Pêcheur d'Islande, le dernier roman de Pierre Loti, est conçu et écrit dans le même sentiment d'art, avec le même amour de la vérité et le même souci du plein air que Mon frère Yves, histoire naïve et familière d'existences de pauvres gens, de pêcheurs bretons qui ne traversent aucun événement romantique où l'on naît, où l'on peine, où l'on aime, où l'on meurt, comme nous voyons tous les jours naître, grandir, peiner, aimer, mourir les petits et les humbles autour de nous.
Cela est simple, émouvant et bon.
Un grand souffle de poésie agreste et maritime passe sur ces récits et les anime, comme le vent du large anime les ajoncs des landes.
Ainsi que dans Mon frère Yves, à côté de la vie douloureuse de l'homme, la vie énorme et superbe de la nature.
Ce sont des paysages bretons résumés en quelques lignes, qui donnent à cette contrée si particulière et si mélancolique son caractère spécial, rendent sa beauté de terre hiératique et sauvage, et ce rêve épars sur les landes brumeuses, et ces légendes que redisent les bois de pins, qui pleurent sur les rochers que la mer bombarde et qui prient sur les vieux calvaires gothiques au tournant des chemins pierreux gardés par les vierges de granit, au nez camard, et les anges difformes, accroupis sur les bras de croix mutilées.
Les paysages de Pierre Loti ne suggèrent rien à M. Guy de Maupassant.
Il n'a pas revu la Bretagne avec son Frère Yves et Pêcheur d'Islande.
Il n'a pas revu non plus l'Algérie avec le Roman d'un spahi.
Mais n'est-ce point plutôt la faute de M. Guy de Maupassant que celle de M. Pierre Loti ?
Et cela ne prouve-t-il pas seulement que la vision de l'un est différente de celle de l'autre ?
Et. lorsque M. de Maupassant vient vous déclarer que l'Inde lui est apparue dans la magnificence de sa lumière, dans le mystère de ses religions, dans l'histoire de ses races à travers le livre de M. de Sabran-Pontevès, n'est-on pas en droit de suspecter je ne dis pas la sincérité de son jugement - mais la sincérité des sensations et l'exactitude de son œil ?
Beaucoup se sont essayés à peindre cette Bretagne si difficile qui n'ont réussi qu'à reproduire plus ou moins les impressions du Guide Joanne, et qui font tenir tout ce pays étrange et mal connu dans le figuier de Roscoff, la lune de Landerneau, et le ventre pantagruélique de l'aubergiste Batifoulier.
Pierre Loti est un des très rares qui l'aient comprise et qui y aient cueilli cette mystique fleur de mélancolie au parfum si amer et si pénétrant.
D'ailleurs, il a donné à tout ce qu'il a touché l'empreinte de son esprit tourmenté de visionnaire, aussi bien lorsqu'il raconte le Pardon de Toulven et les rues de Brest grouillantes d'ivrognes, que lorsqu'il nous décrit les danseuses birmanes, aux yeux morts, aux ongles d'or, ces danseuses qui revenaient hanter l'imagination du frère Yves, alors que la tempête rugissait et secouait, sur les hunes brisées du Primauguet, les pauvres marins en perdition.
L'intégralité de l'article a été publié dans Gil Blas, du 13 juillet 1886, disponible en ligne sur Gallica.