C'est là que beaucoup d'entre nous ont l'occasion de vérifier si les filles d'Asie sont à la hauteur de leur réputation.
Bien qu'en l'occurrence, il ne faut pas s'attendre au miracle.
Le soir, sortie dans Saïgon où l'animation est, si possible, pire que dans la journée.
Je perçois enfin ma première solde qui n'est certes, pas celle d'un nabab.
Trois cents piastres par mois m'autorisent tout de même à deux ou trois soirées de cinéma, quelques paquets de cigarettes, boissons, et ... autres.
A l'entrée des cinémas, les autochtones sont fouillés, les femmes en particulier.
Le sport du moment est, pour le Viet-minh, le jet de grenades dans les salles fréquentées par la troupe. Certaines femmes, convaincues du bien-fondé de la lutte pour l'indépendance, dissimulent les grenades dans leur chignon, que les Vietnamiennes forment avec leurs longs cheveux.
Nous avons reçu des tenues kaki, il ne nous reste de marin que le bachi.
C'est la tenue des fusiliers-marins, ce corps constitué seulement en cas de guerre et destiné à faire flèche de tout bois.
Les mêmes fusiliers-marins qui m'étaient apparus les premiers sur leurs chars le 3 septembre 1944, lors de la libération de Lyon.
La diversité des spécialités, notre connaissance du lieu aquatique ajoutés à notre instruction de "soldats" nous permettent de nous débrouiller là où d'autres connaîtraient leurs limitent.
Après quelques jours d'instruction à la base ; l'affectation est tombée.
Pour moi, ce sera Canthö, Marine Canthö.
C'est dans un camion de l'armée coloniale que, muni d'un fusil et de mon sac, je rejoindrai mon poste.
Sortis de Saïgon, nous prenons l'étroite route goudronnée en direction de l'Ouest.
Tous les trois ou quatre kilomètres, une tour de guet occupée par des supplétifs annamites, surveille la route.
La plupart du temps, cette tour est construite en bois à l'aide de troncs d'aréquiers bien droits.
Ces supplétifs sont installés là avec femme et enfants.
La nuit venue, ils retirent l'échelle d'accès à l'unique ouverture, protection symbolique qui doit en cas d'attaque, les sauvegarder.
En fait, les coups de feu provoquent l'intervention des blindés, si la route n'a pas été coupée au préalable, dont les bases sont échelonnées tous les vingt-cinq kilomètres environ.
Pourvus également d'une tour ou d'un poste plus important, quelques îlots de paillotes interrompent de temps à autre, l'océan végétal.
C'est par un pont métallique type "Eiffel" que nous franchissons le Bassac, un bras du Mékong au delà duquel on arrive à Canthö, deuxième ville de Cochinchine.
Occupé par la marine, le "bungalow " sorte d'hôtel pour Européens de passage, est une construction en dur pourvue du meilleur confort que le permettait l'époque à laquelle il a été édifié.
On trouve un bungalow dans chaque ville de quelque importance.
Celui de Canthö est bordé d'un côté par le Bassac, de l'autre par le rach qui s'y jette.
Grosse bâtisse à un étage, il abrite une vingtaine d'hommes avec armurerie, P.C. radio ainsi que toute l'intendance.
Le restaurant du rez-de-chaussée resté ouvert aux civils, est géré par une matrone européenne sans âge.
Le paysage environnant est caractéristique de cet immense delta du Mékong : palmiers d'eau, cocotiers, aréquiers penchent leurs énormes feuilles vertes vers les eaux limoneuses des milliers de cours d'eau.
Sur ces routes liquides, jonques et sampans vont et viennent, parfois chargés à ras-bord.
Sur l'arrière du sampan, le pêcheur lance son épervier par une savante torsion du buste.
L'incroyable prolifération des poissons de toutes espèces a assuré dans les siècles passés et assurera pour les siècles à venir l'alimentation des habitants de Cochinchine.
Le chaud soleil allié à l'humidité du sol garantit deux, trois et jusqu'à quatre récoltes de riz annuelles.
Avec la pratique de l'élevage de volailles et de porcs, la population du Sud n'a jamais connu la famine.
Pendant l'occupation japonaise de 1940 à 1945, la marine française s'est efforcée de ravitailler le Tonkin où sévissait la famine, dans la mesure où le passage de ses bateaux était permis par les Américains qui en coulèrent plusieurs.
Des marins français payèrent ainsi de leur vie le souci de l'administration coloniale de préserver les vies des populations dont elle avait la charge, ce qui n'empêchera pas les révisionnistes de l'histoire de la décolonisation d'affirmer que la famine était organisée par ces autorités coloniales.

A plus, les amis.