Nous étions administrés par le Marcel le Bihan, et logés sur le LST Rance.
En dehors de l'équipage du LST, il y avait divers autres organismes qui étaient en subsistance à bord, et ce fut la pire affectation de ma (brève) carrière, en raison des chapardages permanents.
Si on lavait son linge, on se le faisait piquer au séchage.
En quelques jours, j'ai ainsi perdu mes pantalons bleu de chauffe, et suis resté réduit au short de gym.
Aux repas, c'était la même chose, au fil des jours, j'ai vu disparaître mon quart, puis ma cuillère, puis ma fourchette.
Seul mon couteau m'est resté, parce que je le gardais sur moi en permanence (oui, même aux WC et à la douche !).
C'était quand même rustique de prendre mes repas à la pointe du couteau, et de laper la soupe ou la purée.
J'avais retrouvé un de mes copains du CFM, qui était maître d'hôtel sur le Marcel le Bihan.
(Je ne dirai pas ici son nom, puisque c'est grâce à ACB que sa fille m'a contacté, à elle le soin de confirmer si elle le désire, je me limiterai ici à ne conter que ce qui me concerne).
Ce copain, qui était un vrai chic type, qui a dépanné bien d'autres détresses, a dérobé pour moi, dans la vaisselle des officiers, une cuillère et une fourchette, gravées de l'ancre marine.
Ça m'a permis de prendre mes repas de façon plus décente, jusqu'à l'évacuation, et au retour en France.
Ce couvert d'argenterie est resté ensuite dans mes reliques de la marine, émouvant souvenir surtout d'un ami perdu de vue.
Quand sa fille a pris contact avec moi, grâce à ACB, nous avons évoqué le souvenir de son père qui a disparu prématurément, et suscité chez sa fille un admirable engouement pour la carrière de marin de son papa.
Elle a rassemblé tout ce qu'elle pouvait trouver, photos et documents le concernant.
Je lui ai envoyé des photos du CFM où nous étions ensemble.
Ensuite, l'idée m'est venue, logiquement, qu'il était temps de restituer à sa fille ce couvert dont le don "brille en moi à la façon d'un grand festin" même s'il n'était pas Auvergnat.
Et voilà, le 31 Mars, anno domini 2011, j'ai eu le plaisir d'entendre au téléphone la voix de la fille du matelot de 1954, m'informant qu'elle avait bien reçu le précieux couvert, 55 ans après, il fait retour à celui qui me le donna.
J'espère que si mon pote disparu a suivi cette histoire, de là où il est, qu'il viendra m'attendre à l'aubette, quand je monterai porter mon sac à ma dernière affectation.
On ira se taper un Cacolac au foyer.