La Brigade des fusiliers marins : une reconstitution dans l’urgence de l’invasion
Avant toute chose, il convient de rappeler que ces fusiliers marins sont des soldats dépendant du ministère de la Marine ; ils sont trop souvent confondus avec les « bigors et les marsouins », soldats de l’artillerie et de l’infanterie de marine (L’artillerie de marine et l’infanterie de marine sont recréées…). En fait, et à proprement parler, ces derniers ne sont plus des troupes de marine puisqu’elles ont été rattachées au ministère de la Guerre en 1900 après la création de l’infanterie coloniale (Décret du 17 juillet 1900 ).
. Parallèlement, c’est le décret impérial du 5 juin 1856 qui institue la spécialité de « marin fusilier » dont la formation est assurée dans un bataillon organisé à Lorient, bataillon formé à l’origine avec les seuls inscrits maritimes, dont une majorité de Bretons, commandés par des officiers de marine. Ce personnel embarqué est spécialisé dans le combat à terre et il participe notamment aux expéditions et débarquements en Chine, en Cochinchine, au Tonkin, à Madagascar, mais à la veille de la Première Guerre il n’a plus guère d’importance.
En octobre 1914, après la bataille de la Marne, l’État-major français recherche dans l’urgence toutes les troupes disponibles pour participer à « l’affolante et sanglante poursuite » (Duroselle Jean-Baptiste, La Grande Guerre des…) qui consiste à rejoindre la Mer du Nord. C’est pourquoi cette unité si particulière est engagée sur le front. La plupart des inscrits maritimes incorporés dans la brigade ne sont pas des fusiliers formés au maniement des armes, mais souvent de simples matelots sans spécialité, sans préparation militaire adaptée, sans aucune connaissance du combat et notamment celui d’infanterie de ligne. De plus, l’incorporation n’est pratiquement jamais un choix délibéré ; le fusilier marin, le « sacco » en argot maritime, est toujours en butte à la moquerie des inscrits. Alors, comment se fait-il que des marins professionnels se soient retrouvés combattants dans des unités terrestres au plus fort des combats ? D’une part, après les terribles pertes de la bataille des frontières et dès avant la Marne, toutes les unités sont mises à contribution et des réservistes, ou des marins, doivent combler les vides de l’armée d’active et sont engagées en première ligne (Masson Philippe, « Technique et effectifs, la mutation des…). D’autre part, en vertu de l’article 11 de la loi du 8 août 1913 qui permet bien de « verser à l’armée de terre les inscrits maritimes en excédent aux besoins de l’armée de mer », bien que les modes d’utilisation de ces contingents n’aient jamais été nettement définis. Doit-on les affecter aux formations existantes ou les constituer en unités autonomes (Le Goffic Charles, Dixmude, un chapitre de l’histoire des…)
Après une entente avec le ministère de la Guerre, les mobilisés sans affectation dans les dépôts des équipages de la Flotte peuvent être versés dans des régiments d’active. Bref, la Marine offre à la Guerre tout ce qui n’est pas indispensable à sa mission de défense maritime. Très rapidement aussi, il est décidé de reformer le bataillon de fusilier marin dissous depuis le 1er août. En effet « au lendemain du 4 août on avait licencié – un peu à la légère – l’École des fusiliers marins, pépinière naturelle des bataillons de marche » (Le Goffic Charles, Bourguignotte et pompons rouges, Paris,…).
Recréée le 7 août 1914, une semaine après la mort de Jaurès, la brigade de marins est destinée à maintenir l’ordre dans Paris et renforcer les forces de police de la capitale. Elle est composée en majorité d’inscrits maritimes réservistes (Service historique de la défense Marine, Lorient, 3 P 4-14),…, de jeunes de l’École des fusiliers (Selon l’arrêté du 27 février 1914, le bataillon des apprentis…) et de fusiliers marins encadrés par de jeunes officiers de marine, voire des enseignes de vaisseau et de quelques officiers mariniers des Équipages. Depuis la formation de la première compagnie de fusiliers, il ne cesse de s’en constituer de nouvelles, provenant des différents ports militaires : trois compagnies de Cherbourg, quatre compagnies de Brest, quatre aussi de Lorient et puis de Rochefort et enfin de Toulon (Ronarc’h Pierre, Souvenirs de la guerre, Paris, Payot, 1921). Pour étoffer les effectifs, il convient de rappeler tous les hommes disponibles commandés par l’amiral Ronarc’h :
« Un rude chef, aussi bon organisateur que bon soldat et bon marin. Né à Plounéour (Finistère), de taille moyenne mais admirablement découplé dans sa souple et nerveuse carrure, il est resté jeune à quarante-neuf ans comme au temps où, aide de camp de l’amiral Courrejolles, il faisait partie de cette célèbre colonne Seymour, envoyée au secours des légations à Pékin et qui laissa toute son artillerie aux mains des Boxers – sauf celle du détachement français…. » (Capikerne Jean, « Les Héros de Dixmude », dans Les Annales du…)
Officiellement constituée le 22 août, la brigade compte environ 6 600 hommes : elle est formée par les 1er et 2e Régiments de Fusiliers Marins (rfm), de trois bataillons chacun. Dès le 13 août, les premiers fusiliers partis de Brest arrivent dans la capitale avec une mission de police militaire, pour la protéger et la surveiller. Ils arrivent dans Paris transformé en camp retranché. Cantonnés à Creil, ensuite à Stains, puis à Pierrefitte, ils « rognonnaient d’être ainsi contraints de loger à Paris. Ils aspiraient au danger. Ils avaient la nostalgie du front » (Le Bail Georges, op. cit., La Brigade de Jean Le Gouin…, p. 13).
La nostalgie ? Certainement pas puisqu’aucun d’entre eux n’a jamais connu le feu. En fait,
ces soldats sont, pour la majorité d’entre eux, sans aucune connaissance du métier des armes ; sur les 6 585 hommes que compte la brigade, 1 443 seulement sont des fusiliers brevetés (Laouénan Roger, Des demoiselles au feu. L’épopée des fusiliers…).
Les autres n’ont pratiquement jamais tiré avec un fusil et n’ont aucune spécialité ou bien ils sont cuisiniers, boulangers, gabiers, électriciens, mécaniciens, fourriers, manœuvriers… pas des soldats. De plus, on constate « que l’encadrement des deux régiments est assez léger en nombre d’officiers. Il y a des manques » (Laurent Guilhem, « Brigade des fusiliers marins le 7 octobre…). Bretons (Sur les 14 778 soldats qui combattirent au sein de la brigade…), marins pêcheurs ou de commerce, simple matelot, officier marinier et officier de marine, ils n’ont aucune conscience de ce qui se prépare.
« Jamais troupes, on peut le dire aujourd’hui, ne fut formée comme celle-ci de bric et de broc, au pied levé, avec des hommes moins entraînés, dont quelques- uns… savaient à peine charger leurs fusils » (Le Goffic Charles, Bourguignotte et pompons rouges, Paris,…)
Conséquence des pertes désastreuses du mois d’août, le 2 septembre 1914, la brigade des fusiliers marins devient « régiment de marche ».
L’engagement dans les Flandres : une hécatombe
Un mois plus tard, le 4 octobre, l’amiral Ronarc’h et ses hommes reçoivent l’ordre de faire route vers le Nord, vers Dunkerque. Le 7 au matin, ils embarquent dans les gares de Villetaneuse et de Saint-Denis. Particulièrement remarqués à leur départ de Paris car ils portent le béret à pompon rouge des marins, toute la population se presse sur le passage de ces soldats dont certains ont à peine 17 ans et les surnomme les « demoiselles au pompon rouge », ou les « demoiselles de Ronarc’h ». La mission est de rejoindre la Belgique pour assister le repli de l’armée belge en passant par Gand jusqu’à l’Yser. Au cours de cette opération, les fusiliers participent à leur fait d’arme le plus célèbre, la défense héroïque de Dixmude au côté de l’armée belge. Ils sont rapidement confrontés aux réalités des combats, et la presse nationale s’enthousiasme pour les faits d’arme de ces quelques soldats perdus dans les brumes du Nord et bien incapables de comprendre leur rôle dans cette Grande Guerre qui pour eux prend rapidement un sens on ne peut plus réel.
« On les avait d’abord mandés à Paris, nos chers matelots, pour leur confier le soin d’y faire la police, d’y maintenir le bon ordre, le silence, la bonne tenue, – et je n’avais pu m’empêcher de sourire : cela leur ressemblait si peu, ce rôle tout nouveau que l’on imaginait de leur faire jouer !… Car enfin, soit dit entre nous, la correctitude dans les rues des villes n’a jamais été leur principal triomphe, à mes braves petits amis… Et enfin le jour de joie et de belle griserie arriva, où on leur dit qu’ils allaient tous aller au feu ! […] » (Loti Pierre, « Le drapeau que nos fusiliers marins n’ont pas…)
Les trois premiers morts, trois Bretons, tombent dès le 20 septembre, à Montdidier dans la Somme, tués dans leur wagon suite à un bombardement allemand (Pinguet Jean, Trois étapes de la brigade des marins, la Marne,…). Mais les premiers affrontements se déroulent à quelques kilomètres de Melle, en Belgique, où la brigade des fusiliers marins est engagée pour la première fois « pendant toute la journée du 9 octobre, et la nuit du 9 au 10, contre des forces allemandes qu’elle a repoussées en leur infligeant de fortes pertes : 200 tués, 80 prisonniers. Les pertes françaises sont de 9 tués, 39 blessés, 1 disparu » (Pages d’histoire – 1914-1915, Communiqués officiels depuis la…). En fait pour le 2e rfm, les pertes sont bien plus lourdes : matelot Kerreneur Guillaume de Ploudalmézeau, canonnier Le Coq de Pénestin, matelot Le Dréau d’Audierne…
On les envoyait en hâte à Gand, pour protéger la retraite de l’armée belge. Mais en route, on les arrêta à Dixmude, où les « barbares à couenne rosée » étaient en nombre dix fois plus fort qu’eux, et où il fallait tenir coûte que coûte, pour empêcher que l’abominable ruée se propageât plus loin. On leur avait dit : « Le rôle qu’on vous donne est dangereux et solennel ; on a besoin de vos courages ; pour sauver tout à fait notre aile gauche, jusqu’à l’arrivée des renforts, sacrifiez-vous ; tâchez de tenir au moins quatre jours. » Et ils ont tenu vingt-six mortels jours ! Ils ont tenu presque seuls ; les renforts, par suite de difficultés imprévues, ayant été insuffisants et tardifs. Et ils ne sont plus aujourd’hui que trois mille, sur six mille qu’ils étaient au départ !… »
Il faut, au plus vite compenser ces pertes ; ce sont donc 4 000 matelots supplémentaires des Équipages de la Flotte, à l’époque sans embarquement, qui sont mis à la disposition du département de la Guerre : 1 400 en provenance du dépôt de Cherbourg, 1 000 de Brest, 600 de Lorient et 1 000 de Toulon (shd, Marine, Lorient, 7 P 6-35 ; Bordeaux, le 23 octobre 1914,…), et la plupart sont incorporés aux bataillons de fusiliers marins formés à Lorient où se trouve l’école. Parfois sans motif légitime comme nous l’apprend la lettre de madame Quémeneur s’inquiétant du sort de son époux dont elle n’a plus de nouvelles depuis sa mobilisation ; l’administrateur de l’Inscription dont il dépend lui répond que « cet inscrit a été mobilisé, à tort, par la guerre… le recrutement est disposé à le libérer pour le mettre à la disposition de la Marine » (shd, Marine Brest, 2 P 1-96, Paris, le 10 novembre 1914, le…). Il en est de même pour un matelot de Belle-Île versé dans l’Armée de terre alors qu’il n’a pas terminé ses cinq années de service obligatoire dans les Équipages de la Flotte prévus par la loi du 24 décembre 1896 (shd, Marine Lorient, 3 P 4-14, Paris, le 20 mai 1915, le…)
Finalement, le 3 novembre, les inondations de l’Yser empêchent la poussée des armées allemandes et fixent le front sur le fleuve. Le commandement en chef de l’armée allemande constatant l’échec de l’offensive donne l’ordre de cesser la progression, mais les combats ne cessent pas avant la fin de décembre et les décès le prouvent. Les régiments de fusiliers marins sont alors relevés ; sur les 6 150 hommes de la brigade Ronac’h, 3 590 ont été mis hors de combat. Les forces belges (Léon Bocquet, Ernest Hosten, L’Agonie de Dixmude. Épisodes de…) et les tirailleurs sénégalais (Il s’agit des tirailleurs sénégalais du 3e bataillon du Maroc…), systématiquement oubliés dans les hommages pressants rendus aux fusiliers de Dixmude, ont combattu aux côtés des fusiliers et connaissent des pertes tout aussi élevées. La relation des faits par les journaux de l’époque est fortement édulcorée et il n’est jamais question du massacre, seulement du panache de ces fiers Bretons.
Source : revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-4-page-5.
Roger Tanguy a écrit:Dis Bébert, tu pourrais nous en dire plus sur ce "galon réduit" ?
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Marinedk a répondu. Cerclé le galon réduit et le ruban de l'insigne des blessés.