C’est là que je me trouvais au début 1945, encore simple matelot sans spécialité, il faut bien commencer…
Bébé pingouin revêtu d’un simple duvet, j’arrive sur la base en provenance d’Agadir, engagé depuis huit mois déjà, en compagnie d’une dizaine d’autres compagnons de couvée, détachés là en attente de départ pour les cours en GB.
D’autres jeunes engagés de 1944 sont présents, dont André Digo qui attend de partir à son cours de mitrailleur, nous ferons connaissance plus tard... en 2010 au Centenaire d'Aéro... pour découvrir que nous étions au même endroit lors de la victoire de 1945.
La base de Khouribga est encore en pleins travaux et s’organise pour devenir servir d’école de pilotage, les seuls avions présents sont seulement ou deux Caudron Goéland de liaisons.
Nous faisons des tâches diverses, pas forcément en rapport avec nos spécialités futures mais plutôt avec nos aptitudes, vu mes antécédents civils dans le dessin industriel, je suis désigné pour travailler avec l’Ingénieur mécanicien, afin d’effectuer des plans concernant l’aménagement des hangars.
- Spoiler:
- Sur la base certains travaux sont assurés par des prisonniers italiens, entre autres occupations, ils nous servent à table !
Finis la gamelle et le bidon et le briquage de bancs et tables, c’est vraiment exceptionnel pour nous matelots sans spécialité normalement corvéables à merci...
Plus âgés que nous, ça va sans dire, les Italiens sont assez habiles et pour se faire un peu d’argent, ils fabriquent des briquets à essence avec des bouts de dural récupérés au parc à ferraille... mais où trouvent-ils les molettes striées en acier ? je ne saurais le dire aujourd’hui.
Nous découvrons l’essence avion 130/145, idéale pour nettoyer les bleus de drap par trempage direct dans le fût de 200 L.
Inconsciente rétrospective…
Mon ami Digo se souvient des mêmes choses, il écrit dans ses mémoires :
Bien que de condition modeste, cette petite base avait ses « gens de maison » fournis gracieusement ? par un contingent de militaires italiens prisonniers.
Il y avait parmi eux, un maître tailleur et un artisan bottier sans omettre un médecin expérimenté auprès duquel notre jeune docteur de première classe avait souvent recours.
Ils assuraient, en cuisine, les corvées de pluches, de plonge et de serveurs à nos tables en poussant souvent la chansonnette et, dans nos logements, tous les travaux d’entretien que nous, jeunes recrues aurions dû assumer.
Il ne nous restait que les gardes de nuit.
La région n’était pas verdoyante, il y avait des meutes de chiens sauvages, au pelage fauve, hauts sur pattes, efflanqués, côtes saillantes, qui parcouraient parfois notre terrain en foulées de lévrier.
On les appelait « chiens jaunes » ou encore « chiens kabyles » sans doute leur appartenance à cette race canine originaire d’Afrique du Nord.
Ils faisaient autant pitié que peur car, affamés, on les sentait capables de se jeter sur n’importe quelle proie.
Lors des gardes de nuit, nous décernions leur présence silencieuse, trahie par les brèves lueurs d’yeux ambrées.
Ordre nous était donné de les faire fuir en tirant au mousqueton au travers des vasistas des sanitaires où nous nous réfugions par prudence.
Il y avait des tarentules et des scorpions noirs et marrons que l’on découvrait accrochés aux murs à hauteur d’épaule.
Par prudence, au coucher, nous secouions vigoureusement nos hamacs et les inspections soigneusement avant de s’y glisser.
A proximité de nos bâtiments, il était fréquent de trouver, abandonnées sur le sol aride et caillouteux, des peaux cornées dont les vipères s’étaient dépouillées lors de leur mue.
Nous allons souvent au village de Khouribga à pied à travers champs…
Le samedi soir on peut danser et boire un pot au cercle de l’OCP (Office Chérifien des Phosphates) où beaucoup de familles européennes travaillent.
C’est assez difficile de lier connaissance avec les filles qui sont étroitement surveillées par les pieds noirs du coin, quelques bagarres éclatent parfois.
Le 8 mai 1945, après un repas amélioré en l’honneur de cette fête de la victoire contre l’Allemagne, nous obtenons la permission de sortie jusqu’à minuit.
Mêlés à quelques militaires de l’infanterie coloniale, nous déambulons par petits groupes de « pompons rouges » dans la grande rue dont les façades sont pavoisées de drapeaux tricolores.
Les postes de T.S.F diffusent bruyamment des musiques militaires et à l’intérieur des cafés on danse et chante à tue-tête.
Nous sommes fêtés et applaudis, on nous offre gâteaux et cigarettes.
A la porte de chaque restaurant et débit de boisson sont disposés des baquets de bois ou des bassines remplis de sangria que l’on nous sert à la louche.
C’était il y a 71 ans à Khouribga
La BAN de Khouribga était située sur le plateau du Tadla, à environ 100 km de Casablanca à 800m d’altitude, surnommé le plateau de la soif par les marins, à proximité d’un centre d’extraction de phosphates, la construction de la base remonte à fin 1942.
En 1943, toujours en cours d’installation, elle abrita une première école de mécaniciens et d’armuriers.
Officiellement crée en tant que BAN en janvier 1944, au premier trimestre 1945 elle va assura le soutien d’une École de pilotage de début, qui deviendra la 51S, puis de 1948 à 1957, de la 52S une École de perfectionnement monomoteur.
De 1954 à 1960 elle accueillit l’École de chasse 57S.
Remise aux Marocains elle ferma ses portes le 31 mai 1961.
Dernière édition par J-C Laffrat le Jeu 5 Mai 2016 - 22:18, édité 1 fois