A Kéroman , au début des années 60 , les us et coutumes sur les bateaux noirs voulaient que les Vieux Choufs "sortent leurs jeunes matelots de temps à autre : sorties initiatiques pour certains , mais qui avaient pour avantage de renforcer la cohésion de l'équipage . En effet , pour les jeunes branleurs que nous étions , il n'était pas question de sortir notre maigre porte-feuille ou quelque billet que ce soit sous peine de ramasser un pare-à-virer ou un coup de pen-bass ! Notre maigre solde de 18 Francs accompagnée de huit timbres , un bon de colis et quelques paquets de "troupes" ne nous permettait pas de faire des folies ! En un mot : les vieux Choufs nous payaient tout : la bouffe , la bibine et le c.l si besoin s'en faisait sentir !! Nous nous sentions donc redevables envers nos anciens , et cette tradition qui soudait un équipage est , je pense , disparue de nos jours comme tant d'autres malheureusement !!!!
Un soir , au dégagé , Riton , Jules , Alex , La Purge et quelques autres Vieux Choufs du Morse décident de tirer une bordée au Port de Pêche . Volontaires ou pas ,les jeunes étaient conviés d'office à participer à l'expédition . Expédition qui consistait à descendre côté tribord la rue du Port de Pêche avec escales obligatoires dans toutes les chapelles , virer la bouée de la Criée , et remonter côté tribord , auparavant bâbord à la descente , en appliquant le même procédé . En général , la remontée s'arrêtait à mi-drisse faute de combattants vaincus par les vapeurs et les efforts fournis pour naviguer en ligne droite . Accomplir le parcours complet relevait d'un exploit et rares sont ceux qui ont pu le terminer en entier ; on doit les compter sur les doigts d'une seule main !!!
Me voilà donc embrigadé d'office dans le corps expéditionnaire !! Première escale : chez le "Yougoslave" au Corona où on se met une ventrée de langoustines ( c'était quand même mieux que chez Josse ) le tout arrosé de moulte quilbus de Muscadet , Gros Plant et autre Sèvre et Maine dont quelques uns offerts par le Maître des lieux trop heureux d'écluser une partie de son stock de crustacés . Après avoir bien festoyé , la note étant règlée par les Vieux Choufs , nous appareillons pour notre mission de la plus haute importance : la périlleuse descente du Port de Pêche .......
Escale après escale , Chapelle après chapelle , ravitaillement après ravitaillement , nous virons la Criée à une heure avancée de la nuit ou plutôt de bonne heure le matin . La remontée s'effectue tant bien que mal .... A mi-drisse : coup de barre général !!!! Les Vieux Choufs décident de faire une pause , le temps de recharger nos batteries ( normal pour des soums ) avant d'attaquer la fin du parcours . Cette pause nous est fatale : épuisés à force de trimbaler plusieurs grammes dans chaque poche ( qu'ils sont lourds ces grammes ) nous nous endormons l'un après l'autre ......
Le premier qui décoince consulte plusieurs fois sa montre avant de sonner le branle-bas : il est 8 h 1/2 passées . D'habitude les boueux nous réveillaient en effectuant leur tournée de ramassage des poubelles , mais là : rien !!! peut-être ont-ils essayé de nous secouer ou ont-ils eut pitié de nous jugeant notre état de fatigue un peu trop avancé !! On ne le saura jamais !!!!
Toujours est-il que nous sommes sérieusement à la bourre pour l'appel de 8H00 !! Nous nous hâtons avec lenteur pour rejoindre la route de la BSM , les uns aidant les autres dans la mesure de leurs moyens et de leurs équilibres . Quand soudain une idée géniale illumine le cerveau embrumé d'un des Vieux Choufs :
- Eh les gars !!! si le cochonier n'est pas passé , y va p'tet pouvoir nous faire rentrer sans se faire baiser par les flics !!!!!
Excellente idée approuvée à l'unanimité , alors on hâte le pas pour essayer de l'intercepter sur la route qui mène à Kéroman
Ce brave homme possèdait un petit élevage de cochons dans un patelin proche de Lorient et venait récupérer tous les deux jours dans des fûts de 200 litres les surplus des cuisines , les restes du Carré , du Poste des Maîtres et du réfectoire équipage . Nourriture pour cochons fournie à bon compte sur le dos de l'ordinaire et des différentes tables . La contre-partie était classée Secret Défense .
Mais il n'était pas le seul à avoir des cochons !!! Notre service Intendance entretenait un élevage clandestin et plus ou moins toléré entre le bâtiment Intendance et le Ter : élevage de tris ou quatre gorets dont les actionnaires minoritaires , à savoir le Carré et le Poste des Maîtres tiraient de substanciels dividendes : Pâtés , saucisses , jambons , rôtis , filets mignons , grillades etc... etc... quant à l'actionnaire principal : il n'en percevait que les appétissantes effluves résultant de la cuisson des pâtés . Les filets mignons étaient inconnus du menu de l'équipage !!
Il est quelquefois arrivé qu'au retour d'une " sortie " , à une heure que la descence m'interdit de préciser , on rende une visite protocolaire à la tribu porcine .......
LA SUITE AU PROCHAIN NUMERO