Parmi les mauvais souvenirs de la guerre d’Indochine, il en est un, lié à la santé, qui semble futile mais ô combien pénalisant.
Ce n’est pas un des classiques tropicaux de la santé tel que la malaria, le typhus, la dysenterie amibienne, ou une méchante maladie vénérienne.
Non !
Il ne s’agit que de maladies de peau.
- Spoiler:
- Un LCI n’est qu’une boite métallique avec un moteur.
Pas d’isolation, pas de ventilation, pas de climatisation.
Résultat l’intérieur était une vraie fournaise.
Et les tôles étaient brulantes.
La conséquence directe est que nous transpirions de façon intense et continue.
Nuit et jour.
Il s’en suivait une importante irritation des pores de la peau entrainant des maladies de peau particulièrement persistantes puisque la cause n’était jamais supprimée.
Les deux grandes variétés se surnommaient : la bourbouille et les dartres annamites.
Quelquefois une infection s’y installait nécessitant une hospitalisation.
Les dartres annamites sont des crevasses sur la peau de quelques centimes de long et d’une profondeur entrainant souvent un saignement.
Elles apparaissent principalement aux endroits humides : l’aine, les dessous de bras…
Au moindre mouvement elles risquaient de saigner.
La bourbouille se présente sous formes de plaques grandes comme une demi-main, d’aspect boutonneux, boursouflant, de couleur noirâtre.
Ces plaques apparaissent n’importe où sur le corps.
Elles sont particulièrement sensibles au point de ne supporter aucun contact, même une chemisette.
Donc, à bord, nous avions tous nos problèmes de peau.
En conséquence nous étions tous en short flottant.
Les slips ne se portaient pas à cause des dartres annamites dans l’aine.
Les services de santé n’avaient pratiquement aucun moyen de guérir ces maladies d’autant que la cause (sudation importante et permanente) n’était jamais supprimée.
Mais ils imposaient une désinfection systématique de la peau afin d’éviter une infection des plaies.
Le Borotitane en poudre nous soulageait, sans plus.
Notre infirmier, suivant les consignes des services de santé s’occupait de nous désinfecter.
Tous les matins, il préparait dans un grand sceau métallique, une mixture magique pour nous « purifier ».
Cette mixture se composait principalement de teinture d’iode et d’alcool.
Chaque matin notre infirmier s’installait sur la plage arrière avec son sceau et un gros pinceau de peintre en bâtiment.
L’équipage s’alignait en file indienne afin de passer chacun son tour devant l’infirmer.
Chacun présentait sa partie malade (épaule, fesse, genoux…) et l’infirmier, tel un prêtre baptisant, trempait son pinceau dans le sceau et peignait généreusement la partie de la peau atteinte.
Personnellement le climat indochinois m’avait fait cadeau de dartres annamites dans l’aine et sur les testicules (les crevasses signaient souvent).
En arrivant devant l’infirmier, je baissais mon short, et en deux coups de pinceaux magistraux mes crevasses étaient plaines d’alcool.
Aie ! Aie ! Aie !
La brulure était insupportable et dès le short remonté je courrai comme un dément sur la plage arrière en sautant de façon désordonnée.
En fait, nous courrions tous, car l’alcool sur des plaies presque à vif nous brulait de façon insoutenable.
Tous les matins la plage arrière se transformait en une espèce de piste de danse où des déments gesticulaient, sautaient, courraient dans une sorte de danse frénétique.
Une véritable danse de Saint-Guy digne d'un asile d'aliénés.
L’infirmier repartait avec son sceau et son pinceau magique.
A demain !
On recommence.
André