Voici quelques explications qui n'engagent que ceux qui sont intervenus, mais qui me semblent très instructives concernant l'origine des ennuis actuels de notre fleuron national :
Blog « Secret Défense » de Jean Dominique Merchet, journal « Libération » rédigé le 23/04/2009 à 09:06
Avarie du Charles-de-Gaulle : pourquoi c'est compliqué
Depuis six semaines, le Charles-de-Gaulle est à quai, à cause d'un problème mécanique, comme nous le révélions alors. Une commission d'enquête, réunissant la Marine nationale et l'industriel DCNS, a été mise en place pour comprendre l'origine des "vibrations élevées dans le compartiment de propulsion". Pour l'instant, les experts n'ont pas de réponse et le ministre de la Défense a reconnu que les travaux pourraient durer "de quatre à six mois". A Toulon et dans les bureaux d'études, les spécialistes analysent toutes les possibilités, avec ce qu'ils appellent un "arbre de causes".
L'appareil propulsif d'un bateau de guerre est en effet un système extrêmement complexe. Petit cours de mécanique pour mieux comprendre pourquoi il est plus difficile de dépanner le Charles-de-Gaulle que sa voiture...
Contrairement à un navire civil, même de grande taille, le système de propulsion d'un bateau de guerre prend en compte des spécificités militaires. Il doit notamment être compact et discret.
Sur mer (ou sous la mer), la furtivité qui se mesure en terme de discrétion acoustique est un élément important. L'appareil propulsif, qui bouge par nature, doit être mis sur suspension (plots plastiques) afin de limiter les vibrations, en particulier pour ne pas produire de sons basses fréquences qui sont détectables de loin. Les déplacements se comptent en centimètres pour des systèmes de plusieurs tonnes. Tout problème dans la suspension peut avoir un effet mécanique sur les systèmes eux-même. Autre exemple : les engrenages doivent être très soigneusement fabriqués ("usinage de denture") pour être silencieux.
L'appareil propulsif doit pouvoir résister aux chocs et aux explosions (jusqu'à 40 G par exemple). C'est une contrainte qu'ignore totalement les navires civils, qui ne sont pas censés fonctionner après l'explosion d'une torpille... Autre souci : la compatibilité électromagnétique. Un navire de cambat est truffé d'électronique, pour la détection, les transmissions, les systèmes d'armes. Les moteurs du bateau ne doivent pas perturber leur fonctionnement, d'autant qu'ils sont conçus pour détecter des signaux de très faibles niveaux.
Contrairement à un avion ou une voiture, un bateau a besoin d'une très longue endurance. Son appareil propulsif est conçu pour fonctionner jusqu'à 250 jours par an, 24 h sur 24 h, et pendant 30 ans... La grande différence avec les navires civils, c'est qu'un bateau de guerre n'a pas un régime très stable, comme un pétrolier. Il accélère et ralentit, selon la mission. Ainsi un porte-avions manoeuvre et accélère en permanence lors des opérations aériennes.
Enfin, le système propulsif doit tenir le moins de place possible à bord. L'espace est une denrée rare et chère à bord d'un navire de guerre. Cette compacité a une conséquence : l'accessibilité de certaines pièces n'est pas immédiate et peut demander de longs démontages et remontages. Voilà pour les contraintes.
Un système propulsif se compose d'un ensemble de systèmes complexes, qui vont de la source d'énergie à l'hélice. Tous les bateaux de guerre, mais pas les sous-marins, sont des "bimoteurs", au sens où ils ont deux lignes d'arbres, donc deux hélices. L'équation est simple : une turbine à gaz tourne à 3/5000 tours-minute et un moteur diesel à 1200/1500 tours alors qu'une hélice tourne entre 0 et 200 tours minute. Pour passer d'une vitesse élevée à une vitesse basse, il faut une boite de vitesse, que l'on appelle sur un bateau un "réducteur". C'est une pièce mécanique très complexe, d'autant que les bateaux ont, la plupart, deux type de moteurs : moteur diesel, turbine à gaz (gasoil en fait) ou vapeur dans le cas de la propulsion nucléaire. Deux types de moteur, donc deux vitesses initiales... [Les spécialistes nous excuseront de ne pas entrer dans les détails des réducteurs cross-connectés ou des moteurs électriques...]
Le réducteur entraîne à son tour la ligne d'arbre, qui est un long tube d'acier forgé et usiné de plusieurs dizaines de mètres. C'est elle qui fait tourner l'hélice. Cette ligne doit être parfaitement équilibrée. Elle est portée par des "bagues" en bronze, des "paliers" et des "chaises". Au final, l'hélice doit être, elle aussi, parfaitement équilibrée : celles du Charles de Gaulle pèsent vingt tonnes chacune. Enfin, tous ces systèmes sont reliés entre eux par des "pièces d'accouplement".
Vous avez suivi ? Ce qu'il faut retenir, c'est que :
1- La mécanique d'un bateau de guerre obéit à des contraintes très particulières ;
2- L'appareil propulsif est très complexe et chacune de ses parties interfère sur les autres. Trouver la cause d'une panne, lorsqu'il s'agit d'un modèle unique comme le porte-avions (donc sans retour d'expérience), s'avère très difficile et très long.
Comme Molière le faisait dire à Scanarelle, dans le Médecin malgré lui : "Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette."
Commentaire rédigé par : Armurier | le 23/04/2009 à 11:39
Je voudrais, aux explications données par notre ami Jean Dominique Merchet (journal « Libération »), ajouter un élément, un commentaire et un souvenir.
L'élément, de spécificité propre aux navires de guerre, est que ceux-ci sont soumis en opération comme en exercice, à des variations d'allure extrêmement fréquentes, y compris les porte-avions, sources de contraintes et d'usure que ne connaissent pas les navires marchands, lesquels sont pratiquement toujours au même nombre de tours/minutes durant leurs transits.
Le commentaire est que le CDG a manifestement été construit, en taille, un peu au delà de ce qui était raisonnable pour un navire à deux lignes d'arbre. Le Clemenceau et le Foch, plus petits, étaient à cette limite. Les cuirassés rapides (32 noeuds) Jean Bart et Richelieu, plus gros (50.000 tonnes) avaient quatre lignes d'arbres. Le paquebot France (55.000 tonnes, 32 noeuds, aussi) avait quatre lignes d'arbre. Tous les porte-avions américains ont quatre lignes d'arbre. Le Normandie avait, aussi, quatre lignes d'arbre. En matière de construction navale, il y a des constantes d'ordre mécanique et métallurgique dont le temps et l'évolution technologique ne permettent pas de s'affranchir.
Commentaire rédigé par : Armurier | le 23/04/2009 à 11:39
Un souvenir. Au début des années quatre-vingt, l'escorteur d'escadre sur lequel j'étais embarqué, a connu une avarie de chaufferie qui rendait le navire indisponible et dont on ne trouvait pas la cause. Les machines de ces navires étaient pourtant simples et robustes. Elles avaient été construites en un grand nombre d'exemplaire, on en avait une très bon retour d'expérience, et pourtant on ne trouvait rien. Les mécaniciens et ingénieurs du bord comme ceux de l'arsenal se montraient impuissants. La situation était délicate car les bâtiments de cette classe étaient progressivement retirés du service. Le désarmement du nôtre était programmé pour plus tard, mais il était à peu près certain que si on ne trouvait pas rapidement la cause de l'avarie, nous serions tous débarqués avant la fin de l'année.
En "vieux moustachu", comme on dit, qu'il était, l'ingénieur-mécanicien de l'état-major de l'escadre, le "chef" des "chefs", comme on disait aussi, ayant lui-même été "chef" (comprendre chef mécanicien) ou servi sur la plupart des bâtiments de l'escadre, s'attaqua, résolument et méthodiquement, au problème. Il partit du principe que cette avarie, pour rare, voire exceptionnelle, qu'elle était, n'était certainement pas la première sur ce type de chaufferie. Il entreprit un travail acharné d'épluchage de tous les comptes-rendus d'avarie sur ce type de chaufferie depuis qu'elles existaient. La conjonction le la compétence, de l'expérience et du travail de vrai professionnel finit par porter ses fruits : la cause de l'avarie fut trouvée, celle-ci rapidement réparée, et après des mois d'immobilisation pénible, le navire repris du service. Quelques semaines plus tard, il participait à l'escorte des navires chargés de réfugiés palestiniens qui quittaient le Liban.
Tout ça pour dire que les savoir-faire en matière de construction navale et d'entretien des navires constituent une de nos plus précieuses richesses, non chiffrable, qu'il est incontestablement du niveau de la responsabilité de l'Etat de veiller à leur conservation, et que je ne suis pas certain que la mercantilisation à tout vat des arsenaux aille dans le sens de la nécessaire pérennité du patrimoine, à tous points de vue, que ceux-ci ont su conserver jusqu'à ce jour.
Commentaire rédigé par : Pascal Colombier | le 23/04/2009 à 11:03
Une carène de 261 mètres (en fait celle des Foch et Clémenceau) un déplacement > 42 000 tonnes (contre 32 000 tonnes aux Foch et Clémenceau).
Une puissance propulsion d'environ 80 000 cv (contre 120 000 cv au Foch et au Clémenceau).
Csq : pour atteindre sa "vitesse de travail" (croisière rapide, catapultage, récupération en zones chaudes) le CDG demande beaucoup à sa propulsion calculée au plus juste. A priori les chaudières nucléaires ne posent aucun problème mais la transmission, elle, semble travailler un peu à la limite avec les conséquences que l'on observe aujourd'hui, une usure rapide.
C'est une décision politique qui en son temps fit que le PAN fut construit par les arsenaux d'Etat à Brest où la plus grande forme de Laninon ne permettait pas de construire une carène plus longue à la différence des chantiers de l'atlantique.
Le choix de la propulsion nucléaire de l'indépendance nationale et aussi des délais ont fait que ce soit les K15 des SNLE qui ont été choisis pour la chaufferie du navire. Des réacteurs dont la puissance est un peu juste pour un grand navire de surface. Le choix du nucléaire qui dut tenir compte des normes radiologiques qui ont abouti à un alourdissement au cours de la construction voisin de 4000 tonnes.
Bref un navire qui en terme de déplacement est lourd pour sa carène. Cette dernière, petite est très contraignante en termes de place disponible. Avec en plus comme conséquence de la dernière IPER une prise de poids supplémentaire de 500 tonnes (nouveaux équipements).
Les problèmes actuels sont les résultats indirects de choix initiés lors de la construction et de la conception.
C'est bien dommage car les actuels problèmes occultent le fait que ce navire est vraiment moderne et puissant et qu'il nous offre de réelles capacités d'action. Ils portent atteinte à l'image du PA dans l'esprit (oh combien éloigné de ces sujets) des décideurs.