Après transfert à la base de Maison Blanche , nous quittons enfin « Algiers » comme disent les Anglo-saxons, dans un DC3 britannique, pendant le vol nous avons droit à notre premier repas anglais avec du thé ... nous nous posons sur l'aérodrome militaire de Lyneham dans le sud de l’Angleterre.
RAF Station Bridgenorth - septembre 45
Dès l’arrivée nous sommes pris en charge par la R.A.F. et dirigés par la route sur la RAF Station de Bridgenorth dans le centre de l’Angleterre. L’Angleterre que nous imaginions pendant l’Occupation est sous nos yeux, à commencer par la conduite à gauche … et la splendide campagne anglaise à l’automne après notre séjour en Afrique du Nord est un vrai dépaysement pour tous.
La Station de Bridgenorth est une unité d’accueil pour les contingents de volontaires étrangers destinés à être incorporés dans la RAF, au cours des années de guerre, Polonais, Belges, Tchèques et Français libres sont passés par là avant nous.
Dès l’arrivée nous passons une visite médicale et remplissons un tas de formules diverses sur notre identité et nos antécédents afin d’être incorporés dans la RAF comme élèves.
Bien que Français nous sommes considérés par l’intendance comme de futurs aviateurs de Sa Majesté. Nous touchons un paquetage comprenant l’uniforme de la R.A.F., « battle-dress » et chemises, harnachements de la tenue de campagne : sacs en tissus, ceintures, tapis de sol imperméable à usages multiples, ainsi que divers ustensiles allant jusqu’à la tasse pour boire le thé. Le battle-dress est bleu marine au lieu de gris R.A.F., il sera notre tenue journalière avec notre bonnet de marin comme couvre-chef. Nous garderons le bleu de drap et le caban comme tenue de sortie
A la cantine nous sommes servis de pimpantes jeunes femmes à la tenue impeccable; ce sont les W.A.A.F ( Women Auxiliary Air Force ) la cuisine est excellente et variée, quoiqu’un peu surprenante pour des palais français.
La monnaie d’alors est la Livre sterling divisée en Shillings et en Pences
(Penny au singulier), la division n’est pas décimale mais à base douze, le terme de Guinee est aussi employé dans les magasins comme valeur commerciale de prestige pour les articles coûteux, elle correspond à une Livre plus un Shilling.
Nous avons accès à la N.A.A.F.I. ( Navy, Army Air Force Institutes), magasin où nous trouvons tout ce que nous souhaitons : gâteaux, chocolat, cigarettes, fournitures de toilette, etc. Là aussi de charmantes W.A.A.F. nous servent, avec parfois quelques mots de français.
Une fois équipés nous sommes dirigés sur la RAF Station de Stormy Down en Pays de Galles.
RAF Station Stormy Down- ( Pays de Galles) - septembre 45
Cette unité est un centre de sélection et de formation militaire qui fonctionne depuis début 1945 pour les élèves français, aviateurs de l’Armée de l’Air ou marins.
A l'arrivée nous sommes répartis par groupe de trente appelé " flight " sous l'autorité d'un sergent de la R.A.F et affectés à un local d’habitation nommé
" billet" par les Anglais.
RAF Stormy Down 1945 Intérieur d'un "billet"
Les " billets " sont des baraques-dortoirs bien aménagées et assez confortables; les sanitaires sont situés à l’extrémité de la baraque en face de la chambre du sergent anglais. Deux rangées de lits sont alignés dans la chambrée avec une armoire pour chacun, un poêle à charbon est installé au milieu, un haut-parleur est disposé en bout au-dessus de la porte, c’est le "Tannoy" ( du nom de la marque ), il diffuse les ordres de service et aussi les airs à la mode...
Chaque matin réveil en musique au lieu du clairon, à ce moment là pas de mollesse ! Les couchages doivent être défaits et les couvertures et les draps bien pliés selon les règles et disposés au pied du lit, avec le nom de chacun inscrit sur une étiquette glissée au milieu du paquetage.
Ensuite sans retard c’est l’inspection, tout doit être parfait, surtout les chaussures bien cirées ! Et quand tout est OK pour le sergent, nous pouvons aller prendre le "breakfast" avant de partir vers les cours.
Les cours sont identiques à ceux suivis par les Anglais, les instructeurs s’expriment en anglais, c’est l’immersion totale, ceux pour qui c’est difficile ont la possibilité de suivre des cours de perfectionnement rapide dans la langue.
Les matières enseignées comprennent l’instruction militaire, l’enseignement des lois et des règlements en usage dans la R.A.F. les mathématiques, l’alphabet Morse, le Scott à la lampe Aldis, la "recognition " (reconnaissance des avions par leur silhouette ), des notions de météorologie, de navigation et d’armement et enfin de l’éducation physique.
Ces cours durent normalement 12 semaines et font l’objet de contrôles des connaissances acquises à plusieurs reprises.
Pour être admis au cours suivant, celui de la spécialité, il faut obtenir une note minimum de plus de 50% aux tests et être de plus, apte médicalement...
L’emploi du temps quotidien est assez bien rempli, les cours d’instruction militaire nous font découvrir la " parade " ( inspection ) le "drill " exercices en rang serré " slow march, quick march ", etc. Nous devons nous habituer aux ordres de commandements anglais, lancés haut et fort, sans rapport avec le maniement d’armes à la française auquel nous nous étions habitués.
Cette préparation accélérée répond au besoin de formation rapide de l'organisation de guerre, la discipline est sévère mais le confort du personnel n’est pas oublié pour autant.
En cas de manquements aux règles des punitions peuvent tomber ! Entre autres la consigne ou " CC" abréviation de "Confined to camp", et la prison en cas de manquement grave.
Viennent les premières sorties dans l’univers extérieur. Les soldats britanniques ne sont pas encore tous rentrés des théâtres d’opérations et l’organisation de guerre est encore présente. Les femmes sont employées à faire des tas de boulots, dans les transports, la police, les services auxiliaires des trois armes et les métiers de la terre ( Women’s Land Army) etc.
Des privations existent encore et certains produits s’obtiennent avec des coupons, en particulier les vêtements, mais ces restrictions sont sans commune mesure avec les celles que connaissent encore la France ou l'AFN au même moment.
Il est facile de trouver des petits restaurants " fish and chips", pas chers et excellents.
Les pubs ont un petit air à l’ancienne plutôt chaleureux, un pub c’est toute une institution ! La disposition dans plusieurs salles, lounge bar, saloon bar et public bar, selon la classe.
Dans un pub un piano est souvent présent et quand quelqu’un se met à jouer, il n’est pas rare d’entendre tout le monde chanter en chœur les derniers succès à la mode. Chaque pub a aussi son jeu de fléchettes et souvent un billard snooker.
Localement les Français sont déjà bien connus dans les villes des alentours, Bridgend, Porthcawl dans les environs immédiats de Stormy Down , mais aussi Cardiff, Swansea ou même Newport font partie de nos sorties.
Quelques accrochages surviennent parfois dans les ballroom, nous entendons souvent parler de la grande bagarre de Porthcawl par les anciens !
Bien que moins prestigieux nous essayons d’être dignes de nos aînés de la France libre dans ces rencontres.
Mais tout à une fin, le 21 février 1946 nous apprenons que notre entraînement dans la R.A.F. est terminé .
Cette décision résulte des accords passés avec le gouvernement britannique qui prévoient seuls les pilotes pourront continuer leur entraînement jusqu’à l’obtention de leur brevet.
Nous quittons l’Angleterre à regrets au mois de mars, adieu les Ailes de la RAF… Pour tous les élèves ce sera le retour à la case départ, pour les radios, le cours à l’Ecole TER de Porquerolles, puis l’EPV de Lartigue.
Nous serons 29 radios volants dans ce cas, auxquels il faut ajouter 10 mécaniciens volants et 9 mitrailleurs.
Les plus chanceux d’entre nous obtiendront leur Macaron fin 1946 et les autres seulement début 1947, pour être fidèles à notre engagement de 1944, beaucoup
choisiront l’Indochine comme première affectation.
J’arrête là le récit de mes souvenirs personnels, ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur cette période peuvent se référer à l’ouvrage L’Aéronautique navale française au Royaume Uni (1940-1946) de Jean-Marie Commeau publié par l’ARDHAN.
NB Malheureusement cet ouvrage est actuellement épuisé