Sur La Charente, le commandant n'autorisa que les OMS et les officiers à sortir en civil et à découcher.
Pour tous les autres : sortie en uniforme et rentrée à bord à minuit, dernier délai.
Ma première impression était la bonne : Charente = bateau fayot.
Le pacha du Bourdais ne suivit pas du tout l'exemple de son homologue charentais : tenue civile pour tous et autorisation de découcher pour tous.
Le CF Provençal déclara à l'amiral qu'il avait confiance dans son équipage et qu'il se portait garant de sa bonne conduite durant l'escale.
Décidément, il était vraiment très bien ce nouveau commandant.
Un vrai père de famille et non un père fouettard.
La suite des événements allait d'ailleurs démontrer qu'il avait raison.
Sa méthode était la bonne.
Bien que Singapour fût indépendant depuis longtemps, un navire de guerre du Commonwealth y était basé en permanence pour assurer sa protection.
Le Bourdais était donc à couple de la frégate australienne HMAS Vendetta.
Entre nous et les Australiens, il n'y avait pas beaucoup d'atomes crochus.
Bof !

Embarqué "un an sans famille" (minimum) sur un navire en campagne outre-mer, la vie n'était pas drôle tous les jours.
Les escales, c'était un peu la "soupape de sécurité" qui permettait ensuite de mieux accepter son sort : promiscuité permanente, postes de combat et exercices quotidiens, difficultés pour la maintenance des équipements, séparation familiale, etc...
Par contre, la solde était bonne et même très bonne.
Donc, en escale, j'en profitais, raisonnablement.



A Singapour, il n'y a pas que Orchard Road et les quartiers chics.
Je me balade aussi dans les quartiers populaires.

.../... En dehors des massages, passage obligé s'il en est, nombre d'entre nous se firent tatouer à Singapour.
Dans mon service, les trois quarts des jeunes franchirent le pas, souvent influencés par les plus anciens.
Il y en avait pour tous les goûts : tigre, serpent, dragon, Chinoise, auquel s'ajoutait souvent l'inscription "Singapore".
Pour jouer les vieux loups de mer - à 18 ou 20 ans ! - dans son village natal, au cœur de la France profonde, il n'y a rien de mieux.
En ce qui me concerne, je sus résister à ce vent de folie ambiant et dire non, tout simplement.




A pachas différents, équipages différents.
A Singapour, mes matelots et quartiers-maîtres étaient méconnaissables : costume, cravate, rasés de près, eau de toilette de grande marque, coiffure impeccable.
Je les complimentais et leur faisais remarquer que je ne les avais jamais vus aussi beaux.
Qu'est-ce que vous croyez, cipal, quand il faut, il faut !
En effet, pour draguer les filles de Singap, il fallait être nickel-chrome de la tête aux pieds. Même pour l'alcool, ils faisaient très attention.
Il faut tenir toute la nuit, cipal !
Alors là, j'en restais baba.
Pendant toute la semaine que dura l'escale, tous les p'tits gars du Bourdais ont eu un comportement absolument im-pec-cable.
En tant que marins d'Etat en mission de représentation à l'étranger, nous sommes tous forcément un peu les ambassadeurs de notre pays.
A ce titre, ils ont fait honneur à leur pays et à leur bâtiment.
Bravo les gars.



Ces jeunes femmes me demandent de les prendre en photo.
Cheese !

Vous allez me dire : et pendant ce temps, que faisaient donc les p'tits gars de La Charente ?
J'y viens.
Jusqu'au grade de maître inclus, ils sortaient tous en uniforme.
N'ayant pas l'autorisation de découcher, le soir, nombre d'entre eux traînaient dans les bars jusqu'à minuit moins quart.
Ensuite, ils commandaient un taxi pour rentrer à bord et se coucher.
S'endormir dans les bras de Morphée, c'est bien.
S'endormir dans les bras d'un Chinoise, c'est mieux.
Dixit les célibataires du Bourdais.
Le pacha du Bourdais avait fait le bon choix.
Il avait compris qu'après une escale particulièrement réussie, il pouvait ensuite demander tout ce qu'il voulait à son équipage.
Une bonne ambiance, c'est très important sur un bateau.
Surtout en campagne.
C'est avec tristesse que nous quittâmes Singapour dans la soirée du mardi 5 septembre.
On commençait à s'habituer.