelques mètres de là, levant la patte, il a longuement et abondamment inondé…l’entrée de la mairie !