L’année 1967 ne va pas tarder à tirer sa révérence. C'est bientôt Noël. Nous sommes à quai à Papeete. Sans aucune attention à la date, comme si rien n'était les chariots-élévateurs vont et viennent du quai au hangar. Nous faisons le plein de marchandises. Charger n'est pas un problème mais notre destination est Réao et là-bas on ne touche pas terre. Le déchargement va se faire à la main. Il va falloir tout hisser sur le pont puis transférer les tonnes de ciment, les camions, les tôles, le tracto-pelles,etc... dans les baleinières. Sacré boulot. Souvent nous embarquons des dockers pour ce travail de manutention mais pas toujours. S'il n'y en a pas, faut faire sans. Et là, il n'y en a pas. Un travail de forçat qui explique sans doute un peu que l'on ne soit pas « militaire petit doigt sur la couture du pantalon, à bord », qu'on nous laisse assez la bride sur le cou. Moi, pendant ce temps, je me la coule douce. Je bronze ( voir plus bas). Le transfert de lourdes charges sur les baleinière n'est pas sans risques. Les élingues montrent de temps en temps leurs limites à l'effort. Nous avons laissé, par le fond, quelques tracteurs Renault, des engins de travaux public type Caterpillar ou Michigan devant Réao ou Puka Rua. Pertes et profits. Pertes, surtout. Encore heureux qu'il n'y ai pas eu d'accident grave (les baleiniers plongeaient prestement à l'eau). Cette fois, tout se passe bien. Le matériel livré, nous faisons route vers Papeete. Le commandant demande de mettre le cap sur Hao. Nous allons réveillonner à quai, ainsi tout le monde pourra participer. Dans l'après midi du 24, nous sommes à poste. Comme à l'habitude, lors d'une arrivée à quai, les margats (pardon Gilbert) sont restés à distance prudente. Nous ne sommes pas réputés pour être des fins manoeuvriers. Quand on entend boum c'est que nous sommes à poste. Tous les commandants ont une hantise : que le
CHELIFF vienne à couple de leur bâtiment. Il y a peu le commandant de la RANCE en a fait la douloureuse expérience. On le lui a sacrément arrangé (ravagé, oui) son bateau ! L'après-midi est consacrée à le décoration du hangar. On a trouvé, je ne sais où, un arbre du type cyprès qui fera office d'arbre de Noël. Le hangar est vide. On y dresse des tables. Pour une fois, tout le personnel du bord sera réuni dans le même poste. Attention faut pas non plus trop pousser. Equipage, choufs, baleiniers, maistrance, officiers, à chacun son coin. Le commandant nous présente un film en Super 8 qu'il a réalisé à bord. On nous voit, enfin les pontus, à l'oeuvre sur le pont, lors des opérations de débarquement de matériel. Un vrai document historique. Quest-il devenu ? Nous passons à table. Dans chaque assiette le chouf de la coopérative a déposé un porte-clé. Merci l'ami. Le SM commis s'est montré moins pingre qu'à l'habitude, il a donné de quoi faire un réveillon honnête au cuisinier. Le pauvre commis a beau se défendre, s'il n'a pas de sous pour nous donner à manger, c'est de notre faute. Au lieu de prendre la peine de descendre nos plateaux alvéolés à la souillarde nous les balançons par dessus bord. Il ne peut pas acheter à la fois des couverts et de la nourriture. C'est sur le même budget. Mais quand on a 18 ou 19 ans c'est un discours que l'on n'entend pas. Ce soir nous avons bien mangé. Merci commis.
Dès l'aube, nous appareillons et reprenons notre route.
Assis sur une caisse, muni d'un cahier, je note tout ce qui sort de la cale, ce qu'on embarque sur la baleinière (ou qui tombe à la mer
) , son heure de départ, son heure de retour. Accessoirement, cette dernière précision me permet de vérifier que toutes les baleinières sont bien rentrées.