LA MARINE
Nous sommes partis par le train, avec notre petite valise, car nous avions été prévenu de ne prendre que le nécessaire, devant retourner mes effets civils, lors de notre première permission.
La séparation avec nos parents à la gare n’a pas été trop pénible, sauf pour la Mère de Roger qui n’arrêtait pas de pleurer. A notre arrivée en gare de Brest, nous avons été reçus par des gradés et conduits par groupe à la canonnière Vipère qui nous attendait amarrée aux radeaux au pont Guedon, la première chose que nous avons faîte, c’était de tremper notre main dans l’eau pour goûter à l’eau de mer.
A notre arrivée à bord du Montcalm, nous avons été séparés, Roger restait à bord, affecté à l’Ecole des sous Officiers et moi sur l’Armorique à l’école des Mousses, nous étions séparés par une trentaine de mètres reliés par des radeaux.
Le lendemain, nous étions habillés et c’était la visite médicale avec piqûres à l’appui. Une nouvelle vie allait commencer, 6 heures branlebas, petit déjeuner, 1 quart de café, une tranche de pain, puis toilette et poste de lavage jusqu’à 7 heures 45 ; 8 heures appel et exercices, 12 heures repas ; la boule de pain par table de huit, l’homme de plat coupait les morceaux et avec les huit fourchettes matriculées à notre numéro piquait les morceaux de pains, il en était de même pour la viande, 13 heures reprise des exercices jusqu’à 18 heures ; 18heures 30 souper, puis études jusqu’à 20 heures. heure du coucher où nous allions prendre nos hamacs dans les bastingages sur le pont, tout cela au son du clairon, drôle d’impression de coucher dans un hamac, mais il faudra bien s’y habituer.
A notre arrivée, notre argent a été confisqué et mis en dépôt sur un livret, nous avions droit à 2 Frs par dimanche de sortie (tous les 15 jours) plus 2 timbres militaires par mois pour écrire à nos Parents.
Je n’avais pas eu l’occasion de revoir mon ami Roger et pour cause, la première lettre que j’ai reçu de Châteauneuf était de sa main, n’ayant pu se faire à cette nouvelle vie, il était de retour chez lui, ses Parents avaient payé le débit à la Marine, ce ne pouvait être mon cas. Son destin était écrit, il devait se tuer en voiture sur la route de Levet, le lendemain des noces de son frère Gilbert au mois de mars 1928. Je n’ai pu le revoir, n’étant pas venu en permission de Noël puisque j’étais hospitalisé à l’hôpital Maritime pour une sérieuse otite, ayant frôlé l’opération de la mastoïdite, mon abcès ayant crevé la veille de l’opération. A mon retour à bord, j’ai été affecté pour mon poste de lavage, au poste des seconds Maître, cette affectation m’a rendu service, pour la suite de ma carrière. Le second Maître de manœuvre Rouault, mon instructeur, m’ayant pris sous sa coupe, m’a conseillé à la sortie des cours de prendre la spécialité de manœuvrier ; étant dans les 10 premiers, j’avais le droit de choisir toutes les spécialités. Son conseil s’est avéré excellent pour l’avancement, beaucoup d’Officiers Mariniers de cette spécialité prenant leur retraite à la limite d’âge..
J’ai signé mon engagement de 5 ans au mois de janvier 1928, j’étais content de mon sort et ne souffrais pas trop de la faim. En remplissant la feuille de renseignements, mon Père avait omis de signaler ma religion, aussi tous les dimanches au lieu d’aller à la messe, j’étais de corvée avec quelques copains, soit à la cuisine, soit à la cambuse, nous étions récompensés par un bon casse croûte. Parmi mes camarades, il y avait un nommé Lapoire, de la rue Nationale à Bourges, nous étions entre Pays, j’aurai l’occasion de reparler de lui, un peu plus tard dans mon roman. Ma première permission pour Pâques 1928 pour 8 jours, mon Père était vraiment content de me revoir, par contre la maman de Roger a eu beaucoup de
peine, en me voyant dans la tenue de Marin.
A la fin de l’année de l’Ecole des Mousses, j’étais désigné (après un mois de permission) sur le cuirassé Lorraine à Toulon pour mon cours de Gabier, je ne voulais pas être à la charge de mon Père pendant cette permission, aussi j’ai travaillé pendant 3 semaines à la carrière des fours à chaux près de la gare.
Mon cours commençait le 1° octobre 28, nous étions 40 dont une vingtaine de mousses. Une nouvelle vie allait commencer ; enfin j’allais naviguer et apprendre mon métier, nous n’étions plus des gosses, mais des hommes d’Equipage de ce beau cuirassé d’Escadre.
Le 6 octobre 1928 j’ai reçu ma première part de prime d’engagement (875 Frs) le jour même, par un mandat j’expédiais la somme de 800 Frs à mon Père, je lui devais bien cela, après ce qu’il avait fait pour moi, personne n’était au courant, mon frère Edmond en a fait la découverte par le talon du mandat lors du triage des papiers de mon Père après sa mort.
Bon pour la corvée de charbon 1200 tonnes (des briquettes de 8 Kgs) commencée à 6 heures du matin jusqu’à 17 heures avec un arrêt d’une heure pour le repas, ensuite le poste de lavage, il fallait voir le lavage corporel, tout le monde à poil sur la plage avant, avec une baille d’eau pour 8. Nous avions les yeux maquillés pour 1 mois.
Après quelques sorties d’entraînement en méditerranée, nous avons appareillé au mois de novembre pour 3 semaines, la Corse, la Tunisie (corvée de charbon à la Goulette devant
Tunis, sous une chaleur torride) l’Algérie et retour Toulon en décembre pour les permissions de Noël.
Décidément, je ne devais pas passer les Fêtes en Famille, pour la deuxième année consécutive, je me retrouvais à l’hôpital Maritime, trois jours avant notre arrivée à Toulon, j’étais transporté à l’infirmerie du bord avec une forte fièvre, mon voisin de lit, était Henri Charrère dit Papillon surnom dû à ses tatouages, dont un joli papillon en couleur. A cette époque, il était qu’à l’état de chrysalide, car il y avait à bord du Lorraine ( Le bateau disciplinaire de l’Escadre ) une vingtaine de vrais durs en provenance de Clairvaux où de Calvi, c’était les ratiers, chargés de la propreté de la coque, sous les ordres du Maître Charpentier.
A l’arrivée au mouillage, le 15 décembre 1928, la première embarcation mise à l’eau était pour me transporter d’urgence à l’hôpital de St. Mandrier, j’avais la diphtérie, au pavillon des isolés, j’ai été très bien soigné, surtout par une infirmière assez âgée, ayant perdu son fils à peu près de mon âge. Je tiens à la remercier, malgré son cadeau du matin de Noël ( une paire de gifles) que je méritais bien. En voici la cause : je m’étais tatoué, ayant dans mon petit sac, un bâton d’encre de chine qui me servait pour matriculer mon linge et des aiguilles. Dans un moment de cafard, j’avais tatoué le prénom de mon premier amour et en plus un joli cœur avec flèche et ses initiales. Le matin de Noël avant la visite, mon infirmière a voulu changer ma chemise, je ne voulais pas, disant que je pouvais le faire seul, mais passant outre à mon désir, elle m’enlevait ma chemise et découvrit la raison. Hors d’elle, j’ai eu le droit à une bonne paire de gifles et aussitôt le gant de crin et l’alcool à 90°, heureusement pour moi, il y avait encore la croûte sur mes tatouages, ce qui a permis d’enlever le plus gros, il me reste que des petites traces, aujourd’hui, je la remercie pour son intervention. Pour le Jour de l’An, alors que je recommençais à manger normalement, cette brave Femme m’a vraiment gâté. J’ai quitté l’hôpital le 10 janvier 29.pour rejoindre le bord et reprendre mon cours de gabier, avec un peu de retard sur mes camarades. A la sortie du cours j’étais 3/40 ce qui me permettait de choisir mon embarquement, et j’étais désigné pour le torpilleur l’Ouragan le 1° avril 1929. C’était un beau bateau, commandé par le Capitaine de Corvette Negadelle (tué à Brest au cours de bombardement en 1943 il était contre Amiral) et comme second, le Lieutenant de Vaisseau Toussaint de Quévrecourt qui, comme Capitaine de Vaisseau, commandant le Dumont d’Urville dans le pacifique, avait répondu les cinq lettres à De Gaulle, en réponse de son télégramme lui ordonnant de se rendre aux Anglais.