Jeune second-maître sur la Doris , j’étais l’adjoint du Maître de service « le grand Pic » pour le réveillon du jour de l’an 1967 . Nous étions à Castigneau amarrés au quai qui est perpendiculaire au quai Isabelle équipé de deux grues . Derrière nous était amarré le Rolland Morillot dont la plage arrière arrivait à l’angle formé par les deux quais .
Vers 22H00 , le junker de Missiessy nous livre le repas du réveillon dans des gamelles norvégiennes . Nous nous mettons à table au poste AV presque aussitôt avant que tout ne refroidisse . Nous dégustons ce succulent repas concocté par les cuistots de la Base , repas arrosé par quelques bouteilles de «vin de précision » comme il se doit ….
Vers 23H30 , notre Officier en Second nous rend visite ; il est fort bien accueilli ( il avait une bouteille de champagne dans chaque main !!! ) il nous fait son petit speech , nous souhaite une bonne année et un joyeux Noël etc… etc… et nous buvons le champagne tous ensembles . Après avoir été vivement remercié , l’O2 nous quitte pour continuer la fête avec ses amis ….
Nous montons tous sur le quai à minuit pour assister au concert des sirènes des bateaux gris et au ballet des projecteurs dans la nuit ; les gars du Morillot nous rejoignent et nous participons modestement à ce concert à l’aide de notre sifflet , le collecteur d’air haute pression pouvant bien descendre de quelques bars !!!!!
Quand tout cela fut terminé , nous nous proposons de boire un pot tous ensembles pour arroser la nouvelle année et Noël , après recherche : il n’y avait presque plus rien à boire !!!
Quelle bande de tacots !!! une seule solution : appeler Missiessy à l’aide !!!
Le Maître de service de la Base est contacté non sans mal .
- Pas de problème les gars , envoyez-moi quelqu’un !!! je m’occupe de vous !!!
Quelle chance d’être tombés sur une âme charitable et compréhensive !!!
Un gars du Morillot , propriétaire d’une superbe Mobylette bleue fut volontaire désigné d’office ; son pote de sortie se proposa illico de l’accompagner ; et voilà nos deux compères partis en mission de haute importance , celui qui était assis sur le porte-bagages tenant un bidon alu dans chaque main …
Une demi-heure passe ; ils n’étaient toujours pas revenus !!! trois quarts d’heure …. toujours rien …une heure !!! toujours pas là !!! Ca commence à bien faire !!! on appelle Missiessy …. Avec bien du mal , on retrouve le patron de service qui nous promet de nous renvoyer nos deux émissaires le plus vite possible …
Quelques minutes plus tard , on entend une pétarade de cyclomoteur , et on aperçoit un phare qui prend le virage au bout des bassins … ce sont eux !!!! Enfin !!! il commençait à faire soif !!! Nos émissaires foncent à plein pot pour rattraper leur retard …. Ils passent sous la première grue ….passent sous la deuxième … et foncent tout droit …. Ne voyant pas l’angle du quai …. Et sautent par-dessus le cul du Morillot pour amerrir dans une magnifique gerbe de flotte deux ou trois mètres plus loin !!!!!
Branle-bas de combat !!! On se précipite sur les paniers à aussières pour sortir les lance-amarres et on leur balance les deux bouées couronne en notre possession ( l’une d’elles à d’ailleurs coulé ) Bref … on récupère nos deux estafettes qui grelottants et tout trempés se ramassent une bonne engueulade …
- Bande de cons !!! Vous ne pouviez pas faire gaffe !!!
- Mais … mais …. Patron !!!!
- Tas d’abrutis !!! Saviez pas qu’il fallait tourner après la deuxième grue ???
- Si !!! si Patron !!!
- ET alors ????
- Ben …. J’ai pas vu la première !!!!
Engueulade qui se termine par une bonne rigolade … Nos deux compères sont descendus à bord du Morillot à poil et frictionnés au point de presque les dépiauter !!!
Mais restait à récupérer la Mobylette …..
Le surlendemain , des négociations furent entamées avec John ( le papou ) , palabres laborieuses qui aboutirent à ce que celui-ci accepte de faire une visite de coque à une heure où les quais sont déserts ou presque . Il plongea au crépuscule pour frapper deux lance-amarres sur la Mob ( je ne pense pas que cette plongée apparaisse sur son carnet )
A la nuit tombée , le tiers de service remonta la pétrolette , quant aux bidons en alu , ils ont sans doute été portés sur la liste des pertes et profits et ont dû se balader longtemps au fond de la darse ou de la rade !!!!
Les « quilbus de précision » doivent toujours être à la même place enfouis dans la vase …
Parait-il que le bon vin vieillit très bien au fond des océans !!!
Moi , je sais où ils sont !!! Mais je ne vous le dirais pas !!!!!!

Pour la Doris , le casex avait commencé de bonne heure le matin aux environs de 06H00 ; normal !!! la Surface était pressée de rentrer à quai , vu que nous étions un Vendredi ….
Pour nous le week-end se passera sur le rail à effectuer des postes de combat pour lancements fictifs sur de pauvres cargos qui n’en sauront jamais rien , et à répéter des exercices de sécurité : avaries de barres de plongée , alertes schnorchel sur incendie batterie , incendie au Poste AV etc…etc… Les Anciens s’en rappellent !!!!
Nous sommes à 100 mètres d’immersion , le Pacha le LV Merlo attend que la relève de quart de 08H00 soit effectuée et que tout le monde soit bien à son poste pour ordonner :
- Aux postes de combat par tiers !!!!!
Cela ne change pas grand-chose au quart normal , sauf pour le CO où les Officiers rallient leurs postes de combat respectifs ; les DSM prennent les sonars et GCO2 , les Torpilleurs les barres de plongée et de direction .
Le Pacha chasse une position de lancement et mène l’attaque à l’écoute …. Il fait disposer une bombette verte et effectue un lancement fictif sur l’escorteur le plus menaçant …
- FEU !!! lancer la bombette verte !!!
Peu de temps après , le poste AV rend compte :
- Bombette partie !!!
- Bien !!! répond le Pacha …. Moteurs AV3 , 200 mètres , assiette -15 !!! et il ordonne un cap de dérobement …
Le Central diffuse dans le bord :
- On descend à 200 mètres , surveiller l’étanchéité !!!
Arrivés à 200 m :
- Moteurs AV2 !!! ordonne le Pacha .
Le Central rend compte :
- Bâtiment étanche à 200 m !!!
- Bien !!! répond le Pacha …. Rompre du poste de combat !!!
Quelques instants après , on entend le signal A3 ( 3 explosions ) qui nous indique que les escorteurs ont vu notre bombette en surface et qu’ils commencent leur action ASM .
Ils s’approchent de la bombette qui marque notre position au moment du lancement , mais ils se méfient : ils ont peur d’un deuxième lancement !!!
Le Pacha est resté au CO pour observer les évolutions des escorteurs et donner les changements de cap pour se dérober ….
- On va amuser un peu nos amis de la surface !!! dit-il …
- Central !!! faire disposer une charge de pilules !!!
- Reçu !!!
Queff Le Maître de Central siffle Pépé le chef de quart diésels :
- Pépé !!! pilules !!!
Pépé va s’occuper de lancer les pilules , ça tombe bien ; il est responsable des auxilliaires , il connait la musique !!!
Le sas lance-pilules est situé dans le compartiment extrême-arrière ; un tout petit compartiment bien encombré où l’on trouve les terminaux de la Direction de Lancement de Torpilles , les vannes et commandes des tubes lance-torpilles arrière , des caisses de rechanges pour les « bouchons gras » et les « fusibles » de nombreuses caisses de « jus de fruits » ( jus de fruits si on considère que le houblon est un fruit ) des sacs poubelles pleins qui attendent sagement la prochaine remontée en surface et enfin tout ce qui peut nous emm..der au poste AR .
Si par bonheur une escale est prévue ,nous y fourrons aussi de grandes housses en plastique qui protègent nos tenues de sortie ; dans ce cas là , il est bourré ras la gueule !!!
Le sas lance-pilules se présente sous la forme d’un petit tube lance-torpilles d’environ
80 cm de long et de 20 cm de diamètre . Il est muni d’une porte extérieure , d’une porte intérieure , d’une vanne d’équilibrage et d’une vanne de vidange ou de purge .
Les portes et différentes vannes sont manœuvrées manuellement , il n’y a pas de séquence automatique de lancement comme sur les TLT . La porte intérieure est munie en son centre d’une tige refouloir qui sert à pousser les pilules hors du sas . Cette tige d’un diamètre de 20 m/m environ est poussée manuellement et lentement de manière à espacer les pilules au fur et à mesure de l’avancement du sous-marin .
Les pilules se présentent sous la forme d’une boite de conserve d’1Kg , elles sont perforées de nombreux petits trous et contiennent un produit chimique qui dégage énormément de gaz au contact de l’eau . Le gaz en s’échappant par les petits trous forme un nuage de bulles qui renverra un écho sur les sonars des escorteurs ; plus on largue de pilules , plus le nuage est gros et meilleur sera l’écho reçu par les sonars . On largue les pilules en poussant doucement sur la tige , de manière à espacer les pilules le plus possible pour avoir un nuage de bulles le plus important possible .
IL est environ 09H00 du matin quand Pépé arrive au poste AR , suivi comme son ombre par son inséparable graisseur …
Tout est calme au poste AR , le seul homme debout est le « bouvier » surnommé « la Cerise » il termine la vaisselle du p’tit dèj du tiers qui a pris le quart à 08H00 , il lui reste à remplir le frigo de « jus de fruits »
- Pilules les gars !!! claironne Pépé en entrant , histoire d’emm..der ceux qui roupillent encore ….
Goulven ( notre prési ) et moi flemmardons dans nos bannettes en attendant le p’tit dèj avant le poste de propreté de 10H00 .
Goulven est allongé dans la bannette qui sert de siège , et moi dans celle qui sert de dossier quand elle est rabattue .
Nous observons Pépé d’un œil distrait ; il s’affaire dans l’extrême-AR en maugréant car il a du mal à dénicher une caisse de pilules dans tout ce fourbi ….
Enfin , il en trouve une et la passe à son graisseur qui lui fournira les « munitions » à enfiler dans le sas .
Pépé vérifie que la vanne d’équilibrage est bien fermée et il ouvre la vanne de purge pour vérifier que le sas est bien vide . Il tire sur la tige à fond et ouvre la porte intérieure . Le graisseur lui passe les pilules qu’il introduit dans le sas jusqu’à ce qu’il soit plein , puis il referme la porte , ferme la vanne de purge et rend compte directement au CO par l’interphone DLT :
- Pilules parées !!!
-Bien !!! répond le Cdt … larguer les pilules !!!!!
Pépé ouvre la vanne d’équilibrage , ouvre la porte extérieure et pousse doucement sur la tige refouloir pour espacer les pilules .
En bout de course , il laisse revenir la tige qui reprend sa place sous la pression d’immersion ; il ferme la porte extérieure , ferme la vanne d’équilibrage et rend compte par l’interphone DLT :
- Pilules parties !!!
- Bien !!! répond le Cdt …. Disposer une deuxième charge !!!
- Reçu !!!
- C’est comme pour l’apéro !!! constate Pépé … encore une tournée !!!
Pépé effectue les manœuvres de chargement , et quand il est paré , il annonce par
l’interphone DLT :
- Pilules parées !!!
- Bien !!! répond le Pacha …. Larguer les pilules !!!
Pépé recommence la manœuvre de largage .
Quand les pilules sont parties et la tige refouloir revenue à sa place , il ferme la porte extérieure et s’apprête à fermer la vanne d’équilibrage , quand soudain , tout s’emballe à grande vitesse , et cela va très vite !!!!
La tige refouloir qui supporte une pression de 20 Kg/cm2 est éjectée de son presse-étoupe comme un bouchon de champagne et vient percuter Pépé en plein dans l’estomac , il se retrouve KO assis sur une caisse de rechange … Mais ce n’est pas du champagne qui sort du presse-étoupe : c’est un effrayant jet d’eau d’une puissance incroyable qui traverse l’extrême-AR et vient s’écraser sur les vannes et commandes des tubes lance-torpilles se transformant en un épais brouillard !!!
Le graisseur terrifié et effrayé s’enfuit vers le Central en hurlant :
- La tige a pété !!! la tige a pété !!! la tige a pété !!!
Dans sa fuite , il bouscule violemment « la Cerise » qui se retrouve la tête dans le frigo qu’il est en train de remplir de « jus de fruits »
Goulven qui est allongé en dessous de moi bondit comme un diable hors de sa bannette . Malgré son respectable tour de taille , il passe entre la table et ma bannette ; l’espace entre les deux n’est que d’une trentaine de centimètres , mais il me projette en l’air : je vais donner un grand coup de boule dans un couple de la coque et vlan !!! je retombe …. Goulven a disparu dans le brouillard …..
A moitié estourbi , je veux quand même aider Goulven : je saute de ma bannette sur la table qui est trempée … je glisse et me rétame la tronche sur les plaques de parquet !!! deuxième pet en peu de temps !!! ça réveille !!! Mais je ne suis d’aucune utilité car Goulven bouche entièrement l’accès au compartiment en se bagarrant avec la vanne d’équilibrage !!!
Le graisseur traverse la propulsion toujours en gueulant :
- La tige a pété !!!! la tige a pété !!! la tige a pété !!!
Les électriciens de propulsion ahuris le regardent passer en se faisant bousculer ….
La « cuisse » qui prépare son fricot dans sa cuisine entend les hurlements du graisseur et sort dans la tranche hygiène pour voir ce qui se passe …. Le graisseur lui rentre dedans et le renvoie à ses gamelles dans le fond de la cuisine cul par-dessus tête à moitié groggy ….
Le graisseur arrive au Central toujours en gueulant :
- La tige a pété !!! la tige a pété !!! Patron ! la tige a pété !!!!
- Quelle tige ? lui demande Queff le Maître de Central .
- La tige a pété !!! la tige a pété !!! la tige a pété !!!
- Mais quelle tige nom de dieu ??? lui redemande Queff .
- La tige a pété !!! la tige a pété !!!
- Mais tu vas la fermer ta gueule !!!! lui ordonne Queff …
Au CO , le Cdt est nonchalamment adossé au GZ , les bras croisés , il cogite pour échapper aux escorteurs , perdu dans ses réflexions ……
A l’extrême-AR , Goulven a enfin réussi à fermer la vanne d’équilibrage , il rend compte directement au CO par l’interphone DLT :
- Voie d’eau étanchée à l’arrière !!!
Le Pacha sursaute ….
- Quoi ????
Il appuie sur le bouton de l’interphone .
- Répetez !!!
Personne ne répond ….
Il bondit au Central où le graisseur saute comme un cabri en répétant :
- La tige a pété !!! la tige a pété !!! la tige a pété !!!
- Qu’est- ce qu’il se passe Patron ??? interroge le Cdt …
- Fout moi le camps aux diésels !!! ordonne Queff au graisseur .
- Enfin Patron , que se passe-t-il ??? redemande le Cdt
Queff ne sait quoi répondre vu qu’il n’est au courant de rien …..
Il est sauvé par Goulven qui arrive au Central en slip et tee-shirt , la moustache en bataille , trempé comme une soupe , il rend compte au Pacha :
- La tige refouloir du sas lance pilules a cédé sous la pression , elle s’est désemparée … j’ai réussi à fermer la vanne d’équilibrage , on est étanche maintenant , heureusement que la porte extérieure était fermée !!! sinon ça aurait été plus long à étancher !!!
- Bien Patron !!! très bien !!! lui répond le Cdt .. On a embarqué combien à votre avis ??
- Une tonne et demie , peut être deux tonnes !!!
En effet , le barreur arrière a du mal à tenir l’assiette ….
- 100 mètres !!! moteurs AV3 !!! assiette +5 !!! assècher la cale arrière !!! ordonne le Cdt .
Queff siffle un coup dans la pine d’ours des auxilliaires :
- Oh en bas !!!
- Ouais !!!
- Assècher la cale du poste AR !!!
- Mais elle a déjà été assèchée ce matin !!!
- Exécution nom de dieu !!! s’emporte Queff ….
- Bon … bon… j’y vais !!!
- Ah mais ils vont obéir oui ou me.de !!! explose Queff …
Nous sommes maintenant à 100 mètres , la cale AR est assèchée et les moteurs en AV2 , le calme revient peu à peu …
Goulven et Pépé en profitent pour gratifier les élecs de propulsion d’un duo de strip-tease à faire pâlir les girls du Crazy Horse : ils sont à poil aux diésels et étendent leurs fringues mouillées pour les faire sècher à la chaleur des moteurs . Des électriques jusqu’au Central , c’est une gigantesque rigolade . Le Pacha qui est toujours au CO entend les éclats de rire ,il se doute bien de ce qui se passe , mais s’empêche d’assister au spectacle … standing oblige !!!!
Nos deux « effeuilleuses »toujours à poil font une entrée triomphale au poste AR , ils sont accueillis par nos applaudissements et nos golibets ; puis ils entreprennent de se rincer à l’eau douce dans le petit évier de notre « bouvier » . Pas de gants de toilette ni de serviettes , une bonne poignée de chiffons fera l’affaire !!!!
Je vous laisse imaginer nos commentaires et constatations concernant leurs anatomies ….
ça fuse de tous les côtés !!! Quelle rigolade !!! on en a mal aux tripes !!! ils sont plutôt rondouillards et bedonnants tous les deux , mais Pépé semble avoir les faveurs du jury car il est doté d’un système pileux ….désopilant !!! alors que pour Goulven ????????????? de nombreuses propositions d’échange sont formulées par les spectateurs …..
Fin des ablutions …. Nos compères enfilent des fringues sèches et on passe au p’tit dèj car il est bientôt 10H00 …
Le graisseur qui n’a toujours pas digéré d’être viré comme un malpropre du Central par Queff revient à la charge :
- Hein Patron !!! je vous l’avais bien dit que la tige avait pété !!!!
- Ah le r’voilà çui-ci !!! fulmine Queff , quand tu t’exprimeras un peu mieux , je pourrais comprendre ce que tu racontes , en attendant , fout-moi le camps aux diésels ou je te fous mon pied au c.l !!!!
Et pour couper court à toute discussion , Queff lui refile un grand coup de pompe dans le derge !!!! le graisseur repart vers ses bourrins en se frottant l’oignon ….. La « cuisse » qui a assisté à la scène se réjouit car il n’a pas du tout apprécié de s’être fait renvoyer dans ses gamelles : engueulade entre les deux dans la tranche hygiène ; sur ce arrive « la Cerise » qui lui aussi en veut au graisseur de s’être retrouvé la tronche dans son frigo .
La patience de Queff a des limites , il sépare les belligérants en poussant une gueulante et pour remettre tout le monde dans l’axe , il diffuse dans le bord :
- Aux postes de propreté !!!!
- Patron !!! vous ne m’avez pas demandé l’autorisation !!! lui fait remarquer l’Officier de quart …..
- Dans mon Central , c’est moi le patron !!!! lui rétorque Queff …..
Pour un peu , énervé comme il est , notre Queff aurait envoyé l’Officier de quart « aux pelotes »
Moi , je sais ce qu’il me reste à faire : jouer de la soufflette et du chiffon pour sècher mes coffrets de DLT , mes prises , mes câbles , prendre l’isolement des grenouilles , etc…etc…
Pendant que je joue du chiffon , une pensée me vient à l’esprit : les Anciens m’ont toujours dit qu’un incendie tenait dans un verre d’eau , mais ils ne m’ont jamais dit qu’aucune voie d’eau ne résistait à Goulven !!!!!
Cette anecdote nous prouve encore une fois que les réflexes des « vieux briscards » nous ont quelquefois sortis de situations délicates qui sans leurs interventions rapides auraient pu tourner à la catastrophe …….
Sur nos bateaux noirs , toute avarie implique une réaction immédiate et appropriée ….
Les Sous-Mariniers le savent plus que tout autre …..

Quelque part en Méditerranée , à quelques encablures dans le sud du Cap d’Armes , la Doris doit subir une inspection à la mer du Commandant d’Escadrille . Ce Chef d’Escadrille surnommé « le sac d’os » par les équipages des bateaux noirs et le personnel de la Base sous-marine prenait un malin plaisir à se faire passer pour ne pas « être l’ami de tout le monde » et ressentait sans doute une certaine jouissance à entretenir sa réputation de « terreur »
En cas de rencontre fortuite dans la Base , il était fortement recommandé de changer de trottoir , ou encore mieux , de faire carrément demi-tour si la distance le permettait avant d’arriver au CPA ; sinon vous risquiez fort de vous faire apostiller ou d’être coincé « entre la pointe Bic et la peau de bouc » avec pour motif : soit une casquette non réglementaire , soit cheveux longs alors que vous sortez de chez le « merlan » soit pour cravate ressemblant à une ficelle , soit pour tenue négligée , débraillée ou sale , soit pour chaussures mal cirées , etc…etc… je vous en passe et des meilleures !!!!
Son passe-temps favori était d’épier de son bureau les factionnaires des bateaux noirs amarrés à Missiessy ; si par malheur , l’un d’entre- eux se faisait apalguer , il recevait immédiatement un coup de téléphone intempestif :
- Allo !!! ici le Commandant d’Escadrille !!!
- Ouais !!! et moi je suis le Pape !!!
Raccrochage instantané ; dans les minutes qui suivaient , l’Officier en Second du bateau concerné , qui s’était fait remonter les bretelles arrivait à bord pour remonter celles du factionnaire ….. Ce petit jeu fut à la mode un certain temps chez les factionnaires , mais dura moins longtemps que les impôts : du remontage de bretelles , on passa assez rapidement à des représailles de plus en plus dissuasives qui eurent pour effet de mettre fin à ces plaisanteries .
le duo composé du « sac d’os » et du non moins célèbre « Titus » le Chef des Services Généraux à l’œil inquisiteur et broussailleux , faisait régner à la Base sous-marine une ambiance « folklorique » comme l’acide du même nom !!! Les Anciens doivent encore s’en souvenir …..
La Doris est amarrée en face du Bâtiment Commandement à Missiessy … Poste de combat de vérification à 07H00 , appareillage prévu à 08H00 après la cérémonie des Couleurs ; le « sac d’os » embarque , un petit sac de voyage à la main …. On essaye de deviner s’il a sa « gueule des bons jours » ou sa « gueule de tangon » la différence entre les deux étant imperceptible , on opte pour la « gueule des mauvais jours » , au moins , on n’aura pas de surprises . Mais , qu’y-a-t-il dans son petit sac de sport qu’il garde si précieusement ??? question de très haute importance !!! on ne devrait pas tarder à le savoir ….
Cette inspection à la mer survenant peu de temps après la tragédie de la Minerve , nous ressentons que nous n’allons pas être à la fête, et que la journée ne va pas être des plus tristes …. Le « Sac d’os » va nous tester à fond et nous pousser jusque dans nos derniers retranchements …. A nous de lui faire voir que nous ne sommes pas des rigolos !!!!
On appareille …pendant le transit en surface jusqu’au secteur qui nous a été attribué , les fumeurs sont beaucoup moins nombreux en passerelle , il n’y a pas foule à part les drogués . Arrivés dans notre secteur en tenue de veille , l’Officier de quart donne l’alerte sur ordre du Commandant ; on descend à 30 mètres : à cette époque , l’immersion de sécurité était fixée à 30 mètres ; elle sera portée à 40 mètres après l’éperonnage que nous avons subi de la part d’un pétrolier russe , accident que je vous ai raconté …. Bâtiment étanche à 30 mètres , on descend par paliers jusqu’à 300 mètres pour vérifier l’étanchéité . Etanche , on remonte à 100 mètres , le Central envoie au poste de propreté et l’inspection commence ….. Le « Sac d’os » ouvre enfin son petit sac de voyage qui nous intriguait tant , il en sort une combinaison de mécanicien qu’il enfile …. Une paire de gants blancs !!!! et une torche électrique ; voilà donc le contenu du sac qui nous faisait tant gamberger !!!
Il file au poste AV fouiner entre les tubes lance-torpilles , il vérifie tout , inspecte tout , recherche des traces de graisse , vérifie l’état de la peinture …. Pour un peu , il rentrerait dans un tube s’il le pouvait !!! Il fait soulever les panneaux de cale , éclaire le dessous du parquet , contrôle la crépine d’assèchement , rien n’est oublié …tout y passe … du poste AV il arrive au CO faisant l’impasse sur le Carré des Officiers ; il n’a quand même pas le culot de fouiller dans la chambre du Cdt . A quatre pattes , il fouine sous tous les meubles du CO , particulièrement attentif à l’état des gates sous les armoires , il cherche la moindre trace de rouille ou d’humidité …. Mais n’en trouve pas !!!! Alors il recommence toujours à quatre pattes mais ne trouve rien à redire à son grand regret …. Au Central : même punition , même motif , il vire même le barreur de direction pour aller fouiner derrière le tableau de plongée …. Toujours avec sa torche électrique , il ausculte l’aquarium dont la glace a été astiquée alors qu’il croyait la trouver bien opaque avec le sel …. Le tableau de chasse HP a été astiqué au Naol et brille sous le faisceau de sa torche … rien à redire non plus … Il arrive tranche hygiène et se précipite pour voir l’état des poulaines : manque de bol , elles ont été repeintes : l’une est en rose pâle et l’autre en bleu ciel , elles sont nickel !!!! mais il ne peut s’empêcher de faire une remarque désobligeante à l’Off en second quant aux couleurs utilisées qui n’ont rien de militaire , pour un peu , il nous dirait que nous avons des chiottes de lupanar !!!! Le tour de la cuisine est vite fait , « la cuisse » étant bien occupé à préparer le « repas de précision » que le Patron du Pont a prévu . dans un espace d’un mètre carré avec four et marmites en fonction , la canicule le fait battre en arrière …. Il file aux diésels , se fait ouvrir les plaques de parquet pour descendre entre les moteurs bien qu’ils soient encore bouillants , il vérifie tout de l’avant à l’arrière , particulièrement la propreté de la cale …. Avec sa lampe torche , il scrute tous les recoins ….et ressort de dessous le parquet dégoulinant de sueur, au bord de l’apoplexie !!! la bête à la vie dure … Les mécanos n’avaient qu’une envie : le coincer là-dessous jusqu’à ce qu’il déssèche comme une momie !!! Aux électriques , pas grand-chose à voir , il ne s’attarde pas trop … Il se fait annoncer par l’O2 avant d’entrer au poste AR , se fait enlever les plaques de parquet pour vérifier l’état de la cale et de la crépine d’assèchement , puis se rend à l’extrême AR qui d’habitude est quasiment inaccessible à cause de tout le fatras qui y est entassé ; mais nous avons fait place nette la veille !!! Il ne trouve pas grand-chose à dire , semble satisfait …. Il s’apprête à repartir vers l’avant , s’arrête à la porte étanche et levant la tête , cherche les by-pass de la barre de plongée AR … d’un geste vif , il isole deux by-pass et attend la réaction du Central …. On se dit que les vacheries commencent …. Rien ne se passe …aucune réaction du Central … il attend impatient …toujours rien … Normal !!! il s’est trompé et a isolé la barre de direction !!! au Central , le barreur est passé sur secours et tient tranquillement son cap …. L’O2 intervient :
- Si je peux me permettre Commandant ???
- Oui , allez-y …
- Les by-pass de la barre de plongée , ce sont les deux autres !!!!
- Ah bon !!!!
Sans doute vexé , il remet les by-pass en bonne position et repart au Carré où il enlève sa combinaison et apprécie l’état de ses gants :
- Pas trop mal !!! marmonne-t-il …
L’O2 qui était sur des charbons ardents est soulagé , pour l’instant , rien de désagréable ne s’est produit …
Avec l’accord de l’Off de quart , le Central envoie la fin du poste de propreté et le déjeuner pour le tiers qui prend le quart à midi . Nous sommes toujours à 100 mètres d’immersion …. Un peu de répit …tout est tranquille , les gars commencent à apprécier le menu amélioré … en plein milieu du repas : VOIE D’EAU AU POSTE AV !!!!
Le poste AV est rapidement évacué sous les protestations des convives , le compartiment est vite isolé , porte étanche verrouillée , vannes de ventilation fermées , pompe d’assèchement prête à démarrer . CO et Carré sont envahis par l’équipage …. Test concluant , le poste AV est remis en configuration normale : le repas aura été écourté de dix minutes , la bouffe a refroidit et les réflexions désagréables fusent du poste AV . Les oreilles du « Sac d’os » commencent à siffler , ce qui ne lui plaisait pas du tout … Le déjeuner se termine …..
- 50 mètres !!!!
L’Off de quart refuse la relève de quart , il attend que l’on soit stabilisés à 50 mètres pour l’autoriser et envoyer le déjeuner pour les deux tiers non de quart . Encore un piège déjoué !!! que nous avait-il concocté pendant la remontée à 50 mètres ??? On s’en doute un peu …. Mais on y aura droit à la prochaine relève !!!!
Nous sommes donc à table , tous apprécient le menu de précision que le Patron du pont nous a cogité , surtout qu’il est accompagné du vin du même nom !!! Ce dernier est chaleureusement félicité pendant que le « Sac d’os » qui n’a pas embarqué pour se goinfrer a terminé son repas alors que nous , nous n’en sommes qu’à la moitié …
- 300 mètres !!! moteurs AV5 !!! assiette -30 !!!!
- Attention à la pointe !!!! prévient le Central …
Et c’est parti pour les galipettes …. Chacun essaye de s’accrocher où il peut tout en maintenant assiettes et couverts , surtout le verre de pinard qu’il vaut mieux vider « cul-sec » tout en traitant le « Sac d’os » de tous les noms d’oiseaux !!! il n’aura jamais été autant baptisé !!! On arrive à 300 mètres … assiette 0 …les moteurs sont mis AV 2 … on peut recommencer à manger …
- 50 mètres !!! moteurs AV5 !!! assiette +30 !!!
C’est reparti dans l’autre sens …. re-acrobatie … sauvegarde de tout ce qui se trouve sur la table … On arrive enfin à 50 mètres , les moteurs sont remis AV2 , assiette 0 , on va peut- être enfin finir de déguster ce bon repas tranquillement … Un quart d’heure plus tard :
- Incendie aux diésels !!!
La tranche propulsion est rapidement isolée , les fenzys sont sortis , un électricien est rapidement équipé pour la manœuvre des moteurs ; les mécanos revêtus de parkas et équipés de fenzys et extincteurs pénètrent dans la tranche propulsion … la réaction a été rapide et bien menée … fin de l’exercice … le matériel est remis en place … le rangement est à peine terminé que :
- Incendie batterie arrière !!!
Vlan !!! la tête de batterie arrière disjoncte plongeant le bord dans le noir … la batterie est isolée du point de vue ventilation … aucun problème à évoluer dans le noir , nous connaissons notre bateau comme le fond de nos poches !!! Prêts à percuter l’installation fixe d’extinction , barres passées sur secours (station d’huile à l’arrêt ) le tout en quelques secondes . Le 37 KVA au repos est démarré sur la batterie avant ; les TSAA (Tableaux Secondaires d’Alimentation courant Alternatif ) permutés , la lumière revient , on redémarre tous les appareils au CO … tout est OK !!!! Exercice terminé . Sur ordre de la propulsion , la tête de batterie arrière est réenclenchée , la ventilation redisposée …. Le bateau est en situation normale … Le « Sac d’os » n’a pas encore réussit à nous prendre en défaut !!!!
Pendant la relève de quart , comme par hasard , le 1000 ampères de la batterie avant disjoncte …. Comme il alimente le 37 KVA en fonction , nous voilà encore une fois dans le noir , mais la relève s’effectue dans le calme sous la lumière blafarde de l’éclairage de secours ; aucun problème , on a l’habitude : barres sur secours etc… etc… L’autre 37 KVA est démarré sur la batterie AR , on permute les TSAA ( tableaux secondaires alimentation en courant alternatif ) la lumière revient , les appareils du CO remis en fonction ( ils n’apprécient pas du tout ce genre de coupure d’alimentation ) Sur ordre de la propulsion , je réenclenche le disjoncteur de 1000 ampères de la tête de batterie AV qui se trouve au Carré . A l’heure qu’il est , je me dis qu’on va bientôt reprendre la vue , faire surface et rentrer à Toulon . Je suis conforté dans mon idée quand le Cdt demande au Pilaf de remonter à 30 mètres et de préparer une reprise de vue …
Ce que nous faisons … on reprend la vue …mais on ne fait pas surface !!! au lieu de disposer les GE pour la vidange , on les dispose pour la marche au schnorchel , dès qu’ils sont disposés … on prend la charge … les deux moteurs AV2… charge de combat à 2000 ampères … Environ une heure après le début de la charge , je vois l’O2 arrivant du Central , traverser le CO en essayant de planquer un fanal d’éclairage de secours qu’il va cacher dans le wagon ( la chambre des Officiers ) il croit que je ne l’ai pas vu , mais je le surveille du coin de l’œil … Sans faire de bruit , il fait la même chose avec le fanal du CO , mais j’ai vu son manège ….
- A quoi vous jouez là Capitaine ???
- Ordre de qui vous savez !!!
- Ah bon !!!
Ces lascars sont en train de nous préparer un coup de Jarnac en nous supprimant tout éclairage de secours !!! A malin , malin et demi … je fouille dans l’étagère située sous le Vélox et le DUUG , elle contient nos règles et compas de vitesses et tout le matériel nécessaire à la table traçante , je récupère la lampe torche qui s’y trouve et la coince dans ma ceinture en passant ma chemise par dessus . L’O2 revenant du Carré fouille lui aussi dans l’étagère , il y prélève une règle CRAS dont il n’a rien à faire ; ne fait aucune allusion quant à l’absence de la lampe torche ….mais moi , je sais où elle est et je n’en ferai usage qu’à la dernière limite si besoin s’en fait sentir …..
- Réduire la charge !!! ordonne le Cdt .
Les emmerdes ne vont pas tarder à arriver …. Je m’approche de la porte du Central , fais un clin d’œil à Goulven le Maître de Central et d’un hochement de tête lui indique l’emplacement vide du fanal d’éclairage de secours … Goulven me répond par un clin d’œil , il décoince et prévient discrètement son électricien de Central …
- Charge réduite à 200 ampères !!! annonce la propulsion .
Attention !!! le coup de péripatéticienne va arriver … ça va être le bouquet final du feu d’artifice !!!
VLAN !!! VLAN !!! les deux têtes de batteries disjonctent nous privant de propulsion et nous plongeant dans le noir le plus complet puisque l’O2 nous a piqué les fanaux d’éclairage de secours …. L’alerte est donnée à la voix … diésels stoppés , tube d’air rentré , coupole larguée etc…etc…
- Avarie barre de plongée AR !!! normal !!! la station d’huile est arrêtée …
Les barres sont passées sur secours , les barreurs pompent à toute vitesse pour mettre les barres toutes à monter et celle de direction toute d’un bord pour casser la vitesse , tout en ignorant les angles de barre : le tableau de plongée est invisible dans le noir le plus complet !!! Il va falloir estimer l’assiette au pifomètre et surtout à l’expérience !!! Goulven est un vieux briscard , il connait très bien son bateau qui part en assiette négative plus vite qu’il ne le voudrait … impossible de mettre les moteurs en arrière puisque les deux têtes de batteries sont disjonctées !!! le bateau est livré à lui-même , la pointe négative s’accentue de plus en plus …
- 10 hommes sur l’arrière !!! ordonne Goulven …
Je retransmets :
- Poste avant !!!
- Ouais !!!
- 10 bonshommes à l’arrière et rapidement !!!
Malgré la pointe négative qui augmente toujours , dix gars se précipitent vers le poste AR en luttant contre la pointe et dans le noir , provoquant un peu de désordre à leur passage … La pointe s’accentue inexorablement … on va bientôt ne plus pouvoir tenir debout sans s’agripper quelque part … Goulven est prévoyant :
- Paré à chasser au 5 !!! ( le ballast avant )
A tâtons , l’électricien de Central trouve le tiroir de chasse du ballast 5 et garde la main dessus …
- Paré à chasser !!!!
- Bien !!!
La pointe augmente toujours … nous sommes sans doute à -25°
- Chasser 20 secondes au 5 !!! ordonne le Cdt .
On chasse … mais l’inertie fait que l’on doit maintenant dépasser les -30° !!!
- Enclenchez les têtes de batteries !!! demande la propulsion …
En m’agrippant aux poignées de la DLT et aux tuyaux de purge des mâts oléo (les aériens) je me hisse au niveau de la tête de batterie AR , j’enclenche d’abord le 5000 ampères qui est le plus important , puis le 1000 ampères ; cela fait , je me laisse descendre jusqu’au Carré en m’agrippant comme je peux , je réussis à me bloquer devant la tête de batterie et j’enclenche les deux disjoncteurs . Sous l’effet de la chasse au ballast 5 , la pointe a dû se stabiliser vers -35° , mais on n’en sait rien !!! Les 5000 ampères étant enclenchés , la propulsion sans ordres et sans attendre lance les deux moteurs en AR5 : le bateau vibre de partout et commence à se redresser … un 37 KVA est démarré … les TSAA permutés …l’éclairage revient … l’assiette est à -10° …
- Ouvrez les purges !!! stoppez les moteurs !!! ordonne le Cdt .
L’électricien de Central ouvre les purges des ballasts ; les moteurs sont stoppés , on repasse en assiette positive …. Ce qui est quand même plus agréable !!!
- Fermez les purges !!! moteurs AV3 !!!
Les barres repassées en normal et les moteurs en avant , Goulven récupère l’assiette de son bateau … on est quand même descendus à 90 mètres avec cette plaisanterie !!!
- Repassez les dix bonshommes sur l’avant !!!!
Ce qui est fait , les gars défilent dans le bord le sourire aux lèvres , amusés par cette péripétie … Le Cdt demande au Pilaf de remonter à 30 mètres et de préparer une reprise de vue … Cette fois-ci c’est bon !!! on va faire surface et rentrer à Toulon …
Que nenni !!!!! la fête n’est pas finie !!!!
Nous sommes à 30 mètres , moteurs AV2 , il me faut vingt bonnes minutes pour clarifier la situation de surface : avec tous les arrêts des appareils d’écoute dûs aux disjonctions , ce n’est pas évident , mais j’y arrive quand même . Baïonnette d’écoute effectuée , la situation semble claire ….
- Patron , je prends la suite !!! dit le Cdt au Pilaf .
- Bien Commandant !!!
Le Cdt scrute les GCO2 , la table traçante , il estime que l’on peut remonter ….
- Stoppez !!!!
le Pilaf et moi le regardons interloqués …
- Oui !!! oui !!! stoppez !!!
Les moteurs sont stoppés ….
- Les deux moteurs arrière 3 !!!
Nous sommes éberlués …. Ils sont devenus fous ou quoi ???
Les moteurs sont en arrière 3 , nous voilà en marche arrière , mais on ne sait pas à quelle vitesse, la vitesse loch étant tombée à 0 . Les barres de plongée sont donc inversées , c’est la barre AV qui devient prépondérante pour tenir l’assiette , la barre de direction étant elle aussi inversée ….
- 30 mètres !!! ordonne le Cdt …
Il ne sont pas fous !!! ils sont devenus cinglés !!! complètement tarés !!! bons à enfermer en psychiatrie !!! à l’image du « Sac d’os » qui squatte le Central avec un sourire sarcastique . On remonte … c’est marrant en assiette négative !!! Goulven fait admettre 100 litres dans les règleurs . Le plus inquiètant , c’est que nous sommes privés d’écoute : sonar et GCO2 sont inopérants dans les remous des hélices : on remonte en étant complètement sourds . Le Central annonce l’immersion mètre par mètre . A 20 mètres , le Cdt hisse le périscope de veille , Goulven arrondit la montée et :
- Top la vue !!! Tour d’horizon de sécurité !!! rien de proche !!!
Ouf !!! nous respirons un peu mieux … cette reprise de vue est l’une des plus anxieuses que nous ayons vécu…
- Moteurs AR2 !!!
Les moteurs sont règlés , Goulven et ses barreurs se débrouillent comme des chefs pour tenir l’immersion périscopique : la mer étant calme , ils n’ont aucun problème particulier ; seul le barreur de direction semble allergique à l’inversion de la barre , il a du mal à comprendre … mais il va finir par s’y faire , son angle de barre est limité à 5° pour ne pas perturber l’assiette … Nous naviguons ainsi en marche arrière pendant vingt bonnes minutes …
- Prendre la veille APV !!! ordonne le Cdt .
Je hisse l’APV (antenne radar ) ce qui me permet de faire une situation claire et nette de la situation en surface . Par contre , je suis obligé de calculer toutes les trois minutes notre position , car la rose de la table traçante est immobile , la vitesse loch étant à 0 ; son centre représente la position du sous-marin , je suis obligé de la recaler manuellement . Lorsque le Cdt estime que tout est clair
- 30 mètres !!! rentrez l’APV !!!
On redescend … Goulven fait pomper 100 litres et arrivés à 30 mètres :
- Stoppez !!!
Les moteurs sont stoppés …
- les deux moteurs AV2 !!!
Les moteurs sont règlés … la vitesse loch se débloque et monte doucement à 4,5 nœuds . Pas de problème pour tenir l’assiette , puisque nous sommes repartis en marche avant …
- Se préparer à faire surface !!! disposer les GE ( diésels ) pour la vidange !!!
Enfin !!! on va remonter à 12 mètres pour faire surface …
Mais pas du tout !!! on ne reprend pas la vue !!! quand les GE sont disposés :
- Surface !!! chasser 20 secondes partout !!!
On remonte de 30 mètres d’un seul coup , le bateau arrive en surface , fait un peu le bouchon et se stabilise …
- On est en surface !!! annonce Goulven , le Cdt grimpe dans le sas , ouvre le panneau supérieur et ordonne de lancer en vidange …
Un diésel est démarré , et ses gaz d’échappement envoyés dans les ballasts pour finir de les vider de l’eau qu’ils contiennent encore . Quand tous les ballasts ont donné , on prend la charge sur les deux GE , puis cap sur Toulon les deux moteurs AV5 , on prend la tenue de navigation qui permet aux fumeurs de monter à la passerelle , prouvant que la nicotine calme les nerfs et fait baisser la tension . Vers 22H00 , la Doris s’amarre en face du Bâtiment Commandement ; nous ne sommes pas fâchés de voir débarquer cet abominable passager qui nous a harcelé toute la journée : nous sommes heureux de cette journée et surtout très fiers d’avoir réussi une première : reprendre la vue en marche arrière !!!
On prend la tenue de repos , et les deux tiers non de service ont liberté de manœuvre après l’appel . Dans la matinée du lendemain , la nouvelle de notre reprise de vue très spéciale se répand dans la Base sous-marine à la vitesse d’une traînée de poudre … Les commentaires et les questions vont bon train particulièrement au bar des Officiers Mariniers à l’heure de midi … les copains des autres bateaux sauront à quoi s’attendre en cas d’inspection à la mer . Mais , l’effervescence provoquée par cet « exploit inutile » ne durera que le temps qu’elle mérite : le temps d’un feu de paille !!! nous n’aurons pas connaissance que ce genre d’expérience aura été retenté . Au cours des discutions , nous apprendrons que le « Sac d’os » avait tenté la même manœuvre sur un 400 tonnes . Essai qui avait failli très mal tourner : le petit 400 s’était retrouvé en surface en très forte assiette négative : barres de plongée AR hors de l’eau et l’hélice servant de ventilateur !!! La situation avait été rétablie avec énormément de difficultés en chassant à courir au ballast avant .
A l’appel de 13H30 tout notre Etat Major est présent y compris le Commandant !!! Que va-t-il encore nous annoncer :
- Je suis venu vous transmettre les félicitations du Comandant d’Escadrille , et je viens en personne vous adresser les miennes . Toutes mes félicitations , et surtout , souvenez-vous que l’action d’un seul d’entre-nous engage la sécurité de tous !!! Je vous remercie !!! avez-vous des questions ???
- On le réembarque quand ??? ironise le Président provoquant un concert de protestations …
- Juste pour le faire cuire à petit feu sous le parquet des diésels !!! renchérit le Patron mécano …qui déclenche une rigolade générale …
Le Cdt ne répond pas , il esquisse un sourire qui en dit long … il nous salue et s’en retourne vers le Bâtiment Commandement .
Quelque temps plus tard , ayant sans doute tiré des enseignements de cette inspection à la mer , le Cdt d’Escadrille convoque en réunion des délégations des bateaux noirs présents à la Base : délégation de trois Officiers Mariniers désignés par leurs Commandants respectifs . Connaissant l’individu , nous nous rendons à cette réunion avec le mauvais préssentiment que nous allons être « fusillés pour l’exemple » . Pour une fois , les Hautes Sphères daignent prendre en considération les doléances de la Maistrance ; Maistrance qui connait mieux qu’eux ces bateux noirs en les réparant , les bichonnant , les entretenant et qui sait comment les mener connaissant leurs défauts et leurs qualités .
A notre grand étonnement , pendant cette réunion d’environ deux heures , les échanges sont courtois : les griefs , propositions de modifications techniques et matérielles , demande d’interdiction de pratiques dangereuses sont exposées sans agressivité , ni animosité , ni violence …. Le message sera reçu et pris en compte , particulièrement en ce qui concerne les exercices d’avarie de barres de plongée que nous considérons comme des exercices très dangereux . Les by-pass de ces barres seront clavetés et plombés par la suite , empêchant quiconque de s’amuser avec , particulièrement les Officiers en Second ; les disjonctions de tête de batteries seront interdites en même temps qu’un exercice d’avarie de barres de plongée ; les reprises de vue sur le rail seront fortement déconseillées sauf en cas d’urgence , etc… etc…
Quelques deux années plus tard , en Novembre 1968 , avant d’entrer la Doris en grand carénage ,l’Etat Major nous fera faire un exercice assez dangereux , voire périlleux : larguer les plombs de sécurité en assiette -30 à plus de 10 nœuds , nous ne savions pas dans quel état nous allions remonter ni de quelle manière … Notre plus grande trouille était de remonter complètement couchés sur le côté …. Ce qui arriva au Dauphin en Décembre 1985 après un essai de pompe d’assèchement en grande profondeur , essai qui a mal tourné …….