Comme promis je veux vous parler de l'aviso garde pêche "Ailette" : Ancien dragueur de mines M.24, pris aux Allemands à la base de Saint-Nazaire, en 1945, sous pavillon Français, la moitié de l'équipage était Allemand (prisonniers de guerre) ; lors du grand carénage du 15 Décembre au 8 Mars 1948 il fut baptisé "Ailette" et sacré garde-pêche, destiné "Aux Œuvres Sociales de la Mer" et voué à la protection des pêcheurs Français, car des fusillades de bord à bord avaient lieu avec les Anglais, mais l'Ailette était aussi là pour des interventions médicales, il y avait à son bord un médecin et un infirmier, elle avait également pour rôle de réparer ou remplacer le matériel mécanique et radioélectrique des chalutiers.
Le Pacha secondé par le LV Delage, un Officier de Pêche De Robien, un Lieutenant officier des transmissions Giret, un Gambi Officier de détails De Moineville et un Ingénieur Hydrographe, sans oublier un curé à galons "aumônier", l'équipage était constitué de 80 hommes dont 60 bretons (beaucoup d'inscrits maritimes) et 20 d'autres régions de France.
Le champ d'opération de l' "Ailette" était étendu, il partait de Cherbourg, passant par les ports de pêche Normands, Bretons et Nordistes jusqu'à ceux de Belgique, Hollande, les deux Irlande, la Grande-Bretagne, Allemagne et Scandinavie.
L' "Ailette" avait un frère, l' "Aventure" FBTU qui patrouillait au Canada...
A suivre...
Suite :
APPAREILLAGE :
- Spoiler:
- Les pleins de carburant et de lubrifiants avaient été faits, ainsi que ceux de la cambuse, cela va de soi, liqueurs, vin, bière et autres boissons, les vivres sans oublier la farine car il y avait un boulanger à bord, le moral de l'équipage était au plus beau fixe et l'ambiance joviale.
Le jour du départ tant attendu arriva, la Manche était calme et son gris sombre s'étalait comme une immense coulée de plomb ; je me sentais en cage derrière mon hublot, j'étais amarré à la table de travail par mon écouteur, j’essayais de voir à l’extérieur mais il n'y avait que du gris, il me semblait que le soleil avait vieilli et, que fatigué il sommeillait, car non seulement il ne perçait plus la grisaille mais il en faisait son édredon comme si "Ô comble" il recherchait un peu de chaleur ; la nuit vint vite, la mer toujours bonne s'enveloppait dans son voile d'hypocrisie et par ce semblant de calme elle cachait son vrai visage ; à l'horizon que du noir, puis la nuit s’effaçait comme à regret devant le jour, en une clarté blafarde...
Nous passons le Cap de La Hague à 16km plus loin par le détroit Raz-Blanchard, c'est l'île du Cotentin, en contournant l'île de Jersey, une pensée pour Victor Hugo.
Maintenant l' "Ailette" quittera la Manche pour écumer l'Atlantique où des escales l'attendent, elle doit visiter les ports de pêche, elle file vers Saint-Malo et Brest où des pièces de matériels divers lui seront fournies par l'arsenal, puis elle vogue sur Douarnenez, Concarneau ; dans tous ces ports la campagne de pêche débutait et les départs des chalutiers se faisaient toujours après les cérémonies très chères aux Bretons, la religion s'y réservant la part du lion, les pardons (pèlerinages) se déroulaient sur les quais, de grandes tables en bois rustique étaient garnies de corbeilles remplies de fars, crêpes et beignets du pays, des carafes et même des bonbonnes de cidre étaient présentes ainsi que des bouteilles d'hydromel.
Les hommes en costume de velours et petit chapeau noirs buvaient sec et parlaient fort, les binious ne restant pas muets ; les femmes vêtues de broderies fines arboraient non sans fierté leurs coiffes blanches, de véritables œuvres d'art qui selon la coupe et la façon, l'origine de la porteuse pouvait être décelée.
Beaucoup de ces personnes parlaient Breton et je les approuvais...
CAMPAGNE DE PÊCHE :
Ce jour de Juin l' "Ailette" quitte Concarneau pour Lorient, puis nous entrons à Boulogne premier port de pêche Français pour le hareng et la morue, la station radio côtière FFB installée à Ostrohove était très importante, elle était pour les chalutiers ce qu'étaient les aiguilleurs du ciel et leurs tours de contrôle pour les avions, les quais fortement bombardés avaient été provisoirement été refaits en bois provisoire qui dura pas mal d'années ; en passant le Pas-De-Calais, pas âme qui vive des six bourgeois, les révolutions successives les ont peut-être relégués à la serrurerie ?
Désormais nous filons vers l'étranger, au large de la côte Bretonne, nous mettons le cap sur Penzance au S.W de la Grande-Bretagne, les Cornouailles par la baie de Mount ; à travers mon hublot ovale quand je faisais l'écoute sans avoir à transmettre j'accordais à mes yeux quelques regards sur le large, les phares brillaient et clignant de l’œil semblaient dire aux navires : "Allez tranquilles ! Nous sommes là" !
Les phares ne sont pas destinés qu'a porter un feu la nuit, le jour ils servent d'amer ou de repère ; au fur et à mesure que les milles défilaient je faisais leur connaissance : Ar-Men sur une roche au large de l'île de Sein séparée du continent par le Raz-De-Sein, les druides ayant leur cimetière sur elle laissent peut-être errer leurs âmes, la pointe Saint-Matthieu près du Conquet où se trouve une puissante station radio FFU, La Jument au large d'Ouessant (autre station radio FFO, la passe est très dangereuse, les anciens disaient : "Qui voit Ouessant, voit son sang" !.
Le phare de l'Île Vierge au Nord du Finistère avait 80 m de haut, celui d'Edystone fut reconstruit trois fois à cause de tempêtes et incendie.
Il serait injustifié de penser que regarder par dessus-bord serait préjudiciable au déroulement de mon travail, car j'assurais la veille de Sécurité 500 kcs sur haut-parleur (mes deux collègues radios le matelot Emery et le Crab-Chef Pelletier dont je n'ai jamais eu de nouvelles, pensaient peut-être autres choses que moi mais agissaient de la même façon).
L'Officier de pêche dont le but était de "pêcher" des chalutiers entrait au P.C.Radio, se courbant vu sa grande taille, la pipe à la bouche ; je connaissais ses habitudes, je demandais aux chalutiers qui étaient susceptible de l’intéresser de passer en liaison phonie sur 2670 kilocycles, je mettais alors à sa disposition un émetteur Telefunken et il écoutait sur un récepteur Marconi, ainsi il pouvait confortablement écouter leurs doléances et là il me déifiait.
Les radios des chalutiers utilisaient de préférence le Morse, ce moyen étant plus pratique et plus discret que la phonie, ils ne se servaient pas de manipulateurs dits PTT, mais d'engins fabriqués avec des lames de scie appelés "double contact ", pour améliorer leur salaire beaucoup de radios participaient au tri du poisson, ce qui leur attribuait une part de pêche supplémentaire ; par des installations astucieuses ils pouvaient faire l'écoute sur haut-parleur et aussitôt qu'ils entendaient un appel ils couraient à leur cabine radio et pour ne pas perdre de temps restaient les mains gantées, les doubles contact supportaient très bien ce traitement ; chaque armateur utilisait un code chiffré propre à sa compagnie afin de donner des directives à ses chalutiers et être au courant du tour de pêche (tonnage, qualité du poisson) arrivées prévues etc...
Quand l' "Ailette" FATD appelait un chalutier avec son 400 w à la note très musicale, si ce dernier était sur un banc de pêche il ne répondait que par de très brefs signaux morse, ne voulant pas en se signalant se laisser voler sa proie, le radio du garde-pêche devait alors faire preuve de dextérité et d’extrême adresse, le repérage étant très difficile à réaliser dans de telles conditions ce repérage s'appelle "Relèvement Radiogoniométrique", il se fait à l'aide d'un récepteur radio mis en circuit avec une antenne rotative qui tournée à l'aide d'un volant gradué de 0 à 360 degrés permet de rechercher le minimum de force du signal reçu sur un cadran gradué.
Exemple :
Il indique 120 degrés, le bâtiment recherché se trouve dans cette direction.
J'avais aussi à effectuer des relèvements sur radiophares, ce système permettait de déterminer ma position toujours à l'aide de la radiogoniométrie en faisant un relèvement sur deux radiophares grâce à leur indicatif emis en morse.
Exemple :
Bergen transmet BR et l'Île De Sein SN.
Une tâche dure à assumer était le relèvement au sonar de divers échos d'engins à identifier, le Sonar était installé au fond de la cale où l'air était vicié et les relents de mazout épais, il fallait avoir les tripes solides pour tenir le coup... nous avions aussi un Loran, sondeur muni d'un oscilloscope il fonctionnait en permanence et demandait une attention particulière sur papier millimétrique, il indiquait la profondeur, la distance, la vitesse et même la variété des différents bancs de poissons.
Avec ce matériel l' "Ailette" ne pouvait que mener à bien sa mission.
Ne voulant pas monopoliser la rubrique, ni voulant lasser les amis, je vais marquer une pause et reprendrais la campagne à l'étranger.
Merci à tous.
TOM U ROSSU
A suivre...