Sémaphore de Jardeheu
Je fus affecté au sémaphore de Jardeheu de 72 à 74.
Ce sémaphore est actuellement désarmé ;
Il est situé à environ 10 milles dans l’Ouest du port de Cherbourg.
Ce devait être en mai 73, la Marine était en plein exercice, je ne sais plus de quel type d’exercice.
De nombreux navires de guerre étaient présents dans la zone.
Ce matin là, comme de coutume, le sémaphore prend la veille au lever du soleil, oui mais ce jour là point de soleil, un brouillard à couper au couteau : on ne voit pas même la côte et comme le sémaphore n’est à cette époque équipé que d’un téléphone, d’une radio HF, d’une VHF et bien entendu de jumelles et longue vues, la veille ne sera pas compliquée, nous n’avons pas de radar.
Début de matinée donc très calme et voici que le brouillard se dissipe un peu, juste un peu.
La visibilité s’améliore à ½ mille environ.
Super !
Il nous semble distinguer quelque chose dans cette purée de poix, entre les rochers, au Nord, à limite de visibilité.
Les traînées de brouillard laissent parfois entrevoir la silhouette d’un navire mouillé.
Ce n’est pas la silhouette d’un bâtiment de guerre...
C’est quoi ?
Mon chef lorgne dans les jumelles 12X90, notre meilleur outil de veille, s’essuie les yeux, lorgne encore, se gratte la tête...
Le verdict tombe enfin : On dirait un chalutier russe !…
Nous l’appelons par projecteur « AA » « AA » « AA »
Rien ne répond mais il se passe quelque chose à bord, une ombre grimpe le long du mât et déploie un pavillon.
Comme le vent est nul nous ne pouvions pas le voir.
C’est bien joli mais dans ce brouillard le pavillon est gris, aussi gris que le marin dans son mât, aussi gris que le bateau, aussi gris que les rochers et tout ce qui nous entoure.
Bien ! c’est ainsi, nous devons informer les autorités « chalutier soviétique possible ».
Voilà qui à dû faire l’effet d’une bombe au PC Opérations de Cherbourg.
Bien entendu la Marine envoie un navire vérifier :
Nous avons confirmation il s’agit effectivement d’un chalutier russe.
Le reste de la journée se passe, le brouillard ne se lève pas.
Au coucher du soleil le sémaphore cesse la veille, toujours dans le brouillard.
Le lendemain matin : beau temps, le chalutier avait disparu au cours de la nuit.