par † PILON Jeu 27 Mar 2008 - 9:13
Les trois commandants du Clemenceau
Quand on est jeune en marine, que l’on a que quelques jours de présence dans ce milieu qui, en général est totalement inconnu du jeune français, surtout s’il vient d’ailleurs que d’une région côtière, on a tendance à se faire charrier, de se faire bizuter, de croire en n’importe quelles balivernes et de les gober facilement. Bien sûr, mon tour est arrivé quelques fois, il y a toujours des loustics à l’affût pour faire marcher les néophytes.
J’avais peut-être bien trois jours de service… Parlant alors avec un ancien qui n’en avait pas plus de vingt (il avait même encore la pastille sur son ancre de bonnet, la conversation portait sur notre cuirassé Richelieu qui était affiché sur une cloison dans l’une des baraques de Pont-Réan, au lieu dit « Tahiti ».
Celui ci me dit alors :
- Oh, il est quand même petit ce bateau : tu sais les Américains en ont de beaucoup plus grands, tellement grands qu’il y a trois commandants à bord…
- Trois commandants !
- Oui… il y en a un à l’avant, un à l’arrière et puis le troisième au milieu.
Pour moi, mon éducation maritime débutant, même si ce n’était pas un instructeur qui me cornait aux oreilles, c’était de l’argent comptant, je mis cela dans ma poche et mon mouchoir par-dessus…
Ce gargouillou-là est disparu depuis bien longtemps de mon soleil, sinon, je lui prouverais – et il en serait sûrement béat – que j’ai bien connu un bateau de notre Marine nationale sur lequel il y eut, pendant une dizaine de jours, au moins, trois commandants. Du reste, dans la suite de ce papier, beaucoup en me lisant se diront : mais bon sang ! c’est bien vrai, j’était présent moi aussi.
A la mi-juillet 1964, sortant du cours de BS météo, j’embarquai en tant que maître sur le porte-avions Clemenceau, le navire dont nous avons tous suivi, avec tristesse et nostalgie, ses dernières pérégrinations et péripéties, notre cher bateau, pour nous les anciens, qui a faille être livré aux démolisseurs indiens.
Quand je posai mon sac à bord, Yves Ciampi, maintenant décédé, y tournait le film : « le Ciel sur la tête » et, pendant plusieurs semaines, tout en continuant son entraînement, le Clemenceau participait à la création des plans pour les besoin de ce film. L’équipage, surtout le personnel aéro, collaborait à fond à cette réalisation. Quand au personnel météo, officier des équipages Tissier en tête, il gonfla un ballon Delacoste à l’hélium, peint au pistolet de couleur argentée, pour en faire l’étrange satellite qui semblait nous menacer.
C’est feu l’acteur Jacques Monod qui portait la tenue militaire à cinq galons du commandant. D’un certain âge et d’un air naturellement austère ce rôle lui convenait parfaitement. Il s’intéressait beaucoup aux diverses activités des services et nous le voyions circuler seul dans le bord, casquette à poste, ainsi que Fresson et Bozuffi , acteurs devenus lieutenants de vaisseau pour l’occasion. Toute une hiérarchie d’acteurs de cinéma en uniforme qui recevaient les saluts, de-ci, de-là, les hommes d’équipage ne distinguant pas forcément les vrais des faux, et les acteurs, jouant bien leur rôle, rendaient ces saluts comme de vrais militaires.
Le capitaine de vaisseau Landrin, commandant le porte-avions, demeurait en retrait pendant le tournage des scènes du film qui se déroulaient à la passerelle navigation ; les scènes où l’imposant Jacques Monod était censé détenir le commandement du bâtiment.
Mais ce compte ne fait que deux commandants pour un seul navire me direz-vous ? Et bien, il y avait à bord, un troisième capitaine de vaisseau, en stage celui-là. C’était le capitaine de vaisseau Guérard qui allait prendre le commandement du Clemenceau quelques temps plus tard, en remplacement du commandant Landrin qui périra bientôt dans un accident aérien.
Voilà donc comment, sur le Clemenceau, nous avons pu connaître simultanément trois commandants. Mais trois commandants qui n’étaient pas répartis de l’avant à l’arrière comme me l’avait fait croire le loustic de Pont-Réan. Et l’on pouvait remarquer assez souvent ces trois pachas, ensemble, à la passerelle de navigation du porte-avions.
Andre PILON