BOBOSSE a écrit:J'ai fait les arpettes, comme apprenti mécanicien.
Entré en septembre 61, matricule 579T61 et j'en suis sorti en juillet 62.
4A, puis 3B, comme chaudronnier, puis la porte.
Au revoir Saint Mandrier, bonjour Porquerolles pour le BE radariste.
J'ai une mémoire sélective.
Je ne me souviens de pas grand chose (comme pendant les cours)!
Je n'ai retrouvé aucun de mes anciens collègues dans vos colonnes.
Nous étions pourtant 125 en septembre 61 pour 119 à signer.
Les arpètes, ont été, pour moi, l'école de la vie.
Mes parents m'avaient envoyé en pension, où je m'étais -déjà- fait virer.
La collectivité, je connaissais.
Le soir, dans la chambrée 4A, parfois, on entendait des gémissements, voire des pleurs.
C'était les jeunes, ou ceux en manque de leur mère, qui se lamentaient.
Moi, j'étais un grand, j'étais déjà passé par là, 4 ans avant.
Même pas pleuré.
Dans la cour, c'était l'anarchie.
Les bancs !!! Les bancs des Corses, des Alsaciens, des Parisiens, des Morbihannais, des Finistériens, des Brestois...
Moi qui était beauceron, personne n'est parfait, je n'avais pas de banc et je m'asseyais là où un ancien me tolérait.
Cela m'avait marqué.
Le calot, la vareuse, le bachis, ah ! le bachis.
Il ne fallait pas avoir le calot cassé lorsque tu étais un bleubitte.
Il ne fallait pas avoir la vareuse sortie lorsque tu étais un bleubitte.
Il ne fallait pas avoir le bachi dépucelé, que tu sois bleubitte ou ancien.
Marrant, alors que je ne l'étais pas, moi...
On était haut comme trois pommes, on n'avait pas de poil au menton, on s'envolait lorsque le Mistral soufflait en février, mais on fumait.
Les troupes !!!
Seize paquets par mois, plus 8 timbres et un bon de colis.
Dix cigarettes quotidiennes, "offertes" par l'état à des gamins de moins de seize ans !
Tout comme le gros cambusard que l'on avait à la tirette, cambusard ou bière, au choix.
Lors de la remise des fringues, je ne sais ni comment ni pourquoi, mais on m'a refilé des grolles trop petites.
J'ai bien eu du mal en les enfilant, mais on m'a dit que c'était neuf et que cela se ferait...
Moi, je veux bien mais aujourd'hui, j'ai les orteils en forme de point d'interrogation, à cause des années passées à porter des pompes trop petites.
La 4 A, avec le SM1 bosco Coulon et un autre de même grade dont j'ai oublié le nom, mais dont le patronyme devait également se terminer en ON.
L'un d'entre nous que nous avons du balancer dans les lavabos pour le laver, vu qu'il n'avait pas pris de douche pendant six semaines.
Cela a amené une plainte du gars, et conséquence indirecte, inspection de cou afin de voir si les apprentis étaient propres.
Arrive le tour d'un gars, au patronyme à consonance étrangère (britannique), de sang mélangé et dont la peau n'était pas uniforme (c'est le cas de le dire), mais présentant ça et là, des plaques plus ou moins ocres :
- "Vous êtes sale, lui rétorque l'officier d'inspection."
- "Je ne le suis pas, je me lave, je suis propre, ma peau est ainsi, capitaine."
- "Allez me chercher de l'eau de Cologne, que je vérifie."
L'apprenti était effectivement propre.
Les arpètes, pour moi, c'est également, le quart en chambrée, de deux heures seulement.
Une nuit, un chouf suivant le cours, est venu, en état d'ébriété avancée, parait-il, pour suggérer au jeune gamin de quart de lui faire une gâterie.
Le gars l'a envoyé promener, a réveillé Coulon...
Le chouf a été viré de la marine.
Cela m'a amené à me poser des questions : Un arpète, ou un mousse, est mineur.
Tout acte sexuel à son encontre, même avec son accord, est considéré comme de la pédophilie.
Mais, à ce même môme, on lui file des cibiches, et du gros rouge.
On lui file un Mas dans les mains et on lui apprend à tirer, parfois, par la suite, il est appelé à tirer sur cible vivante.
En même temps, cet adolescent n'a pas le droit de voter.
De tuer quelqu'un oui, de donner son opinion, non ! Ma foi!...
Les arpètes, pour moi, c'est le cinoche du dimanche, avec des films sélectionnés pour ne pas choquer.
Ce sont des noms : Les seconds maîtres fusiliers Fritz et Omphalius, comment peut on oublier des gars de cet acabit, surtout avec de tels patronymes :
- " Et, lahh, le biti, fous me verez des bompes.
An, Teux Droit, Gadre, allez, à fond, bas sur le fentre...".
C'est le foyer avec les Pivolo, et le Chef de foyer, un séminariste, homme idoine au charisme époustouflant.
C'est le très cher Suscino, et son sifflet et son uniforme.
J'étais un chanteur et je me demandais pourquoi cet homme qui devait bien avoir 70 ans passés travaillait encore ?
Avait-il besoin d'argent ? Le coiffeur ! Sur l'air des chevaliers de la Table ronde : C'est Kaboul, oui, oui, oui, c'est Kaboul, non, non, non, c'est Kaboul qui m'a fait la boule.
Kaboul, maître clairon coiffeur.
Un métisse de plus de 100 kilos.
Lui aussi, comment l'oublier...
Il y avait aussi, un Ouessantais qui n'a pas voulu signer, qui a gueulé la quille, vous faites tous chi.., bandes de fayots, j'en ai marre.
Très bien au revoir.
Je l'ai revu quatre ans plus tard, il était discret.
Il s'est réengagé pour faire timonier et était sur un navire à couple du mien...
Il y avait donc la préparation physique, d'accord, pas de problème, l'éducation générale, facile, le saccotage, fallait trouver le moyen de tirer au cul, parce que je ne suivais pas, et il y avait le matelotage.
La matelotage !!! Les canots avec les dames, la godille, les nœuds, les épissures.
Ben dame, les bretons, ils avaient de l'avance, ils apprenaient cela dès leur première enfance, mais moi, comme on disait, cela ne poussait pas dans mon canot, et les nœuds, je noeud pigeais que dalle...
La technologie, cela commençait à devenir duraille.
Mais la chaudronnerie!
Même Le second maître chaudronnier Le Bozec, qui m'avait pourtant à la bonne, s'arrachait les poils de sa moustache à la Brassens.
Première pièce, une bande de fer de deux doigts de large et une vingtaine de centimètres de long, sur quelques millimètres d'épaisseur.
Une palanquée de marteau et on devait transformer ce I en un S.
Mon chef d'œuvre, car c'en était un, était d'avoir fait de la dentelle d'Alençon.
On voyait au travers, et cela ressemblait à une carte routière, tant les coups mal assurés avaient laissé des traces.
Le second travail était deux carrés de cuivre à transformer en deux demi sphères, et les emboiter l'une dans l'autre.
J'ai fabriqué un excellent arrosoir à la Calder.
Lorsque j'avais une note supérieure à 6, j'étais heureux.
Pas fier, mais heureux.
Le fait que je sois gaucher et handicapé par cela pour utiliser fraiseuse ou découpoir pouvait expliquer, mais légèrement.
Non, je n'étais pas taillé pour être mécano, c'est tout.
Et puis, on n'appréciait pas mon humour.
Il y avait une bouteille à acétylène, ou autre chose, peu importe, avec un manomètre qui, en position fermée indiquait, disons 8 heures, et lorsque la vanne était ouverte marquait, selon le remplissage, midi, 2 heures, 4 heures...
Une fois, j'ai dit :
- "Oh putain, il est déjà trois heures, il est temps que je bosse."
Dix minutes après une bonne âme qui ne m'aimait pas avait raconté partout dans l'atelier combien j'étais con, car j'avais pris un mano pour une montre.
Les arpètes, c'était aussi le lavoir.
Agréable, surtout en février.
Bonjour les gerçures.
J'enviais les Mokos qui emmenaient leur linge chez maman !
Et le repassage ! La couture !
Cela m'a été utile toute ma vie.
Les corvées ! Pas grand chose à en dire, sinon qu'il y avait du pistonage pour les bonnes et que je me retrouvais donc souvent aux poubelles ou à balayer.
Les pluches, la cuisine, le pied.
Oui, le pied.
Il y avait un second maître cuisiner dont je n'ai jamais connu le nom, mais qui invariablement disait à tout le monde :
- "Dis, p"tit, tu veux que j'te foute ma bite au cul, p'tit ?".
Donc, on l'appelait Bitoku.
Un jour, il y avait du hachis Parmentier au menu.
La purée était dans une gamelle dans laquelle on pouvait planquer toute une compagnie et un hachoir électrique se situait dessus.
J'avais terminé de passer la viande et devais démonter le pas de vis, afin de nettoyer le laminoir. Mer.., coincé !
Qu'importe !
Un pied sur le taquet, poussant vers le bas, les mains sur le taquet du haut, tirant vers moi.
Vous avez compris !
Le serrage a cédé, et mon pied s'est enfoncé jusqu'à la cheville dans la purée enviandée.
Honteux, gêné, je cherche de l'aide du regard.
Bitoku arrive, me regarde, m'engueule, prend une longue spatule en bois m'agrippe le bas de la jambe du pantalon et à l'aide de la spatule, racle tout ce que j'avais sur la grolle, la cheville, la chaussette et le pantalon et il malaxe le tout...
J'en ai tout de même mangé.
"On" m'a dit que Bitoku avait fini sa carrière en tôle.
Motif : Avoir volé des matières consommables appartenant à l'État.
Il aurait maquillé les livraisons de viande avec un boucher local fournisseur de l'EAMF.
J'ai effectué un bref passage aux arpètes et ne dois pas avoir laissé un souvenir impérissable. Néanmoins, cette année a été capitale pour moi, je crois que je suis passé de l'enfance, oui, enfance, pas adolescence, à la maturité, même si, à 18, 20 et plus, j'ai encore fait des conneries. Qui n'en a pas fait sous le bachi ?
Aujourd'hui, je n'ouvre jamais le capot de ma voiture, ayant peur de ce que je pourrais y trouver et laisse ce soin au mécano du coin.
Je ne dis pas trop fort que j'ai été apprenti mécanicien, je n'aime pas trop que l'on se foute de moi, un peu, mais pas trop.
L'année des arpètes n'a pas été la meilleure de ma vie, mais une des plus importantes, et probablement une de celles qui m'a forgé.
Je n'ai pas retrouvé un seul des anciens avec qui j'ai partagé ces douze mois.
Il faut dire que je n'ai pas trop cherché.
D'une part, se souviendront ils de moi ?