Traversée du Golo : Manille-Haiphong
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Ce 25 janvier 1952 au matin, le cap que nous avons pris hier soir est matérialisé sur la carte par une ligne droite qui s’en va passer au sud de la grande île
chinoise de Hai nan, et en limite des eaux tErritorriales chinoises. A peu près à mi-chemin, cette route nous fait passer en plein milieu d’un archipel qui s’appelle les « îles Paracel », ce sont des hauts fonts coralliens qui s’élèvent du fond de la mer de Chine et qui s’étendent sur une grande surface sous forme de petites îles isolées. La carte a été étudiée, elle est également sur la table des cartes, elle prendra la place du routier quand le moment viendra. Ces îles, je ne les verrai pas, en effet je suis exempt au poste, j’ai un gros mal de gorge qui s’est déclaré hier soir.
L’officier en second, après en avoir parlé avec l’infirmier qui m’a regardé dans le fond du gosier en me faisant faire : aaaah ! décrète que j’ai une angine et me mets exempt au poste (il n’y a pas de médecin à bord du
Golo seulement un QM1 infirmier.)
A la passerelle, je suis remplacé par le matelot fusilier qui gueule comme un putois en me traitant de planqué et par le QM Maistrancier détecteur. Je leur dit pour les faire bisquer que ça va les aérer un peu, qu’on les voyait pas souvent sur le pont. Qu’ils profitent donc de l’occasion pour voir du pays, on le voit bien de là-haut… Enfin le lendemain 26, je suis guéri ! cela n’était sans doute pas une angine. Je reprends, heureux, ma place à la passerelle. Les deux autres, qui se voyaient déjà condamnés à la passerelle à perpete, pour quatre jours, sont bien satisfaits. Moi, ils m’ont soulagé du 0 a 4 du 25 au matin.
Pendant cette traversée, bien entendu nous ferons les exercices habituels que nous connaissons tous et que le règlement prescrit, avec un accent particulier sur les postes de combats et le 24 après midi, pendant une heure environ, pour moi, ce fut étrange, chacun était à sa place et moi je me trouvais seul, exempt, dans le poste arrière. N’était-ce les bruits très réguliers des machines, et quelques craquements réguliers également qui se produisent toujours à bord d’un bateau même métallique, je pouvais me croire seul à bord
C’est dans le même temps que se déclara mon angine, le 24 au soir, que la mousson se lèva ; on avait tout d’abord ressenti une houle de Nord, le vent a suivi. Ce changement de temps a été radical et remarquable et quelques petites averses qui provenaient du conflit entre deux masses d’air très différentes, l’ont matérialisé. Et puis, par la suite, avec un refroidissement marqué, le LST n’a plus le vent dans le dos, mais par le travers avant tribord, car le vent souffle de plein nord, et il est très frais. On sort les jerseys des caissons, et sur le pont jersey, blousons et bonnets de mer montre bien que nous arrivons dans un type de temps hivernal ...
Pour ceux à qui j’ai pu décrire les phénomènes météos qu’ils ne connaissent pas je vais récidiver en leur montrant ce qu’est la mousson d’hiver provoquée par l’anticyclone qui reste à demeure de septembre à mars, qui va de Moscou à Wadivostok, qui plonge dans le froid toute l’Asie du nord, Sibérie et autres pays pendant ces mois-là et que l’on appelle anticyclone russo-sibérien ou anticyclone de Sibérie. Par curiosité, interrogez méteo Oulan Bator qui est la capitale de la Mongolie, pendant ces mois de froid permanent, vous y trouvez entre moins 30 et moins 40. Et ce n’est rien, c’est dans ces hautes pressions que l’on rencontre le pôle du froid. Quand j’étais à l’école de la météo, en 1957, le minimum absolu avait eu lieu quelques années plus tôt en Sibérie, à Verkoiansk, il était de moins 86,7. Je crois que record n’est pas encore battu.
La cause : si cet anticyclone est ainsi présent, c’est que chaque année, l’automne arrivant, jour après jour, le sol d’Asie rayonne vers l’espace, restituant ainsi toute la chaleur qu’il a pu emmagasiner au cours de l’été. Les basses températures qui en résultent sont transmises à l’atmosphère et l’air qui devient de plus en plus froid, puis glacial, se trouve ainsi scotché pendant six mois environ, avec un ciel le plus souvent très pur.
Alors, puisque nous savons que dans un anticyclone, les vents qu’il génèrent tournent dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord, vous avez compris que dans la région où le
Golo arrive il n’est pas dans cet anticyclone qui est uniquement continental, et voila pourquoi les vents froids déboulent du secteur nord.
Ce sera la dernière fois que l’on change d’heure, et une seule fois pendant ces quatre jours, je fais comme d’habitude ma tournée des pendules en prenant soin de pénétrer chez le commandant quand il est à la passerelle de navigation ; ce n’est pas que j’ai peur de lui, loin de là, mais c’est tout simplement pour ne pas le déranger. Ce 27 janvier après-midi, nous sommes à l’heure de l’Indochine.
Pendant cette journée nous passons au large d’Hai Nan, ce qui permet d’aller à terre avec les jumelles, mais nous en sommes bien loin. Le
Golo n’est plus sur la « sombre route » (Aylic Marin). Les eaux sont troubles et sont blanchâtres, on a l’impression que le fond – que l’on ne voit pas – est à portée de la main ; Nous sommes au dessus du plateau continental, mais je ne me souviens plus des fonds indiqués sur la carte.
En fin d’après midi, Hai Nan disparaît à son tour et après avoir rectifié le cap de quelques degrés vers le Nord le LST
Golo fait route vers le delta du Fleuve Rouge.
Mon dernier quart à la mer pour cette longue traversée sera celui de ce soir, de 20 à 24.
A suivre