Nous ne saurions mieux faire en commençant cet article,et pour d'emblée vous donner une idée de l'ensemble du sujet,que de vous citer une statistique établie tout récemment par nos soins et portant sur quatre cas:
- Spoiler:
Fournier,Lassalle,Mathieu,Poulain.
-Intéret professionnel.................................................57,2 %
Tourisme-couleur locale-Mythe du palmier.................23,2%
Sport-Distractions......................................................14,5%
Divers........................................................................ 5,1%
Nous pourrions nous en tenir là.Mais pour ceux auquels les chiffres ne suffisent pas nous allons étudier les bases de notre statistique.
L'Hopital Maritime de Sidi-Abdallah a été construit,il y a une cinquantaine d'années,à Ferry-ville,devenu depuis les derniers événements Menzel-Bourguiba.
(en Tunisie tout ce qui perpétuait la mémoire de J.Ferry a été débaptisé au profit de celle du premier président).Les batiments actuels s'étagent au piedde la "colline",à proximité du lac de Bizerte dont l'aspect n'est pas sans évoquer celui du bassin d'arcachon.
Quelques cinq cents lits occupent ses différents services.le corps central du batiment est réservé aux soins du sexe masculin dans la force de l'age exclusivement:médecine,chirurgie,O.R.L.Les femmes,les enfants,les Officiers,les débiles mentaux et les phtisiques sont relégués dans des pavillons annexes,des baraquements ou le majestueux centre de phtisiologie de Sidi-Yaya pérché au sommet de la colline.
La clientéle y est mixte,pour partie composée des militaires des trois armes de la zone de Bizerte et des ouvriers de l'arsenal,pour le reste,par la population civile française ou tunisienne,indigente ou non.Plus que par le cadre et sa flore méditérranéenne faite d'eucalyptus,de palmiers ,de bougainvilliers géants et de cactées¨¨c'est de cette fonction mixte que Sidi-Abdallah tire son originalité.Il faut assister à l'heure des visites,au spectacle étonnant d'une foule glapissante,coiffée de la chéchia nationale ou drapée de blanc et prenant à partiele gros gendarme cerbére de la porte.Il faut également pénétrer avec le médecin de garde ,à l'heure de sa ronde,dans le pavillon des femmes tunisiennes.Brutale,une odeur fade et lourde vous saute à la glotte,et à la lueur des veilleuses se devinent des femmes ramassées en chien de fusil,la tete au pied du lit,émergeant à peine d'un tas de voiles bariolés et de lourds bracelets d'argent ciselé.
Notre deuxiéme catégorie de malades,les Italo-Sicilo-maltais ne le céde en rienpour le pittoresque méditérranéen.C'est chez eux que l'on rencontre avec une fréquence inusitée le fameux syndrome du spaghetti,qui n'a rien de commun avec le syndrome de Rivoire et Carré à propos duquel un des doyens de l'école médicale bordelaise a défrayé la chronique.Ce syndrome qui n'a pas encore droit de cité dans les ouvrages classiques,est constitué par la triade:
douleurs diffuses,lipopachydermatose,et invocation à toutes les madones de la péninsule.Enfin,pour nous rappeler que nous sommesdans un hopital militaire,chaque matin des camions déversent leur cargaison de cryptotchidie,ménisques,phymosis, athlétic foot et de putexie prolongée,auxquels il faut ajouter ceux dont 15 à 20 ans de bons et loyaux services dans la Royale
ont quelque peu endommagé le parenchyme kupférien.
Peu aprés le décollage de notre SO 30 Bretagne de l'aéronavale qui nous pris en charge à Paris,nous avons senti fondre sur nous une perturbation:gréle, trou d'air,tangage,provoquérent bientot une hyperkinésie du gasterd'un jeune médecin aspirant parisien,et furent responsable d'un petit déséquilibreneurovégétatif.
nous avons débarqué à Sidi-Abdallah sans préjugé ni expérience,comme tout bon navalais quittant charnier natal.Hélas,certains s'aperçurent sans tarder que la nuit du 4 Aout n'avait pas aboli tous les priviléges et qu'il restait encore dans les usages que les jeunes soient taillables et convertibles à merci.Aussi,peu aprés notre arrivée,certains se retrouvérent-ils soit à l'ambulance de l'arsenal;soit
en infirmerie à la B.A.N. de Karouba.Ce n'est qu'avec le début de l'affectation d'hiver en novembre ,que nous nous trouvames réunis à l'hopital répartis pour moitié en médecine et en chirurgie ,avec stages complémentaires dans les services de spécialité.Las,nouvelle déception! c'est à cette date que les Tunisiens commencérent à bouder l'hopital tant pour des raisons d'économie que pour le désir d'autonomie (Jusqu'à présent,les Tunisiens pour se faire hospitaliser devaient présenter un certificat d'indigence délivré par leur dispensaire.C'est en récupérent ces certificats que les finances tunisiennes remboursaient en partie les journées d'hopital )
finies les longues et franches matinées opératoires,plus de ces consultations lourdes de 50 à 60 malades,adieu cardiopathies,vésicules,échinécocéoses,cavernes,etc¨¨Les salles devinrent presque désertes.La radiologie étant le lieu géométrique des différents services ,c'est devant sa porte que les groupes de disciples entourent leur Maitre et déambulent sous les arcades.
Pour comble de malchance,aprés avoir connu les rigueurs de l'été nord-africain,un mauvais temps trés girondins'est installé au dessus de la Tunisie septentrionale.Depuis deux mois il s'obstine avec parfois une ou deux journées d'éclaircie et alors c'est toute une fraicheur printaniére que nous goutons .c'est en raison de ces conditions atmosphériques défavorables qu'aprés avoir fleuri pendant la saison chaude ,le trépied symptomatiquedu parfait médecinde marine:tennis,voile et bridge,est devenu bancal.Force nous fut donc faite de nous rabattre sur la sieste rendue par ailleurs indispensable par la haute valeur spécifique calorique de l'alimentation du carré.
Parmi les autres activités ,vient en chef de file la ribotte marine:chaude et pesante ambiance du cercle Naval avec son whisky à gogo.La ribotte non marine,appelée communément surboum ou la Menzel-Bourguibienne ne céde en rien à la Bordelaise pour ses aspirations matrimoniales.
L'avenue de France,sorte de "triangle" rectiligne ou l'on est heureux de retrouver clients et confréres .Enfin cinéma ou foisonnent les westerns insipides et "indienprives".
Ce qu'est à New-York,Broklyn:à Moscou,le Kremlin:à Bordeaux ses échoppes; la rue Amiral-Courbet,trait d'union entre l'hopital et la ville,l'est à Menzel-Bourguiba.Traversée en plein jour rien ne la distingue des autres rues .Mais le soir elle s'anime:les petits boutiquiers allument leurs quinquets,lampe à acétyléne en boite de conserve qui dispense un halo de clarté sur leurs étalages de fruits,de légumes ou sur les piles de mabrantes et de benballonis.Sur le plateau de petites charrettes s'amoncellent en tas:des cacahuettes,des grains de courges,des pistaches et des bonbons colorés.Aux carrefours,des cafés maures déversent des trémolos radiodiffusés d'un orchestre arabe,tandis que le trottoir est envahipar les joueurs de cartes ou de dominos et les fumeurs de narguilé,tous entretenant des conversations passionnées en sirotant le thé à la menthe. De place en place un braséro de charbon de bois fume en rotissant les merguez (saucisse de mouton)
Vous qui partez en quete du palmier et du puit de la halte dans le désert,là ou l'ornithodon attend la caravane;non ,inutile de vous arreter à Menzel-Bourguiba.Réalisez notre espoir:franchir le paralléledu cap bon,longer la corniche de Soum,dépasser SFAX et Gabés,prendre la piste et rouler sur la digue romaine qui rattache Djerba à la piste et là alors,laissers'écouler le temps comme le sable qui fuit entre les orteils,allongés sur une plage baignée de chaleur et de lumiére.Mais pour cela ne comptez pas trop sur les transports en commun si peu pratiques ici;et procurez vous une quelconque guimbarde suffisament résistante pour ne pas rompre son pont sur l'ondulé des pistes.
ce texte relate les années 1959 et 1960 tant à l'hopital qu'à l'extérieur et a été écrit par les 4 médecins Aspirants cités en tete.
bonne lecture et salutations