À l’arrivée à Foncine-le-Bas le premier car s’allège des enfants qui sont attendus par les familles d’accueil.
Nos petits copains en culottes courtes et galoches, les jambes et le teint pale font l’étonnement des villageois.
Puis quelques kilomètres parcourus en lacets, c’est notre tour de descendre du car et d’êtres happés, après désignation, par notre futur famille le temps d’un séjour.
Je me souviens qu’avec un autre garçon nous nous tenions la main, ne voulant pas êtres séparés, mais nos jérémiades n’y changèrent rien.
On nous assura que nous nous verrions chaque jour.
Lui, est « adopté » par le menuisier et moi par les Vuillaume, « le fromager ».
Le brave homme m’a déjà soupesé et déclare à sa femme et ses enfants qui sont venus attendre les « petits réfugiés », qu’il se fait un devoir de me faire prendre les kilos qui me font défaut, à la suite de quoi, chaque jour, je vais devoir passer sur la bascule à peser les meules de comté pour voir si j’ai pris un gramme…
Nous devons êtres dans les premiers jours de juillet.
Il fait un temps magnifique.
La campagne Franc-Comtoise bourdonne des premières chaleurs.
Chaque jour nous nous retrouvons avec mon copain et la colonie d’enfants parisiens.
Ensemble nous conjuguons nos espiègleries avec les enfants fonciniens.
À d’autres moments c’est la guerre des boutons !...
Sorti de ce cadre bucolique, la progression des troupes alliés et le retrait des allemands laissent derrière elles des milliers d’innocentes victimes.
Partout les maquis se montrent et harcèlent la Wehrmacht qui, en se repliant commet des exactions : otages fusillés, pillage et localités incendiées.
Le 30 août 1944, des bruits circulent que des troupes allemandes, en partie de divisions S.S., remontent de Dortan qu’elles auraient pillé et incendié, y fusillant 15 otages.
Dans la matinée des F.F.I. à bord de véhicules traversent Foncine en ordonnant à la population d’évacuer le village et de gagner au plus vite les bois environnants.
Le souvenir que j’en garde, est qu’à peine avoir eu le temps de prendre quelques effets et provisions, les premiers coups de feu se font entendre sur la route qui monte à Foncine.
Avec la famille Vuillaume et d’autres villageois nous gagnons les hauteurs après avoir passé à gué la Sayne, le cours d’eau qui longe le village.
Déjà les allemands déboulent le versant qui mène derrière la fromagerie des Vuillaume, à quelques centaines de mètres derrière nous.
Ils tirent sur la population.
Les balles nous sifflent aux oreilles.
Il y a déjà des blessés.
Par chance les maquisards retranchés dans quelques réduits les contiennent.
Un combat s’engage, ce qui nous laisse le temps de gagner la forêt.
Nous sommes maintenant sous un « épais couvert » de pins.
Des roches caverneuses nous offrent un abri, un tapis d’humus et d’aiguilles odorant, un lit.
La peur panique est tombée et a fait place à la fatigue et la crainte qui nous tenaille.
Les combats, tirs et canonnades, ont duré une bonne partie de la journée, puis c’est le calme à la nuit tombée.
Nous sommes là à nous demander si nous pouvons sortir de notre cachette ?
Quand, dans l’espace au dessus du rocher, un bruit de branches cassées nous fait de nouveau bondir le cœur…
Quelques sommations… en français…
Par bonheur ce sont des hommes du maquis lesquels, après nous avoir assuré que le danger est écarté et que les allemands, après de durs combats et de nouvelles exactions envers des personnes n’ayant pu fuir, en se repliant ont incendiés des fermes et sont remontés sur le Nord-est.
Le lendemain est un jour de désolation.
On dénombre dans la population de nombreuses victimes, des fermes incendiées, des cultures ravagées par les combats.
Nous sommes saufs… mais la crainte reste vive.
Des jeunes gens, armés d’armes de récupération, forment une arrière garde F.F.I. de sécurité.
Je me souviens que les enfants, nous tournons autour d’eux les pressant de nous montrer leurs pétoires et quelques maniements…
Quelques jours ont passés depuis ce dramatique évènement.
La vie a repris et le village panse encore ses blessures.
Lorsqu’un jeune homme arrive un matin en courant et signale sur son passage que de nouvelles troupes sont en vue de Foncine-le-Bas !
C’est la panique !
De nouveau nous voilà à courir sur les pentes qui mènent à la forêt.
Nous n’irons pas plus loin.
Des cris et gestes nous rappellent.
Ce que l’on a cru être des allemands, sont en fait les premiers éléments de troupes alliées.
Une indescriptible clameur de joie, une entrée triomphale les accompagne !
On sort les drapeaux…
On rit… on pleure…
C’est tout à la fois !
L’année suivante, alors que la guerre va se terminer en Allemagne, nous reviendrons à Foncine retrouver notre famille d’accueil, pour vivre cette fois de véritables et magnifiques vacances.
… Beaucoup plus tard, je suis retourné avec mes enfants dans ce coin du Jura, un pèlerinage en quelque sorte, leur en faire le récit, sur place, de cette tragique journée.
C.L. (Extrait de mes mémoires).
Foncine (867m.), dans les années 1980.