Depuis le 1er février dernier, 52 ans après le drame, une plaque commémorative repose désormais sur l’épave du sous-marin La Minerve. Comment s’est préparée cette expédition qui vous a permis de plonger aussi profond ?
Le 20 décembre dernier, j’ai été contacté par un spécialiste français de la plongée sous-marine, Paul-Henri Nargeolet (NDLR : ancien officier de la Marine nationale, spécialisé dans le déminage et l’intervention sous-marine, il fait figure de spécialiste français du Titanic. Depuis sa participation à la première exploration de l’épave, en 1987, il a effectué une trentaine de plongées sur le Titanic). Il travaille, notamment, avec un milliardaire américain, Victor Vescovo (au centre sur la photo), qui consacre sa fortune à l’exploration des fonds marins et qui, pour cela, s’est fait construire le sous-marin biplace Limiting Factor, qui a la capacité de plongée la plus profonde du monde (NDLR : capable de plonger jusqu’à 14 000 m, le Limiting Factor est descendu jusqu’à 10 927 m de profondeur, le 1er mai 2019, dans la fosse des Mariannes).
Plongée sur l'épave de La Minerve :
Explorateur américain, Victor Vescovo est propriétaire du bâtiment Pressure Drop et du sous-marin biplace Limiting Factor (Photo Axel Manzano/Ministère de la Défense)
J’ignorais tout de ce milliardaire mais c’est lui qui a proposé de nous faire plonger, sans aucune contrepartie, juste un mot de remerciements pour son pressbook. J’étais un peu sceptique au début mais c’était pour moi une occasion rêvée, unique, de réaliser deux objectifs : de poser une plaque commémorative sur l’épave - j’y pensais depuis la localisation de l’épave, en juillet dernier - et de recueillir de nouveaux plans d’images pour pouvoir bientôt conclure sur les causes de l’accident. Il n’y avait que cette date possible, c’était cela ou rien. En un mois, il a donc fallu s’arranger avec la Marine et la Drassm (Direction de la recherche d’archéologie subaquatique et sous-marine, qui dépend du ministère de la Culture), qui est propriétaire de l’épave, en quelque sorte.
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Comment s’est déroulée la plongée ?
On nous avait prévenus qu’il n’y aurait qu’une plongée, peut-être deux. J’ai donc demandé à l’Amiral Barbier de descendre car c’est un expert, aujourd’hui à la retraite, qui travaille sur les causes de l’accident et est capable d’interpréter ce qu’il voit. Il est donc descendu avec Victor Vescovo aux commandes. Il a fait plein de prises de vues que nous n’avions pas. Il est le seul expert à avoir vu l’épave. Nous sommes désormais assez confiants pour pouvoir donner une explication inattaquable sous peu. On sera très solide au moment de sortir ces explications.
Plongée sur l'épave de La Minerve :
(Photo Axel Manzano/Ministère de la Défense)
Puis, vous êtes descendu également. Pourquoi y a-t-il eu une deuxième plongée ?
Car la pose de la plaque a échoué la première fois, elle est restée accrochée au sous-marin, sans que l’on s’en rende compte. J’ai donc fait la deuxième plongée avec M. Vescovo et on a posé la plaque à 10 h 30 le samedi 1er février. On a eu de la chance : elle est tombée sur la tranche avant de basculer du bon côté, celui où l’on voit l’écriture. On a alors déclenché La Marseillaise à plus de 2 000 m de fond. Ç’aurait été une frustration terrible pour moi de ne jamais voir l’épave, c’était la seule occasion de ma vie.
Plongée sur l'épave de La Minerve :
« Marins de La Minerve, nous vous avons cherché, nous ne vous avons jamais oubliés. Vos familles, vos frères d’armes, vos amis. 21 juillet 2019 (date de la localisation de l’épave) », peut-on lire sur la plaque commémorative posée, samedi 1er février 2020, sur La Minerve (Photo Marine nationale)
Vous n’étiez jamais descendu si bas ?
Je n’étais jamais descendu tout court. Vous passez 300 m, vous vous dites que c’est la profondeur maximale d’un sous-marin ; 600 m, c’est l’implosion ; 1 000 m, vous pensez : "mais nom de Dieu, c’est une profondeur à quatre chiffres" ; puis 2 000 m... puis le fond. On a mis une heure pour descendre et quand on remonte, il vaut mieux être bien attaché : on est comme une bulle d’air, ballotté comme une balle de ping-pong. L’image que je garde, c’est comme si vous vous trouviez dans une capsule Apollo dans l’espace : c’est bleu-noir, sombre, avec la lumière du sous-marin qui reflète sous les particules de l’eau, donnant l’impression d’un ciel d’étoiles. Et là, à 2 250 m de profondeur, j’ai vu la tombe de mon père. C’est bouleversant, c’est le moins que l’on puisse dire. Je suis toujours sous le choc.
On a été jusqu’au bout. Ce qui viendra maintenant ne sera jamais de la même ampleur
72 heures après la plongée, peut-on parler de soulagement ?
D’accomplissement, plutôt. Je me dis que nous avons fait tout ce que nous pouvions faire : on a retrouvé l’épave, mis en place une cérémonie avec la ministre des Armées Florence Parly et les familles, puis posé une plaque sur l’épave. J’ai été le seul à avoir le privilège de voir l’épave mais je me suis senti investi par toutes les familles. On a été jusqu’au bout. Ce qui viendra maintenant ne sera jamais de la même ampleur.
Plongée sur l'épave de La Minerve :
Quelques minutes avant la pose de la plaque commémorative sur l’épave de La Minerve, Christophe Agnus et Hervé Fauve, tous deux Brestois, entourent le milliardaire américain Victor Vescovo. Christophe Agnus (à gauche) est le fils de Jean-Marie, officier mécanicien de La Minerve. Hervé Fauve (à droite) est le fils d’André, commandant du sous-marin (Photo Axel Manzano/Minist
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