Petit tour à l'école des Pupilles (suite)
Le soir à l'appel, on lit la liste des punis ainsi que le motif de la punition.
- Untel... Trois jours de salle de police.
Motif : Avoir tenté de manger deux fois.
Oui, on a toujours faim.
Mais en 1945, beaucoup de gens ont faim.
Certains Bretons dont les parents sont plus ou moins fermiers, reçoivent régulièrement des colis avec toutes sortes de choses délicieuses : beurre salé, notamment.
Le nommé Le Brix est ravitaillé abondamment.
Mais le malheureux ne peut pas ouvrir le cadenas de son caisson sans que toute la chambrée se précipite et le harcèle.
- Spoiler:
- - Le Brix, donne-moi un peu de beurre, Le Brix, du chocolat.
Le Brix n'a que le temps de refermer le cadenas en catastrophe.
Il faut qu'il guette le moment propice où tout le monde est occupé, pour plonger discrètement la tête dans son caisson.
Il mange littéralement dans le caisson.
Mais il se trouve toujours un petit malin pour le repérer et c'est la ruée.
Vite, la porte se referme, le cadenas claque.
Les terrains en bordure de mer qui entourent l'école sont tous minés.
Défense de s'y aventurer.
Le cheval de l'enseigne Herbout a sauté sur une mine, ce qui a amélioré l'ordinaire.
Des prisonniers allemands procèdent au déminage.
Les journées sont rythmées par les sonneries de clairon - le biniou dans la marine - depuis le lever jusqu'au coucher en passant par le salut aux couleurs, l'appel, la fin du travail, etc...
La journée commence à six heures par le branle-bas.
Il faut plier sa couverture, faire sa toilette et se mettre en rangs pour se rendre au réfectoire prendre le fameux quart de café noir.
Ensuite, encore en rangs au rassemblement, puis défilé vers la place musique en tête, pour le salut aux couleurs.
Chaque compagnie se dirige ensuite vers son activité du jour.
Toutes les sonneries de clairon ont leur méthode mnémonique.
Le branle-bas : " Les habitants de la basse Bretagne sont dégourdis comme des manches à balai, ceux de Marseille sont bien pareils, ceux de Toulon sont encore plus c... ".
Le salut aux couleurs : " La France est notre mère, c'est elle qui nous nourrit, avec des pommes de terre et des fayots pourris ".
La fin du travail, le dégagé : " Dégagez le terrain marins, dégagez le terrain ".
Le rassemblement : " Rassemblement des anciens comme des bleus, rassemblement sur la tête de mon n...".
Le garde-à-vous (pour les couleurs ou les cérémonies solennelles ) : " La b... à papa que l'ont croyait perdue, c'était maman qui l'avait dans le c... ".
L'extinction des feux (le coucher) : " Qui t'a mis la b...au c... ma fille, c'est monsieur le curé, maman, etc... etc...
Lors des prises d'armes ou des cérémonies officielles, au moment solennel du garde-à-vous ou de la minute de silence, la sonnerie retentit et chacun ressasse dans sa tête : " la b... à papa ", ceci avec le visage grave de circonstance en présence des plus hautes autorités civiles et militaires.
Pas un ancien militaire, malgré le sérieux de l'instant, ne peut manquer d'associer la b... à papa.
Comment croire après cela à ces faces contristées ou recueillies ?
Les sorties du dimanche se font l'après-midi en rangs sous la surveillance d'un gradé.
Nous allons marcher sur la plage du Trez-Hir ou dans Plougonvelin.
Une fois nous sommes même allés jusqu'à la Pointe St-Mathieu et au Conquet.
Le commandant de l'école, capitaine de frégate Moreau ancien des F.N.F.L., est l'heureux papa d'une fille d'une quinzaine d'années aux longs cheveux blonds, hautaine, dont tous les pupilles sont plus ou moins amoureux.
En tout cas, je le suis.
Bien sûr, pas question de l'approcher.
Je me rends compte maintenant que son attitude était bien fière pour les petits du bas du bas de l'échelle que nous étions.
Mais elle nous faisait rêver et c'était là l'essentiel.
Avant Noël, une épidémie d'oreillons s'est déclarée.
J'ai été embarqué direction l'hôpital de Landerneau avec quelques contagieux.
Huit jours allongé, ce qui m'a fait manquer la photo de groupe, et retour à l'école.
Bon, assez rigolé, à la prochaine les amis.
Albert