Les parieurs = Francois Brose « Marconiste » du cargo Belge « Mohasi »
Gilbert Garrigues « sans-fil » du cargo « Ville de Nantes »
C’était l’époque bénie ou le Shah d’Iran régnait dans son pays et ou le pétrole coulait à flots . Des millions de Dollars remplissaient les caisses et permettaient à ce pays sous-développé de se lancer dans des investissements sans limite. Les commandes de materiels divers affluaient en Europe et c’est ainsi que les armateurs envoyaient leurs navires chargés à ras bord dans les ports du Gofe Persique : les infrastructures malheureusement étaient insuffisantes , les capacités portuaires tres limitées .
Le port principal de l’Iran était Khorramshar situé dans la riviere Shatt el Arab avec un quai permettant l’accostage de deux ou trois navires pas plus . Il n’y avait pas de grues , les cargos déchargeaient avec leurs propres moyens.
Le trafic étant important , il s’ensuivait un embouteillage de navires qui prenaient la file d’attente en mouillant sur rade pres de l’embouchure du Shatt el Arab.
- Spoiler:
- L’organisation du port était folklorique , les communications assurées par une station radio EQZ qui accusait reception de nos messages mais ne les transmettait pas toujours aux destinataires si ceux-ci n’avaient pas versé le bakchich traditionnel . A cette époque le bakchich était partout obligatoire ! De ce fait les navires en attente n’étaient pas prévenus du moment ou ils devaient monter dans le Shatt el Arab : le pilote nous accostait sans préavis et c’était le branle bas pour lever l’ancre et demarrer les machines.
On passait son temps à observer le bateau pilote qui cherchait sa proie parmi les navires au mouillage .On avait des fausses joies en le voyant se diriger vers nous , mais des qu’il était à portée de lecture de notre nom sur la coque , il changeait de cap pour se diriger vers un autre plus chanceux.
C’est dans ce contexte qu’un certain jour de Juillet 1959 le cargo M/S Ville de Nantes de la NOCHAP , vint prendre son mouillage sur cette rade surpeuplée . Le « Ville de Nantes « faisait son premier voyage apres sa sortie des Chantiers du Trait en Seine Maritime .Il était beau comme un sou neuf .Ce navire avait une particularité : c’était l’un des premiers cargos a avoir un réseau de bord en 220 et 380 volts alternatifs . Le Commandant laissa filer l’ ancre sur trois maillons et on fit comme les autres : on attendit ;
La cote était basse et brumeuse et on la distinguait a peine à la jumelle. Nous étions entourés d’une vingtaine de cargos , certains attendaient une place à quai à Bassorah , d’autres à Abadan. Le plus pres de nous était un cargo Belge le M/S Mohasi.
Les jours s’écoulaient et la veille sur 500 kcs était d’une monotonie extreme.J’entendais mon voisin , le Radio du « Mohasi » , qui s’égosillait sur 2182 kcs en téléphonie pour tenter une liaison avec son Agent de Basrah. Pour le provoquer un peu ,J’intervenais sur les ondes pour lui dire qu’il fasse comme tout le monde : attendre . C’était un optimiste car il me fit le pari qu’il serait le premier a remonter le Shatt el Arab pour aller a quai . Je relevais de défi et lui demandais le montant du pari : c’était un Belge et tout naturellement il m’annonca = une caisse de biere ! et cochon qui s’en dedit ! Bien entendu , on ne pouvait se taper dans la main mais la probabilité d’avoir à payer le gagnant était quasi nulle puisqu’on se dirigeait vers des ports différents.
Quelques jours apres on apercut le bateau pilote se dirigeant vers nous et c’est le Ville de Nantes qui leva l’ancre pour Khorramshar ! Le pauvre Mohasi était abandonné à son triste sort et le pari oublié !
On n’ alla pas directement a quai , on nous fit mouiller dans la riviere en face de Khorramshar affourché sur deux ancres tant le courant est fort dans le Shatt el Arab . Dans cet endroit pres de la mer le courant s’inverse à chaque marée. Les chaines se croisent à la premiere renverse de courant . A la deuxieme renverse il faut absolument que le navire tourne dans le bon sens pour décroiser les chaines . Les navires qui laissent faire le hasard se retrouvent au bout de quelques jours avec un sac de nœuds dans leurs chaines : il ne reste plus qu’a appeler un ponton , couper une chaine pour remettre tout en ordre.
Les jours s’écoulaient et la veille sur 500 kcs était d’une monotonie extreme.J’entendais mon voisin , le Radio du « Mohasi » , qui s’égosillait sur 2182 kcs en téléphonie pour tenter une liaison avec son Agent de Basrah. Pour le provoquer un peu ,J’intervenais sur les ondes pour lui dire qu’il fasse comme tout le monde : attendre . C’était un optimiste car il me fit le pari qu’il serait le premier a remonter le Shatt el Arab pour aller a quai . Je relevais de défi et lui demandais le montant du pari : c’était un Belge et tout naturellement il m’annonca = une caisse de biere ! et cochon qui s’en dedit ! Bien entendu , on ne pouvait se taper dans la main mais la probabilité d’avoir à payer le gagnant était quasi nulle puisqu’on se dirigeait vers des ports différents.
Quelques jours apres on apercut le bateau pilote se dirigeant vers nous et c’est le Ville de Nantes qui leva l’ancre pour Khorramshar ! Le pauvre Mohasi était abandonné à son triste sort et le pari oublié !
On n’ alla pas directement a quai , on nous fit mouiller dans la riviere en face de Khorramshar affourché sur deux ancres tant le courant est fort dans le Shatt el Arab . Dans cet endroit pres de la mer le courant s’inverse à chaque marée. Les chaines se croisent à la premiere renverse de courant . A la deuxieme renverse il faut absolument que le navire tourne dans le bon sens pour décroiser les chaines . Les navires qui laissent faire le hasard se retrouvent au bout de quelques jours avec un sac de nœuds dans leurs chaines : il ne reste plus qu’a appeler un ponton , couper une chaine pour remettre tout en ordre.
Avec le Ville de Nantes on n’avait pas ce probleme car ce navire était doté d’un Pleuger dans le safran du gouvernail . Au moment de la renverse il suffisait de mettre la barre à 90 ° et donner une impulsion adequat pour faire partir le navire dans le bon sens.(le systeme Pleuger consiste en un moteur electrique de 300 CV installé a l’interieur du safran du gouvernail carené en conséquence et un autre moteur identique installé dans un tunnel transversal tout a l’avant de la coque)
Enfin notre cargo alla a quai et les operations de déchargement s’éffectuerent normalement. Le Ville de Nantes reprit la mer et j’oubliais completement le pari stupide ; ma vie professionnelle s’écoula paisiblement et vint le moment de la retraite.
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En l’année 2008 , je décidais de me mettre à l’informatique et apres quelques semaines de balbutiements je commencais à surfer sur le net : mon interet pour les choses de la mer me poussa vers les sites de marine marchande.
Un jour je lisais les nombreux messages échangés dans un forum de yahoo groupe « mar-mar » et mon attention fut attirée par un internaute Belge qui demandait des renseignements sur un cargo francais des années 50 nommé Ville de Nantes et qui voulait des précisions sur son voyage inaugural en 1959 ; Je sautais sur mon fascicule de navigation pour controler que j’avais bien été embarqué sur ce navire à la meme époque . Ce Belge signait ses messages : Brose. Le message que j’avais intercepté sur le forum était assez ancien et je n’avais pas son adresse mail pour lui répondre directement . Quelques jours plus tard ,je retrouvais mon Belge intervenant sur un autre site, le forum French Line ; c’était le 9 Janvier 2009 . Je lui repondis aussitôt et le contact fut établit apres echange de nos mail respectifs.
Sa premiere question fut : sais tu qui était Radio sur le Ville de Nantes en juillet 1959 ? je lui dis = c’est moi !,il était fou de joie et de fait cette situation était assez extraordinaire : deux personnes qui ignorent leurs noms de famille et qui réussissent à se retrouver au bout de 50 années !! C’est presque l’histoire de l’aiguille dans le tas de foin ! . Il me rappela le pari que nous avions passé . Hélas ma mémoire me faisait défaut , je lui expliquais que je n’avais aucun souvenir de ce pari . Mais il était formel et sur de lui , il y avait bien eu un pari entre nous et j’en étais le gagnant . Il fallait honorer les termes du contrat qui nous liait et il était prêt à me remettre le gros lot !
Il habitait dans les Ardennes belges et moi à proximité de Rouen :ce n’était pas tres facile de se renconter mais encore une fois la providence nous aida : il avait décidé de passer deux semaines de vacances au mois de Mai 2010 dans les cotes du Nord . De notre coté nous avions l’habitude de séjourner 2 ou 3 semaines à la meme époque dans le Finistere . Cette fois ci l’occasion était trop belle , rendez vous fut pris et un beau jour nous vimes débarquer le parieur a la maison.
51 ANS apres le pari , je recus en mains propres la caisse de biere , montant de l’enjeu !
Quelle joie et quelle émotion de se retrouver apres tant de temps = à l’époque nos échanges se faisaient en morse et on ne s’était jamais vu. On évoqua avec nostalgie l’enfer du Golfe Persique en été ,les escales de Bandar Shapur, de Bandar Abbas, le Koweit ,ras Tanura etc…
Tout cela était bien loin dans nos mémoires , mais c’était notre jeunesse qui était évoquée aussi nous étions émus plus que nous voulions le laisser paraître . C’était la Nostalgie à l’état brut ! Chacun fit le récit de sa vie , on compta le nombre d’enfants et de Petits enfants et on but une bonne bouteille a la santé de tous les anciens Radios de la marine marchande , profession aujourdhui disparue
Les photos ci dessous pour les cargos Ville de Nantes et Mohasi, les deux participants (un peu plus agés) et la fameuse caisse de biere , objet du pari.
Désormais une amitié était née = un échange de mails nombreux égaye nos soirées , on parle de tout et de rien mais la nostalgie du métier l’emporte . Chacun s’est équipé d’une pioche et d’un buzzer et on s’envoie des textes en morse comme au bon vieux temps. Gaminerie , me direz vous ? je ne pense pas , c’est simplement de désir de ne pas vieillir et de revivre sa jeunesse ,une époque révolue ou il faisait bon vivre et ou la solidarité des gens de mer n’était pas un vain mot Désormais une amitié était née = un échange de mails nombreux égaye nos soirées , on parle de tout et de rien mais la nostalgie du métier l’emporte . Chacun s’est équipé d’une pioche et d’un buzzer et on s’envoie des textes en morse comme au bon vieux temps. Gaminerie , me direz vous ? je ne pense pas , c’est simplement de désir de ne pas vieillir et de revivre sa jeunesse ,une époque révolue ou il faisait bon vivre et ou la solidarité des gens de mer n’était pas un vain mot
Dernière édition par Charly le Ven 14 Sep 2018 - 17:06, édité 1 fois (Raison : Mise en place du spoiler)