Pour revenir aux anciens disques de Los Matadores des années 70, mis en ligne précédemment, voici quelques extraits d'un article rédigé par Patrick Labesse et paru le 19.09.2008 sur le site internet de RFI Musique, la veille du passage de Jaojoby à l'Olympia :
Bref rappel d’"effet". Jaojoby est un phénomène, capable de tenir cinq heures sur une scène, à Madagascar, avec ses musiciens et choristes, pour faire danser le salegy. Remontant au XVe siècle, d'après les affirmations des plus érudits sur la question, le salegy est un rythme infernal pour les danseurs néophytes. Il prend sa source au nord du pays, dans les rites de possession et ceux liés au culte des ancêtres.
Electrifié à la fin des années 1960, il est devenu l'emblème musical de tout le pays, porteur d'une danse joyeusement coquine.
A Madagascar, la presse a décidé un jour de surnommer Jaojoby, "roi du salegy". La scène internationale le connaît sous ce titre honorifique ...
Plutôt soul man"J’aurais très bien pu faire un album sans salegy", mais ce parti pris aurait du mal à passer. Jaojoby se sent un peu prisonnier de l’image qu’on a de lui.
"La spécialisation exigée par notre société m'a contraint à me concentrer sur le salegy. Mais moi, je suis un soul man.
Je dois dire, d’ailleurs, que le décès d’Isaac Hayes m’a beaucoup touché et j’avais pleuré quand Ray Charles est parti.
Pour mon mentor James Brown aussi."
En fait, cet album est comme un flash-back sur son passé, l’époque où il a fait ses premières scènes.
"Dans les années 70, à mes débuts, j’animais une boîte de nuit, à Diego Suarez, qui s’appelait le Saïgonnais.
Elle était tenue par un ancien légionnaire, marié à une vietnamienne.
C’était surtout les militaires qui la fréquentaient.
Une clientèle européenne pour laquelle nous jouions des paso doble, des valses, du cha cha cha, du jerk.
Notre groupe s’appelait Los Matadores.
Il y avait plusieurs chanteurs. Chacun avait sa spécialité.
Un pour la variété française, un Mauricien pour le séga et la variété anglo-saxonne, une fille pour les chanteuses françaises (Nana Mouskouri, Mireille Mathieu…).
Moi j’étais là pour le rhythm’n’blues et la soul."
Il interprétait les Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett
"On commençait à jouer du salegy, mais ce n’était pas le plat de résistance, juste un met exotique.
Je me souviens des Français qui disaient :
'allez, on va faire la danse du zébu !' car le salegy, on le danse à plusieurs et en tournant dans la salle, un peu à la manière des zébus qui piétinent les rizières."
En 75, quand Madagascar devient une république démocratique d’orientation socialiste, avec à sa tête Didier Ratsiraka, les légionnaires s’en vont.
"Nous avions perdu notre clientèle.
J’ai continué avec une nouvelle formation et un nouveau répertoire, des rythmes africains et de l’Océan indien, adaptés aux goûts des Malgaches.
On jouait dans des salles ou à la belle étoile dans les rizières, en branchant un groupe électrogène".
Chansons d'hierLe nouveau disque qui renvoie donc à l’époque où Jaojoby faisait danser les militaires en goguette ne pêche-t-il pas par son manque d’unité, une identité brouillée ?
A ces critiques, Jaojoby oppose sa fidélité à ses chansons d’hier, quand il n’avait pas encore accédé au statut de star à Madagascar.
"Ce sont des chansons en français, en anglais, en créole et en malgache que j’ai écrites dans les années 70 et 80.
J’aime mes chansons.
Je ne vais pas les renier.
Elles sont toutes dansables.
Et faire danser les gens, c’est mon travail !".
Son passage à l’Olympia, "salle prestigieuse s’il en est", Jaojoby sait que cela restera un souvenir fort dans sa mémoire, aussi intense que celui de cette chaîne de solidarité qui s’est constituée en 2006 pour qu’il puise aller se faire soigner à la Réunion, après un accident grave de la circulation sur une route de Madagascar, qui aurait pu lui être fatal.
"Je suis un miraculé", lance Jaojoby, jubilant à l’idée de faire trembler les murs de l’Olympia.