Il s'agit de l'ouvrage "Les lucioles de ma nuit - Le Maquis Surcouf en Normandie" écrit par Raymond RUFFIN et publié aux éditions Les Presses de la Cité.
Je vais tenter de résumer les propos relatifs à cette batterie et celle de Vierville. Ce récit commence lors de la débâcle de juin 1940. Un officier Français du Génie s'apprêtait à faire sauter les ponts sur la Seine à Vernon. Il fut capturé par les Allemands, avec sa section, sans avoir eu le temps d'accomplir sa mission. La nuit suivant sa capture, il réussit à s'évader. Il est parti en direction de Lyon où il fut démobilisé. Il s'appelait Paul VIMEUX.
La conception et la réalisation du mur de l'Atlantique ont été confiées à un ingénieur Allemand; proche du régime Nazi. Il s'agissait de Fritz TODT. Dans ce cadre, il installa à Paris une structure responsable de ces travaux sur le territoire Français. Elle était dirigée par le Commandant CURMAYER; amateur de bonne chaire et des loisirs offerts par la capitale Française. Des marchés juteux furent lancés. Une entreprise fut titulaire de l'un d'entre eux; dont celui relatif à la construction de la batterie de Merville. Son patron, un collaborateur notoire, s'appelait Louis DUCHÂTEAU. Il profita de cette situation pour faire évoluer son entreprise du statut d'artisanal à celui d'industriel. Il avait un fils. Âgé de 23 ans, celui-ci était étudiant. Il se prénommait Yves. Il prit part le 11 novembre 1940 à la manifestation estudiantine de l'Etoile à Paris. Certains de ses camarades furent arrêtés et fusillés. Il en garda une haine farouche contre l'occupant. Ses idées allaient à l'opposé de celles de son père. Catholique pratiquant, il se confia à un prêtre: le Père Edouard. Il ignorait, qu'il venait d'entrer en contact avec l'un des premiers réseaux de Résistance nommé Zodiaque. Le prêtre comprit aussitôt les atouts de ce jeune homme. L'entreprise de son père venait d'être retenue sur ce marché de construction d'édifices de défense côtières. Il l'avait nommé chef des ressources humaines. Il était chargé du recrutement des ingénieurs nécessaires à ces travaux. Il était titulaire d'une carte bleue et rouge portant la Francisque Pétainiste en filigrane; en somme un laissé passé au dessus de tout soupçon. Il avait accès aux plus hautes instances Allemandes. Il disposait d'une voiture avec des bons d'essence à profusion. Son père participait à toutes les réunions de chantier. C'est ainsi qu'Yves DUCHÂTEAU, dont le père était titulaire de marchés relatifs à la construction du mur de l'Atlantique et à l'insu de celui-ci, intégra le réseau de résistance Zodiaque. En sa qualité de responsable des ressources humaines, il recruta des cadres destinés à former son bureau d'études. Répondant à une annonce, Paul VIMEUX, ci-dessus évoqué, fut embauché par Louis DUCHÂTEAU; le père. Celui-ci fut séduit par ses compétences. Il ignorait qu'il s'agissait d'un agent du groupe Bélier du réseau Zodiaque; connu en résistance sous le pseudonyme de "Léonard". Comme nous le verrons plus loin, d'autres recrutements de ce niveau furent opérés; bien sûr dans le secret absolu. L'une des techniques du réseau Zodiaque a été, pour des raisons de sécurité et de survie, de cloisonner ses composantes. Paul VIMEUX fut nommé chef de ce bureau d'études. A ce poste, il devenait l'adjoint direct du Commandant CURMEYER. Comme nous l'avons vu, cet officier était amateur des bonnes choses de la vie. Il avait repéré le travail besogneux et sérieux de Paul VIMEUX. Il regrettait que celui-ci, si sérieux dans son travail, resta très discret et effacé sur sa vie privée. Pour lui, c'était sans importance. Il lui délégua une partie très importante de son travail. Il ne venait au bureau d'études que deux ou trois fois par semaine. Il supervisait l'activité. Il signait les plans et les documents après les avoir parcourus sommairement. Pour le Calvados, une agence de l'organisation TODT s'est installée rue de Geôle à CAEN. Elle était dirigée par le Lieutenant BRENNER. Il maîtrisait parfaitement la langue Française. C'est lui qui a eu la charge de la construction de la batterie de Merville. A ce titre, il demanda le renfort d'un ingénieur. Il est entendu que le chef des ressources humaines, de la société DUCHÂTEAU, répondit à cette attente en lui dépêchant le spécialiste intéressé. Officiellement connu sous l'identité de Georges MOUSSET, il s'agissait d'un agent du réseau de résistance Zodiaque nommé Jacques RIVET. L'une des actions de ce réseau de résistance fut d'infiltrer le dispositif Allemand à des postes clefs; objectif atteint grâce au chef des ressources humaines de la société DUCHÂTEAU. Il permit à la résistance et aux alliés de connaître avec une grande précision les implantations des batteries côtières, leurs équipements, (calibres des canons, défense anti aérienne, nids de mitrailleuses, champs de mines,...) et l'importance et l'identité des garnisons. Jacques RIVET, alias Georges MOUSSET, s'est mis aussitôt au travail. Il fit mine de se lier d'amitié avec l'officier Allemand. En terme de couverture, ce critère était nécessaire et payant. Les travaux allèrent "bon train". Tout semblait aller pour le meilleur des mondes. A aucun moment l'Allemand a soupçonné la véritable activité de l'ingénieur. Cependant, deux imprévus sont survenus. L'un d'entre eux a été destructeur pour le réseau de résistance. Tout d'abord, l'ingénieur "MOUSSET", sur l'ordre des autorités Allemandes, dû délaisser le chantier de Merville pour prendre en main celui de Vierville. Informés, Paul VIMEUX et Yves DUCHÂTEAU détachèrent un autre ingénieur. Il se nommait Emile CARRIER; alias "CHOUX". Un dénommé CANIVET, âgé d'une cinquantaine d'années, était un collaborateur notoire. Employé initialement à des activités purement administratives, il réussit à se faire affecter à Merville pour "aider" l'ingénieur. En fait, il s'agissait d'un agent Français à la solde de la Gestapo. Emile CARRIER, alias "CHOUX", commit une erreur. Il sous estima ce CANIVET. Il le méprisa. Un jour, un maçon fit remarquer à celui-ci que le dosage prescrit par "CHOUX" pour le mouillage du béton n'était pas conforme au degré de résistance nécessaire à l'armature. Après s'être fait confirmer d'autres malfaçons, il dénonça l'ingénieur à la Gestapo. Arrêté et questionné, à la "mode Nazi", il évoqua un manque de compétence professionnel. Il ne livra rien sur la Résistance. Il fut condamné à cinq ans de prison. Il fut enfermé à la prison de CAEN où il disparu. Par la suite, aucune trace de cet homme ne fut retrouvée. Il fut remplacé par un autre ingénieur recruté de la même manière que ses prédécesseurs. Il se nommait DESCHAMPS, alias DACQUET. Mais le ver était dans le fruit. De plus, un artisan peintre avait réussit, à Caen, à subtiliser un plan du mur de l'Atlantique sur lequel des informations très précises étaient portées. Cet épisode a été interprété dans le film "le mur de l'Atlantique" par l'acteur André BOURVIL. De ce fait, tous les soirs, l'ensemble des documents devaient être remis à la Feldgendarmerie afin d'être déposés dans un coffre dont seul un officier supérieur Allemand connaissait la combinaison. Alors, DESCHAMPS entreprit, le plus discrètement possible, de copier ses plans sur des calques. Le soir, il les pliait et les cachait dans sa chemise. Une fois par semaine, il partait voir sa fiancée à Paris. Mais CANIVET s'aperçut de cette histoire de calques. Il la dénonça comme il le fit précédemment pour Emile CARRIER. Le 9 juin 1943, la fiancée de DESCHAMPS, prénommée Louisette vint à Caen avec une jeune amie. Avec DESCHAMPS, ils se retrouvèrent, à 20 heures 40, à la descente du train en provenance de Paris. Sans soupçonner le danger qui les guettait, ils se dirigèrent vers un hôtel situé à la Demi Lune. Ils y furent arrêtés. La fiancée et son amie ignoraient totalement la vie de résistant de DESCHAMPS. Elle avait accepté de venir uniquement pour voir son amoureux puis repartir avec une enveloppe dont elle ignorait le contenu. Ils furent emmenés au siège de la Gestapo; rue des Jacobins. Ils y furent séparés. Dans un premier temps, sous la torture, DESCHAMPS ne livra rien. Alors ses tortionnaires allèrent chercher Louisette. Ils la dénudèrent. Ils lui firent subir les pires atrocités. Devant cette situation épouvantable, DESCHAMPS donna les noms de RIVET, alias MOUSSET, et de VIMEUX. Ces derniers furent arrêtés le 10 juin. Aucun d'eux ne parla. Ainsi le cloisonnement du réseau Zodiaque, cette- fois-ci, fonctionna. DESCHAMPS ne connaissait personne d'autre. Paul VIMEUX a été fusillé le 06 avril 1944. DESCHAMPS mourut en déportation. Sa fiancée, Louisette, et son amie furent remises en liberté. Meurtrie à jamais et considérant qu'elle était à l'origine de cette tragédie elle refusa de se marier. Jacques RIVET fut enfermé à la prison de Caen. Il ne fut jamais retrouvé. Il est supposé qu'il a fait partie des quatre vingts fusillés de cette prison du 6 juin 1944. Le Père Edouard, celui qui fit entrer Yves DUCHÂTEAU en résistance, dénoncé, fut arrêté à la sortie d'un office religieux. Il connu les camps de la mort d'où il revint. A sa demande, il intégra un cloître où il finit sa vie en priant pour l'âme de ses bourreaux. Yves DUCHÂTEAU fut victime d'une terrible méprise. Le 20 août 1943, il fut fusillé avec ses parents par des maquisards. Ce jour là, il a été victime de sa couverture de "collaborateur"; alors qu'en fait il avait été un grand résistant. Voici la triste histoire de la batterie de Merville. Ses premières victimes ont été ceux qui, en infiltrant le dispositif Allemand, y ont laissé leur vie. Leur sacrifice n'a pas été inutile. Au contraire, les documents, qu'ils ont élaborés, sont arrivés à Londres. Ainsi, lors du 06 juin 1944, les alliés connaissaient parfaitement cette batterie dont la prise a été effective, après d'âpres combats, le 30 juin 1944.
D'après les lucioles de ma nuit de Raymond RUFFIN.
Avec toutes mes amitiés à Joël et à son épouse.