Notre première tâche est le démontage des moteurs, l’avion devant partir au parc à ferraille en pièces détachées.
Nous nous sommes mis courageusement au travail, et après avoir démonté les démarreurs, carburateurs et autres pièces, nous avons attaqué la couronne d’échappement des cylindres. Mais là, surprise. sous l’effet de la chaleur et de l’âge, tout était cuit et pour ainsi dire fondu dans la masse. Le recours à l’extracteur des boulons de fixation s’étant révélé inopérant, c’est à coups de marteau et de burin que nous avons tenté le démontage. Rien à faire !!! L’extracteur de boulons s’étant irrémédiablement coincé, il fut donc décidé de le laisser en place.
Dans l’autre moitié du hangar, des militaires américains nous regardaient faire d’un air goguenard. Les Américains, qui détenaient la totalité de la base depuis 1942, en avaient rendu la souveraineté à la Marine en 1948, mais seulement en partie, et occupaient toujours une moitié du grand hangar. Ce qui, compte tenu de la disproportion des moyens matériels respectifs ne manquait pas de provoquer des situations pour le moins cocasses.
Le lendemain, nous étions là, perplexes devant le moteur toujours en chantier lorsque l’ingénieur, suivi du premier maître mécanicien, nous dit : - Allez les gars, au boulot… il faut tout remonter, l’avion doit partir à Agadir pour y servir à l’escadrille 55.S .
Et nous voilà partis au parc à ferraille récupérer les pièces si difficilement enlevées la veille, puis les remonter et comble de bonheur, le faire sous le regard franchement ironique des Américains.
Quelques jours plus tard tout est remis en état, moteurs, voilures (trous rebouchés à grand renfort de toile et d'enduit colle).
Tout le personnel est présent pour le point fixe qui est parfaitement réussi. Le lendemain doit avoir un vol d’essai de 8 heures à 8 heure 30. Le 2.F-4, MF578, est fin prêt pour son envol. Comme pour toute vedette, le public est nombreux, essentiellement composé d'Américains qui sont grimpés sur le toit du hangar pour ne rien manquer du spectacle organisé par ces crazy frenchies...
Le lieutenant de vaisseau Philippe de Gaulle qui vient d’arriver en tant qu’officier en second de la flottille s’arrête devant le « Wellington », flanqué d’un matelot sans spé porteur d’un extincteur. Le lieutenant de vaisseau X… et son équipage montent à bord. Je suis debout sur le pneu pour faire les injections d’essence indispensables au démarrage du moteur droit. Le second maître mécanicien me fait signe d’effectuer 5 injections, ce que je fais aussitôt. L’hélice est lancée. Dès le deuxième tour un nuage de fumée blanche s’échappe du moteur, il y a le feu. Le jeune matelot préposé à l’extincteur s’affole, panique et c’est Sosthène (surnom de Ph.de Gaulle) qui éteint l’incendie. Pendant ce temps tout l’équipage a évacué l’appareil.
Les Américains rigolent. A l'époque ils en étaient, pour les lourds, au P2V et Mercator, et pour la chasse aux jets Panther et Banshee... c'est dire !.
Ouverture des capots moteur, inspection, OK tout va bien, pas de dégâts. Le pilote remonte alors dans le Wellington en compagnie de son co-pilote, ou second mécano, je ne sais plus : - Deux seulement, si on se crashe, deux suffiront amplement. Puis penché à la fenêtre du poste de pilotage, il me dit : - Petit, ce coup-ci, une seule injection, on verra bien. Premier tour d’hélice, un doux ronron et voilà le 2.F-4 qui roule et décolle.
Après un vol avec montée à la verticale, piqués, feuilles mortes et autres figures acrobatiques musclées, retour au sol.
Le pilote en descendant nous dira simplement : - Bravo les mécanos, il est bon pour le service, mais il faudra signaler qu’il a tendance à virer à gauche et qu’il faut bien tenir le palonnier.
Les Américains applaudissent.
Le plus drôle de l’histoire c’est qu’en 1954 je suis muté à Agadir comme quartier-maître affecté au garage.
Et je découvre alors, stupéfait et amusé, dans le parc à ferraille de la base, mon MF578, 55.S-9, ex 2.F-4, avec toujours en place l’extracteur de boulons exactement là où nous l’avions laissé lors du fameux démontage !! On m’a raconté que durant toute sa période de fonctionnement à Agadir, tous ses vols s’étaient parfaitement déroulés. Que de tours de piste avait dû faire la brave bête avant de finir là ... et combien de pilotes lâchés en solo à ses commandes...
Jacques-Louis Tarroux
Additif par JC Laffrat SM radio volant en poste à Agadir de 1949 à 1951 :
Le MF 578 en provenance de Takoradi avait étét mis en service à la 2FB de Ouakam le 11 juillet 1945 sous le code n° 2F-4. Les plumes de la brave bête comme dit Tarroux avaient pour sûr vu du paysage et accumulaient beaucoup d' heures de vol ...
Trop fort les Pingouins...