"J'étais sous-marinier sur un U-Boot"
Source : http://mapage.noos.fr/sub-scope/barpopey.htm
Quatre jours plus tard, nous sommes sur place, nous alternons les quarts sans que l’on sache exactement ce que l’on va faire et si les grandes manœuvres ont commencé ou pas.
Tout se précise quand le haut-parleur annonce que l’on va plonger. N’étant pas de quart, on se prélasse dans la bannette : cela fera un peu plus de calme pour se reposer et ne rien faire.
C’est parti pour la plongée.
- Spoiler:
- A peine commencé, le sifflement de l’air purgé est immédiatement couvert par des cris et une agitation totalement anormale : Coup au cœur ! Il y a quelque chose qui ne va pas ! « Avarie de barre avant ! Avarie de barre avant ! »
Bon sang ! L’inclinaison est importante, on doit descendre « Du calme, nom de Dieu, du calme ! » c’est bien la voix du pacha, forte et autoritaire, il ne perd pas son sang-froid.
Instinctivement on écarte le rideau de toile de la bannette, on se penche en dehors « Personne ne bouge ! Restez tous à vos postes ! » Qui a dit çà? On ne sait pas…
Seigneur !, l’avant pique de plus en plus du nez, des objets tombent sur le plancher, et il y en a de plus en plus qui dégringolent de leurs supports, çà résonne de partout, dans la cuisine, les ustensiles se déversent des placards, « Chassez partout, restez calme, restez calme ! »
Facile à dire, le bateau craque, grince épouvantablement ; il vibre de partout, on entend le hurlement strident des moteurs électriques qui tournent à plein régime en marche arrière, le sifflement puissant de l’air qui chasse dans les ballasts, plein d’objets divers dévalent la coursive vers l’avant, tout ce qui file vers le nez du bateau va l’alourdir encore plus, cela devient un véritable vacarme, devant, derrière au milieu : tout se casse la g…. Mon Dieu ! la bannette va atteindre bientôt la verticale, on est presque debout dedans... Le sous-marin vibre tellement qu’on a l’impression qu’il va se désintégrer, c’est la fin, on va mourir ! On pense : « Maman ! »
Et puis, comme à regret, le bateau semble ralentir, s’arrête ; on perçoit parmi les épouvantables vibrations que l’on repart en arrière, tout doucement d’abord puis de plus en plus vite, on entend moins de dégringolades mais l’air comprimé chasse toujours dans les ballasts et les tremblements commencent à diminuer.
L’angle de la bannette revient vers une position plus acceptable, les bruits de chutes cessent, « On remonte ! - Accrochez-vous, çà va secouer ! » On remonte, on le sait qu’on remonte et c’est tant mieux qu’on remonte ! On va sortir de là, heureusement que … Sensation brutale de vide, on part se cogner sur le plafond de la bannette puis formidable résonance de métal accompagné du bruit de la surface de l’eau qui reçoit le sous-marin qui vient de s’éjecter à la surface le cul en l’air et tassement violent sur le matelas de sa couchette, « Spanbang !!! »
On sursaute ! : explosions des gros fusibles de protection des moteurs électriques qui n’ont pas supporté les écarts de résistances lorsque les hélices sont sorties de l’eau en tournant à plein régime. Le choc lors de la retombée a achevé la destruction des électriques.
Des balancements qui s’atténuent et enfin le silence avec le sifflement de l’air des ballasts qui s’arrête et les cris des copains blessés, les ordres du pacha qui garde une voie calme mais blanche ; l’odeur caractéristique des fusibles-moteurs qui ont grillé et aussi peut-être des moteurs électriques surchauffés qui nous ont sauvé la vie.
Le mécanicien-électricien a mis toute la sauce en arrière dès qu’il a perçu l’avarie sans attendre les ordres ; c’est ce qui nous a épargné la descente aux enfers ! On ouvre toutes les écoutilles après avoir équilibré les pressions intérieures et extérieures ; Ouf ! nous sommes vivants, on commente nerveusement l’accident, on s’affaire autour des copains blessés ; pas de cas graves mais pas mal de lèvres ouvertes, arcades sourcilières fendues, foulures et autres bosses en tous genres.
Une frégate se précipite à notre secours. Une voie par mégaphone nous dit : « On arrive, les gars ! » ; on voit des visages inconnus qui nous regardent avec inquiétude, qui nous demandent si çà va.
Un des marins nous crie en breton de tenir bon. Un dinghy est débordé de la frégate, à son bord leur médecin, un officier et des marins.
La solidarité des hommes de la mer n’est pas à démontrer, elle est là, omniprésente, les hommes de la frégate montent à bord, ils nous sont inconnus mais malgré leur apparente rigueur, il y a un élan de générosité dans leurs gestes, leurs paroles…
Un officier ne nous parle pas comme çà en temps normal.
Nous sommes pris en remorque par la frégate et pendant que l’on transfère les blessés à son bord, une autre unité vient à notre rencontre et va rester à nos côté pendant le retour, elle envoie à bord des ingénieurs et des mécaniciens spécialisés pour estimer et éventuellement réparer les dégâts les plus urgents, nous sommes tous sonnés par ce qui vient de nous arriver.
L’exercice aura lieu sans nous. Nous rentrons à Toulon en remorque. On sera interrogé pour l’enquête, il s’agissait bien d’une avarie électrique de la barre avant qui a amené la gouverne en position négative jusqu’en butée.
Le moteur électrique à continué à forcer bloquant ainsi la commande manuelle. Le temps d’agir sur l’alimentation du moteur en cause, le submersible était descendu très vite et très profond.
Pas grand chose à dire, nous qui étions à l’arrière, sinon que cela avait été très vite et qu’on avait eu peur.
On a parlé secrètement de 200 m de profondeur mais jamais personne ne nous confirmé ou infirmé cette information.
Démission des sous-mariniers acceptée immédiatement par le commandement et conversion sur un escorteur rapide après un stage de mécanicien-vaporiste.
Plus de plafond bas mais des salles propres et grandes avec des tubes fluorescents pour l’éclairage, des brûleurs qui font bouillir de l’eau de mer dessalée pour créer de la vapeur sous pression, cette vapeur fait tourner une turbine reliée à un alternateur.
Le courant produit permet d’alimenter d’énormes moteurs électriques qui font tourner les hélices du bateau.
C’est moderne, puissant, rapide mais on est plus nombreux à bord, c’est presque la vie de caserne, on marche au clairon, on fait la queue à la cambuse, on peut être puni d’arrêts simples, d’arrêts de rigueur et il y a même un cachot si on fait une grosse bêtise et puis les mentalités ont changé surtout depuis les évènements de Mai 68 ; bref, ce n’est pas du tout comme sur le u-boot…
Et puis, on vieillit aussi, les nouveaux n’ont pas vécu tout çà, les sous-marins sont atomiques, ils restent tout le temps sous l’eau, ils descendent à plus de 200 m tranquillement mais eux ils ne peuvent pas se poser au fond comme nous le faisions, et puis ils sont nombreux à bord, presque une centaine, nous, nous étions une bande de copains et chacun était totalement tributaire de l’autre.
Aujourd’hui aussi les sous-mariniers sont solidaires mais ce n’est plus pareil, ce n’est plus la même ambiance, tout est électronique !
Allez Popeye, le passé ne reviendra plus ! Il te reste la nostalgie des souvenirs ; ‘’le bon vieux temps’’ comme disent les anciens.
Tout comme mon grand-père qui me parlait de Verdun, mon père de Sedan et de la libération de Paris, ce sous-marinier me parlait de « sa guerre à lui » dans un sous-marin qui en avait fait une autre.
Longtemps après leur disparition, ces gens ordinaires qui font l’histoire resteront toujours dans l’esprit de quelqu’un, quelque part dans le monde; cela s’appelle la Mémoire !...
Richard Djierjian
La sensation de la bannette à la verticale est très connue des sous-mariniers !
Pour nous, elle fut provoqué par un jeune EV qui voulait voir comment on réagit à une avarie de barres (AR).