par † Serge BAVOUX Sam 19 Fév 2011 - 17:51
1950- Y a de la castagne chez Pelloche à Diègo !
Tous les messages et échanges que j’ai avec les anciens, qui comme moi, ont pérégriné dans l’océan indien, ont pour effet de faire remonter des oubliettes, des souvenirs enfouis depuis plus de soixante ans.
Etant de nature assez disert je vais tâcher de vous faire revivre cette anecdote semblable par certains cotés aux rixes de marins dans les bas fonds portuaires à la mode d’Hollywood.
C’était un samedi soir, j’étais sorti avec un copain et nous étions allé souper chez la Germaine, une plantureuse métisse mariée à un petit bonhomme maigre et sec, ce qui faisait d’eux une sorte de couple à la Dubout. Nous l’aimions bien cette Germaine à qui nous avions bien souvent chouravé un cendrier, ou un article publicitaire, ce qui la faisait nous regarder d’un air scrutateur et méfiant quand nous quittions son restaurant.
Sortis de chez elle, nous avions un peu erré au hasard pour aboutir finalement chez Pelligrini, dit Pelloche, sorte de grand café-bistro fréquenté par les trouffions, les matelots, marsouins et marins, ainsi que par les équipages des navires civils qui relâchaient à Diego. Certains y venaient avec leurs ramatoas, ces jeunes femmes indigènes méprisées par la gent européenne puritaine. On y voyait rarement des civils du cru, des officiers mariniers et autres sous-offs :-pas assez bien pour eux- !
Les pingouins et les radios de Caméléon ne fréquentaient guère cet établissement, nous avions d’autres ponts de chute
Tous ces gens « de bas étage » faisaient la fortune du sieur Pelligrini que la rumeur disait interdit de séjour en métropole. Une bonne partie des payes que la République versait à ses défenseurs en campagne remplissait les tiroirs-caisses de ce tenancier. C’est ce qu’on appelle le transfert financier ! On y pratiquait aussi le crédit sous la forme du taratasoa ce qui permettait à ces jeunes militaires de finir le mois en s’endettant davantage sur le mois suivant ! Bien qu’il y ait eu parfois des « drapeaux plantés » par certains rapatriés oubliant de régler leurs dettes au moment du retour, cela ne nuisait guère aux affaires du patron, les marges bénéficiaires comblaient largement ces manques !
Ce soir là il y avait une foule nombreuse et il régnait une grande animation. Mon copain et moi accoudés au zinc dégustions nos bières fraîches, sous le regard morne d’un « Bonaparte manchot Courvoisier » en faïence qui trônait au milieu de dizaines de bouteilles de spiritueux alignées sur des étagères ornant le mur derrière le comptoir, et observions ce monde bigarré.
Tout à coup, on ne sait pourquoi, des remous se produisent au milieu de la salle, des cris et des clameurs élèvent. Des gens parmi lesquels on reconnaît des marins du cargo « la Ville D’Amiens » sont en train de se colleter avec ceux d’un cargo américain, dont la coque noire sur le port s’orne en lettres blanches d’un « Clyde Line » de leur compagnie. Que s’est il passé, offenses d’ivrognes ou rivalité due aux femmes présentes ? Au milieu de ces individus qui s’affrontent émergent deux mecs, force de frappe des américains, deux mètres de haut, près de cent kilos de barbaque musclée : un noir semblant échappé d’un film de King-kong et un blanc du genre Brutus, venu tout droit d’une bande dessinée des aventures de Popeye. Ces puissantes brutes, sont le centre de cette mêlée qui reflue sous leur poussée. L’un deux soulève une table et la lance devant lui, un français lui balance un chaise sur la tête ce qu semble lui faire autant d’effet qu’une piqûre de moustique. Bien que plus nombreux les gars de « la ville d’Amiens » semblant être en difficulté ; des marins de « la Capricieuse » et de « l’Alidade », emmenés par un grand chouf bosco ou timonier, leur apporte une aide inattendue. La bagarre prend de l’ampleur, des verres, des bouteilles, et des tabourets volent dans les airs. La confusion est totale. ! Les serveuses se sont prudemment retirées de la zone de combat et observent effrayées et impuissantes l’évolution de ce pugilat général. L’enchevêtrement des acteurs est tel que l’on ne devine même plus qui combat qui ! La folie est contagieuse, mon copain qui est debout près du comptoir empoigne une carafe et la lance dans les rangées de bouteilles derrière lui, quelle dégringolade !! Grisé par cette ambiance j’empoigne à mon tour une bouteille vide et je la propulse dans « le Bonaparte manchot Courvoisier » qui entraîne avec lui d’autres bouteille dans sa chute ! C’est un cadeau que nous faisons à Pelloche !!.
Depuis combien de temps dure cette bagarre : trois ou quatre minutes tout au plus ! .Près de nous passent en courant un marsouin, et sa doudou, qui nous lance en passant : « Gaffe !la patrouille ! les gendarmes ! »
La bagarre perd d’intensité, ça fuit par toutes les issues possibles, portes et fenêtres. Nous décampons aussi précipitamment par une porte secondaire et filons en direction de la baie des amis où nous effarouchons quelques crapauds buffles qui sommeillent dans la vase. Toujours en courrant nous montons, à Caméléon, ça grimpe, à travers des sentiers boueux. Nous rejoignons notre baraque, et nous nous couchons après nous être rapidement nettoyés. Quelle heure est il, minuit passé. Quelques minutes après nous entendons des bruits de motos arrivant sur le terre-plein de Caméléon. Nous sortons de nos baraques et prenons hypocritement l’air étonné des autres gens sortis de leur sommeil. Le maître gendarme, un chic type, (il me connaît pour avoir volé sur notre JU52) nous interpelle : vous n’étiez pas chez ¨Pelloche tout à l’heure ? Bien sur que non ! Il n’est pas dupe, mais en reste là. Ouf !
Le Lundi les gars de « La Capricieuse » sont consignés à bord et devrons -conjointement avec ceux de « la Ville d’Amiens » et de la « Clyde Line » participer au règlement du préjudice causé !
Soixante ans après, il y a prescription ! Je ne me sens toujours pas fier d’avoir bombardé le « Bonaparte manchot Courvoisier » !
VELOMA!