Après Conan…Balisson le rebelle
Le 11 01 1955 – École des Mousses – Le Dourdy – Loctudy.
Balisson, tu pars ce soir en permission spéciale, ta grand-mère a été renversée par un camion, elle est décédée aujourd’hui….
Quimper, train de nuit, arrivée au Mans vers 22 heures, il fait nuit noire, mes parents habitent à Mulsanne, petite commune connue mondialement pour son célèbre virage, ah ! mes amis je suis véritablement peiné que vous ne connaissiez pas le virage de Mulsanne, celui des 24 heures du Mans, la course d’endurance la plus connue de tous, mais non, pas de chevaux, de voitures, voyons les gars, vous ramollissez …..
Mulsanne est à une quinzaine de kilomètres de la gare Mancelle, les vieux ( pour moi ce n’est pas péjoratif) ne savent pas que je suis arrivé, impossible de les contacter, pas le téléphone, encore moins de portable, pas d’ordi, ni d’ADSL, pas de cybercafé, on est en 1955.
A 16 ans, pour un futur commando, ce genre d’épreuve ne me rebute pas, 1 Km à pied, ça use, ça use, 15 Km à pied ça use les souliers. Et pas âme qui vive sur cette P…. de nationale 158 reliant Le Mans à Tours, pas un seul véhicule qui ne l’emprunte, faire du stop à cette époque et qui plus est en uniforme, no problème, pas même un obsédé sexuel en quête d’un petit giron de 16 piges, maintenant tu ne peux pas faire 100 mètres esseulé sans te faire, ou molester ou sodomiser ; à 300 mètres de chez mes parents, sans que je lui fasse signe, et pour cause, un camion s’arrête
- Où vas-tu le mataf ? monte
- Grand merci, mais je suis arrivé
Tout vient à point pour qui sait attendre, il y a des adages que j’exècre.
Deux jours plus tard, retour au Dourdy, en passant par Auray, arrêt incontournable et souvenirs indélébiles, et pour ceux qui s’en souviennent, le chef de gare qui annonçait : « Auray, cinq minutes d’arrêt, les pissotières au bout du quai » avec un accent ben d’chez nous et en roulant les R. Pour avoir fait l’école des Pupilles et des Mousses, j’ai dû emprunter un certain nombre de fois cet itinéraire, et si mes souvenirs ne me trahissent pas, à chaque passage à Auray, c’était toujours le même gugus qui indiquait aux passagers la direction des urinoirs. A cette époque on ne connaissait pas la semaine de 35 heures et les 7 semaines de vacances. Maintenant les annonces sont enregistrées, et c’est une voix suave et langoureuse qui nous prie de vouloir bien attendre deux heures le TGV en provenance de X dans lequel un objet suspect a attiré l’attention d’un contrôleur zélé ( pour une fois pas en grève), juste le temps de déplacer une escouade de CRS, la brigade anti-gang et une section de démineurs ; ( image des temps modernes).
Un véhicule m’attend à Quimper et j’arrive au Dourdy vers minuit ; dans le baraquement Suffren tout le monde dort, les ronflements rageurs du S/M de service que je n’ose déranger n’arrivent même pas à perturber leur sommeil.
Je repère mon hamac, au troisième étage, donc tout en haut, bravo les copains, super sympa, il est à poste, je n’ai plus qu’à me déshabiller et à me coucher, sans bruit, je n’ai pas le droit de réveiller les amis.. et puis je suis fatigué, ce n’était pas une partie de plaisir…
Je commence à sommeiller, et ….. VRANGGGGGGG, le salopard du dessous tire sur la corde ( pour les biffins qui liront cette histoire), sur le bout, pour les marins, mon hamac en position de balançoire de décroche et s’affale sur celui du dessous…
Branle-bas.. Hurlements…Vociférations…Rires…Quolibets…en un mot comme en cent c’est le foutoir complet, il y a ceux qui savent et qui se marrent, et les autres qui, ignorant cette farce, rouspètent. Le bruit s’amplifie, se propage, s’en va crescendo, tant et si bien que le gardien de ces lieux que, dans mon immense mansuétude j’avais laissé dans les bras de Morphée, fait surface, encore tétanisé par l’énorme dose de Gwin-ru qui aurait anesthésié un régiment de polonais, se dirige d’un pas mal assuré vers l’œil de l’ouragan et s’enquiert d’une voix pâteuse de l’identité du délinquant.
Il ne peut s’agir que de Balisson Jean-Claude, chef de Hune, bon élément ( pas pour longtemps), ensuite gabier et après plus rien, c’est ce qui s’appelle tomber de Charybde en Scylla.
Punition : vous allez me dégréer et gréer votre hamac 10 fois, ensuite vous viendrez me voir. Et ce salaud qui éteint la lumière, ce n’est déjà pas une sinécure que de le faire en plein jour, imaginez dans le noir ?
Bon gré, mal gré, merci les potes, me voilà entrain de me battre avec ces putains de bouts de ficelle, j’ai toujours été fâché avec les nœuds, le seul que je connaisse, c’est celui de retour de campagne…Là, je vous en bouche un coin.
Punition exécutée, satisfait de mon exploit, je me présente au S/M qui, légèrement dégrisé mais irrité par mon attitude désinvolte et mes réparties quelque peu insolentes, me gratifie d’une autre punition : tenir une règle à une extrémité, l’autre extrémité sur le sol et tourner tout autour…Punition infâmante à mes yeux que je refuse d’exécuter catégoriquement. Son visage s’empourpre (de vin), il n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles, mais je persiste et signe.(Balisson le rebelle).
Je devine dans son regard assassin une envie non dissimulée de me rosser, enfin il se ravise et sort mon dossier… Ah ! il a choisi d’aller chez les Fuscos, eh ! ben, voilà qu’elle est bonne comme idée, vous allez me faire deux heures de pelote au gymnase avec me Mousqueton… Ce fameux Mousqueton qui nous meurtrissait l’épaule au stand de tir lorsque par malheur la crosse n’était pas bien maintenue.
Deux heures de marche en canard avec ce fusil à bout de bras au-dessus de la tête…Epuisé, harassé, mais pas vaincu, jamais vaincu….Une punition d’hommes……
Comme c’est curieux la vie…la mort…. Trois années plus tard j’apprends que ce S/M est décédé en opérations à la DBFM, d’une crise cardiaque en crapahutant dans les Djébels.
S’il s’était appliqué ce genre de punition régulièrement, il aurait peut-être connu une mort plus glorieuse ?
Balisson Jean-Claude
Concocté et écrit le 13 08 2006