Remorqueur contre sous-marin.
LE VICTORIEUX COMBAT DE L’HIPPOPOTAME " CONTRE L' U C35, VERSION OFFICIELLE.
LE VICTORIEUX COMBAT DE L’HIPPOPOTAME " CONTRE L' U C35, VERSION OFFICIELLE.
- Spoiler:
Nous avons annoncé, dans le précédent numéro, la destruction, par "Le remorqueur Hippopotame", d'un sous-marin allemand.
Voici quelques détails complémentaires sur cet exploit accompli avec un bel entrain
"Le remorqueur Hippopotame", commandé par le premier maître timonier Le Roux, remorquait trois voiliers entre l’Angleterre et Brest, lorsqu'il fut attaqué par le sous-marin U C-35 qui le canonna à grande distance.
Larguant les remorques pour évoluer plus facilement et se rapprocher de l'ennemi, il riposta et son premier projectile atteignit l'avant du sous-marin : coup heureux entre tous dénotant une rare sûreté de coup d'oeil de la part du premier maître Le Roux, qui avait apprécié la distance sans télémètre.
De plus en plus précis, le tir continua, les coups au but se succédèrent, emportant les périscopes, démolissant le kiosque, défonçant le pont, arrachant les canons de leurs affûts, rasant le sous-marin comme un ponton.
Un dernier coup à la flottaison fit apiquer l'Allemand qui sombra bientôt entraînant dans ses remous la plus grande partie de son équipage.
On ne put recueillir que cinq hommes, au nombre desquels se trouvaient le commandant du sous-marin et un marin espagnol qu'il avait capturé quelques jours auparavant.
Ainsi finit l'U C-35, cité souvent dans les communiqués de l'ennemi, qui le considérait comme un champion de la guerre de course sous-marine et qu'il donnait en exemple à tous ses congénères pour stimuler leur zèle.
Après ce rapide et victorieux combat, l'hippopotame rentra à Brest, sans aucune avarie.
Les prisonniers furent internés et on hospitalisa le marin espagnol.
Quelques jours après, le brave remorqueur était de nouveau paré à reprendre la mer.
Avant qu'il appareillât, le vice-amiral Lacaze, commandant en chef, préfet du 2ème arrondissement maritime, vint à bord ; il remit des Croix de guerre à son valeureux équipage et fit donner lecture des citations.
Les premiers maîtres Le Roux et Caron et le quartier-maître Tanguy sont cités à l'ordre de l'armée avec les motifs suivants
"Premier maître timonier Le Roux, commandant le remorquer « Hippopotame »
Commandant de remorqueur modèle, d'une magnifique ardeur et bravoure, a su communiquer à son équipage l'esprit qui l'anime.
Attaqué, pendant qu'il remorquait deux voiliers, par un sous-marin plus puissamment armé que l' Hippopotame, n'a pas hésité à filer ses remorques pour courir sus à l'ennemi et l'a coulé au canon. après un court et brillant combat."
"Premier maître de manoeuvre Caron, chef de quart à bord de l'Hippopotame.
Par sa vaillance, sa manoeuvre habile et son sang-froid a permis à l'Hippopotame, son immédiate et foudroyante riposte."
"Quartier-maître fusilier Tanguy, chef de la pièce de 75 à l'avant de l'Hippopotame.
A toujours fait preuve de qualités militaires hors ligne, son coup d'oeil et son sang-froid parfaits sous le feu ont assuré la destruction du sous-marin ennemi."
En remettant les Croix de guerre à ces braves marins, l'amiral Lacaze a prononcé une brève allocution,
Mes amis, a-t-il dit, je n ai pas voulu vous laisser repartir sans vous féliciter du bel et glorieux exploit que cous avez accompli sous les ordres d'un chef modèle.
Les croix que je vous remets sont les plus belles qu'on puisse décerner, et vous avez le droit d'en être fiers.
Tout l'équipage de l’Hippopotame s'est montré en cette circonstance, par sa magnifique attitude et sa belle ardeur, digne des plus belles traditions de la marine française.
Je voudrais vous embrasser tous : je vous embrasse dans la personne de votre commandant, le brave Le Roux.
Au revoir et bonne chance l'Hippopotame.
Le vaillant petit remorqueur a repris son rude métier de protecteur du trafic maritime. de ce trafic dont la sécurité devient chaque jour plus grande, grâce à l'inlassable dévouement de nos patrouilleurs qui rivalisent de courage et d'endurance dans l accomplissement de cette niche aventureuse.
R. L.
VERSION EXACTE du Cdt LE ROUX
Les trois voaliers du commandant Le Roux
Officier des Équipages de Manoeuvre (en retraite)
C'était en 1916, alors que je commandais un remorqueur de 600 qu'avait un nom d'zoizeau, le Hippopotame qu'i s'appelait.
Toujours bien briqué, l'était joli comme à Brest.
Mon histoire commence au retour d'une 72 heures, où j'avais envoyé avec moi au pardon du Folgoét madame LEROUX, mon aîné quartier-maître fourrier et son femme qu'était en attente.
En montant la coupée, Job me tend un message.
Là, je dois dire un mot de Job, qu'était à bord comme qui dirait mon Second, et qui tient sa place dans la suite comme vous verrez par vous mêm'.
C'était un bled à moi dévoué et tout, mais qu'avait pas beaucoup fréquenté l'école et qui par surplus se laissait un peu aller sur le boire.
Mêm' qu'un soir l'était rentré de terre bourré à zéro et s'était affalé d'un bloc par le panneau de la cale avant.
Près de deux mois à l'hosto, l'était demeuré avec une jamb’ plus courte que les deux zottes, mais toujours solide au poste et hardi au travail.
Le message était ainsi titulé :
"Commandant Hippopotame convoqué lundi dize heures à la Peu.Meu., 3ème bureau".
A l'heure dite, capelé dans mon uniforme de sortie, j'me présente au capitaine qui rentre de suite dans le vif du sujet :
"Voilà Le Roux, y a une mission importante pour vous. Demain vous appareillerez pour l'Angleterre chercher trois voaliers et les escorter jusqu'à Brest pour les protéger des sousmarins. Bonne chance".
De retour à bord, j'ordonne à Job :
"Prépare tout pour l'appareillage et manque pas de faire le plein de pinard".
Ça, j'avais ajouté pour rigoler vu que ç'aurait pas été dans son tempérament de l'oublier.
"Où c'est-y qu'on va ?" qu'i demande.
"T'occupes, c'est secret". Dam', je voulais pas qu'il risque d'aller trop causer dans un débit du Plateau où y en a qu'ont les oreilles longues et la langue rapide à marcher.
Au matin du jour après, sitôt le Mângain laissé par babeau et pris le Four, en avant et en route en gros cap au noroît.
Jusqu'à Portemouth rien à signaler, mais sitôt accosté après une fine manoeuffe, c'est là que le cirque a commencé.
Avec Job évidemment qu'était mon remplaçant réglementaire si je tombais faib'e et le timonier, un parisien qu'avait de l'instruction, on se rend dans un H.M.S. baraque où y avait à attendre un officier anglais avec de drôles de galons sur les manches et un tour de bitte par dessus, Routing qu'i s'appelait je me souviens, et les trois
commandants des trois voaliers.
Après les salutations, le British nous a amenés devant un mur où qu'était peinte une grande carte marquée "Channel", mais que j'ai tout de suite reconnue pour la Manche.
Là, i' s'met à causer, causer, en promenant une baguette de points en points marqués de lettres majuscules.
J'ai compris à vue que c'était les routes où qu'il voulait qu'on passe pour éviter les supposés sous-marins qu'étaient pointés avec des petits cabillots touches.
Le timonier qui écoutait avec des airs supérieurs traduisait, par ci par là, d'un n' t, de longues phrases, ce qui m'a fait douter de son savoir à interprétait si bien qu'il disait.
Enfin, après avoir montré Brest au bout de sa gaffe, l'officier British demande si on a bien compris.
Job, l'air éveillé d'une vieille au sortir de l'eau, me dit en faisant passer sa chique d'un bord à Pote, et en breton :
"j'ai rien beillesé, et toi ?"
Je lui réponds en breton :
"Te casse pas la tête, mon pays, on passera ou on passera pas où ce distingué veut. A la mer, on se dé..." et je me retourne vers les trois commandants des trois voaliers pour leur donner en français mes instructions détaillées
"Appareillage à midi. Cap sur Ouessant vent permettant et rester en groupe".
Dans l'après-midi, le convoa était ainsi formé : quand y faisait du calme, le remorqueur devant avait du vent dans la cale, les voaliers derrière ; quand y avait bonne brise, les voaliers me regagnaient et j'étais à la traîne derrière. Ce qui fait que l'un dans l'aut'e on naviguait comme prévu de conserve.
Après la soupe et avant de regagner ma bannette je marque, comme c'est réglementaire, mes ordres pour la nuit sur le journal de bord :
'Conserver bon cap et bonne vitesse. Faire de temps en temps des zigs et des zags pour tromper le sous-marin. Bien veiller le sous-marin et me prévenir en cas d'imprévu".
A minuit, je monte pour la relèfe de quart, et Job me dit
'Tout va bien, on a vu passer le sous-marin par bâbord.
- Gast alors, pourquoi que tu m'as pas prévenu ?
- Dam, qu'i me dit l'air offusqué, le sous-marin c'était prévu et t'avais marqué de te réveiller seulement en cas d'imprévu".
J'avais un pare-à-virer qui me brûlait la main, mais je n'ai pas voulu brusquer Job et pour l'avenir j'ai complété mes ordres en ajoutant
"Me réveiller en cas de quoi que ce soit".
J'étais à peine recouché qu'une gueulante sort du porte-voix de ma chambre .
"commandant, il est là de retour".
J'enfile mes bottes (à la mer je couchais tout habillé sauf mes bottes) et je monte.
"Où c'est qu'il est ?"
Je cherche, je cherche, mais d'un bord comme de lote, pas plus de sous-marin que d'beurre.
Alors j'ajoute à mes ordres pour que ce soit bien clair une fois pour toutes
"OBSERVATION IMPORTANTE : quoi que ce soit c'est tout
mais c'est pas rien"
et je souligne.
Après le jus du matin et un coup de lambic pour décrasser, je monte sur le pont et cherche à repérer mes yaks et trouve plus que deux, mém' en comptant à nouveau...
Alors je pense, faut faire de suite un P.V., sinon çui-ci on va me l'apostiller sur mon sac. Et après réflexion en moi-mém' je note sur le journal :
"P.V. de perte : un voalier a disparu sans raison valab’e et malgré bonne surveillance. II n'y a pas lieu à imputation".
Dans la journée on continue à faire route à bonne allure sans péripéties avec les deux de reliquat et à la nuit, je note sur le journal de bord
"Mêmes consignes que la veille, sauf escorter deux voaliers au lieu de trois".
Je dormais que sur un oeil, comme il se doit quand on a de la responsabilité, que j'entends, "y en a un qui s'est envoyé en l'air". Je monte en chaussons sur la passerelle, sans mettre mes bottes pour faire vite, et je vois un grand feu sur l'eau à une bonne distance par le travers.
"Çà, dit Job d'un air rusé, du coup c'est pas rien ?
Arme le canon, que je réponds, j'ai idée que le sous-marin doit pas être loin et qu'on va causer avec.
A droite toute, je dis à l'homme de barre, gouverne sur l'incendie.
Je siffle la machine et gueule (à cause du bruit)
"Pousser la chauffe."
Enfin, "Tout le monde à son poste et à ouvrir l'oeil ; la doub'e à celui qui voit quelque chose".
Celui qui l'a gagnée la doub'e et bien gagnée, c'est Zef, un marin-pécheur dans le civil, pas très militaire mais doué pour la vue,
malgré qu'à l'observer de face son oeil droit regardait à gauche et le gauche à droite.
"Patron, qu'il a crié, vot'béluga, il émerche deux quarts bâbord".
Je pointe mes jumelles louches et c'était vrai, je perçois une ombre noire qui se détachait à peine du voalier en flamme.
"Là, que je dis au canon, envoyez-lui une ration pour lui apprendre à viffre.
- Mais, dit Job, c'est qu'y a pas d'obus, sont tous en soute.
- Dégourdi, fais vite pour en chercher un."
Job fut long à remonter et i'm dit pour s'excuser
"On trouvait pas la clé, c'est Fanch qui l'avait donnée à Loïc, le magasinier qu'il l'avait planquée dans son pantalon-du dimanche".
Pendant ces retardements, le sous-marin se rapprochait
avec un air de mine de rien du dernier voalier et je gouvernais
cap dessus pour lui couper la route.
"Qu'est-ce que t'attends, Job pour tirer ?
- Vous avez pas dit de charger, commandant.
- Charge donc en vitesse.
- A poste, qu'i m'dit
- Tu tires oui ou ...
- Vous avez pas dit feu, commandant.
- Feu, nom de Dié."
Boum, le coup part et je pointe mes jumelles louches dans la direction ad hoc ; mais d'abord, je vois rien, rapport à la fumée, ensuite je perçois une cherbe à droite du sous-marin et un pei derrière.
"Vise deux doigts plus à gauche et une idée plus près.
- Mais, dit Job, c'est que la munition est épuisée, vous avez dit de chercher un obus et on a monté qu'un.
- Teso guinaouec, je lui dis - que c'est une injure pas traduisible en société - va chercher cor'un aut'e.
RUBRIQUE
ADMINISTRATIVE
Enfin deuxième boum, et même après la fumée, je vois plus rien là où le sous-marin était avant., De deux choses l'une je me dis en moi mêm', ou c'est qu'il 'a plongé ou c'est qu'on a fait but, et je continue la route avant demi.
En se rapprochant, on a distingué des points noirs sur l'eau qu'on aurait dit des petites bêtes qui surnageaient. Arrivée à toucher, on s'est bien rendu compte que c'était des tètes d'allemands, tout rasés qu'ils étaient.
Avec des boutts, la gaffe et une chatte, on a repêché douze, juste ce qu'il fallait, m'a dit Job, pour qu'ils ne nous foutent pas tous à la patouille car douze qu'on est à bord, ç'aurait pas été prudent qu'on embarque davantage.
La douzaine de chiens mouillés on leur a donné, par fraternité des gens de mer, du vin chaud et rassemblé à coucher dans le poste avant..
Avec le seul voalier rescapé, qu'avait repêché l'équipage de lote qu'avait brûlé, on est rentré en grande rade et aussitôt amarré en Penfeld, j'ai été rend'compte
"Un seul voalier qu'on a ramené avec deux équipaches, un qu'a été torpillé, un ote qu'i s'est pointé disparu et on a coulé un sous-marin".
Le chef d'état-major n'était pas content rapport à la perte, et il a marmoné
"Coulé un sous-marin, coulé un sous-marin, tous les mêmes, c'est vite dit ; avez-vous vu la tache d'huile ?"
Çà, on pouvait pas dire honnêtement, j'avais pas la souvenance d'une tache d'huile et je suis rentré à bord me concerter avec Job et lui dire que si on n'avait pas vu de tache d'huile, on n'avait pas coulé de sous-marin.
Tout rouch' qu'il est devenu et avalé sa chique.
"d'l'huile y en avait pas, mais les douze rationnaires qui sont en bas et qui foutent la cambuse à cul, c'est-y pas des preuves ça ?"
Alors, une idée à lui, on leur a capelé des effets de l'habillement et rassemblés en douce devant le Peu-Meu.
Tellement bien alignés qu'ils étaient qu'on a bien vu qu'c'était pas des marins français et acceptés comme pièces à conviction.
L'Amiral, un grand sec, pas causant à l'ordinaire, était bien content et m'a dit :
"Le Roux, vot'histoire, c'est toute une Odyssée et je vais vous proposer pour la croix de guerre".
Il m'a invité à son déjeuner avec la Préfete et tout.
C'était bien honnête, mêm' qu'y avait du vin rouch' à discrétion.