A propos de chansons, était-il "normal" pour les femmes restées à la maison de chanter pendant que leur mari ou leur père se battait sur terre ou sur mer ? (mon grand-père maternel était infirmier dans la Marine : le Bouvet, la canonnière fluviale Pei-Ho en Chine, Bizerte, etc etc ).
Extrait des mémoires de ma mère sur la période Brest 1914-1918 :
- Spoiler:
- Chanter comme on respire
Les chansons accompagnaient la vie quotidienne comme les grands événements. Elles apportaient joie, réconfort ou apaisement. C'était la forme la plus simple de l'art populaire. Il y en avait pour tout dire : chansons du temps de guerre (La Madelon, V'là les poilus, Le cadeau du permissionnaire, ...), chansons pour la paix.
Tous les oiseaux du monde donnaient de la voix lors des soirées musicales. Ils pépiaient, gazouillaient, sifflaient, éclataient de joie et d'espérance. La douleur y perdait son amertume. C'était un autre monde, une autre dimension où tout semblait possible.
Toujours à propos de Brest, autre extrait :
La guerre est finie
Le 11 novembre 1918, l'événement tant espéré se produisit enfin : l'Armistice fut signé. La nouvelle courut à la vitesse de l'éclair, un grand frisson secoua la France à la manière des épis ondulant sous le vent.
La guerre est finie ! La guerre est finie !
.../... Mes souvenirs de cette période ne s'accrochent pas à des dates précises. Je me souviens d'une retraite aux flambeaux qui eut lieu par la suite. .../...
La fête continua. .../... La joie collective frisait l'hystérie.
Je ne saurais préciser non plus à quelle date, en quelle nuit, toute la rade fut magnifiquement illuminée.
Oui, c'était la fête, comme pour le retraite aux flambeaux.
La guerre était finie et c'était la victoire. On en oubliait le crêpe endeuillé.
Tous les navires de l'escadre Atlantique, nombreux alors, avaient regagné le port de Brest.
La marine militaire avait bien préparé le spectacle. C'était à la belle saison. Peut-être le 14 juillet ? Dans la douceur du soir, des familles entières quittèrent les quartiers urbains et s'installèrent plus près de la mer.
Nous, et notre bande d'amis, avions choisi une haute falaise du côté du Stiff. Tous les navires de l'escadre au repos se signalaient par des guirlandes d'ampoules bleu-blanc-rouge. Spectacle grandiose et magnifique, offert à notre enchantement.
Le clou fut le feu d'artifice projeté dans la nue au-dessus de la rade. .../...
Oui, la guerre était finie. Il n'y en aurait plus d'autres, c'était juré !
Anne Péron (1908-2002) / "Planète fantôme de mon enfance" (Brest 1908-1920)