Les visiteurs du site de Verdun sont parfois étonnés qu’on leur désigne la citadelle souterraine, au centre de Verdun, comme un lieu incontournable. Au fait des grandes lignes de la bataille, ils savent pertinemment qu’elle s’est déroulée à plusieurs kilomètres en dehors de l’agglomération. Si l’intérêt dans la bataille de cette construction de la fin du XIXe siècle ne fut pas négligeable, c’est, toutefois, la cérémonie de désignation du Soldat Inconnu du 10 novembre 1920, qui la rendit internationalement célèbre.
II) 8 novembre 1920 : La citadelle accueille des soldats d’identités inconnus, mais de nationalité française garantie :
Le 11 novembre 1920, date de l’inhumation sous l’Arc de Triomphe d’un Soldat Inconnu, est l’aboutissement d’une idée dont les origines remontent à 1916. Pour que chaque famille d’un disparu de la Grande Guerre puisse imaginer que le soldat honoré à Paris, soit le leur, une opération minutieuse est montée. Huit corps de soldats français inconnus sont donc prélevés dans les secteurs suivants : Flandre, Artois, Somme, Ile-de-France, Chemin des Dames, Champagne, Verdun et Lorraine. Initialement, neuf secteurs avaient été retenus. Néanmoins, dans l’un d’eux, aucun des corps exhumés n’offrait la garantie d’être français.
Le récit de la recherche du corps du secteur de Verdun, illustre la peur de rendre les honneurs à un allemand ou même à un membre des troupes coloniales. L’opération s’effectue au sud-ouest de l’ancien village de Douaumont, à l’ouest du fort, sous les ordres du colonel Bel. Les terrassiers commencent par écarter les nombreux débris métalliques qui jonchent le sol. La terre est ensuite creusée et les premiers corps sont retirés. Cependant, ce sont des tirailleurs, ils ne sont donc pas sélectionnés. Ce n’est qu’à la onzième exhumation, qu’un français peut sans contexte être identifié. Il porte encore des fragments d’uniforme, dans les poches duquel un briquet et quelques pièces sont découvertes. Rapidement il est mis en bière puis transporté vers la citadelle souterraine, en camion.
Dans la journée du 8 novembre, les huit corps font leur entrée officielle dans la Citadelle souterraine, par l’écoute n°1. Une compagnie du 132e R.I., dotée d’uniformes neufs rend les honneurs militaires. A chaque franchissement de l’entrée par un cercueil, revêtu du drapeau tricolore et porté à bras par huit hommes, le commandant Lespinas, mutilé de guerre, donne le commandement : « Au nom de ce soldat inconnu, au nom de tous ceux non identifiés qui dorment dans tous les champs de batailles de France, ouvrez le ban… » Les cercueils sont ensuite conduits jusqu’à la casemate dite « salle des fêtes », transformée en chapelle ardente. Cette casemate est particulièrement chargée d’émotion puisque c’est dans celle-ci que pendant la terrible bataille de 1916, les soldats venaient chercher un peu de joie et de réconfort. En effet, elle disposait d’une estrade pour de petites représentations théâtrales et également d’un écran de cinéma. En outre, dans l’enceinte de ses murs, furent reçus de hautes personnalités : la reine de Roumanie, le roi d’Espagne, le roi de Grèce, Raymond Poincaré ou encore le Maréchal Pétain.
III) L’autorité militaire transforme l’une de ses casemates en chapelle ardente :
L’aménagement de la chapelle ardente est l’œuvre de la main militaire. On rapporte une anecdote rappelant que la décoration intérieure n’est pas la spécialiste des combattants de France. Un sergent des chasseurs aurait été obligé de faire appel à une jeune fille pour fixer des palmes à l’aide d’épingles. Des efforts sont réalisés pour atténuer l’effet quelque peu sinistre de la caserne, dépourvue d’éclairage naturel. Si les pierres du cintre, blanchies à la chaux, sont apparentes, un voile tricolore recouvre tout le tour des murs de la pièce De nombreuses lampes électriques, supportées par des guirlandes de feuillage illuminent la pièce. Des baïonnettes croisées et des cuirasses du second Empire sont suspendues aux murs. Les huit cercueils sont disposés sur trois catafalques. Ils forment donc deux groupes de trois cercueils. L’une des bières est disposée au centre et en élévation par rapport aux deux autres, situées au même niveau. Le troisième groupe ne compte que deux cercueils installés au même niveau. Cette mise en place correspond au projet initial de neuf cercueils. L’annonce tardive de l’absence du neuvième, n’a pas permis de réviser la disposition. De grands voiles bleu, blanc et rouge tombant jusqu’au sol, couvrent chacun des trois catafalques. Au bout de chaque catafalque, se consument deux cierges fichés dans des douilles d’obus. Les corps sont veillés par d’anciens combattants, au nombre de deux par catafalque.
Au fond de la pièce, derrière les cercueils, est placé un autel fleuri de primevères et de chrysanthèmes, sur lequel reposent les distinctions obtenues par Verdun, ville la plus décorée de France. Au dessus, est fixé au mur une grande plaque portant l’inscription « On ne passe pas ». Une Légion d’Honneur et une Médaille Militaire de grandes dimensions sont accrochées de part et d’autre. La garde du lieu est assurée par un sous-officier et deux poilus.
Toute la journée du 9 novembre, les visiteurs sont évalués à 8000. Ils pénètrent dans la citadelle souterraine par l’entrée de l’écoute n°1. Cette dernière est embellie d’une double rangée de canons et de mitrailleuses allemandes, garnis de branches de sapins et de palmes. A la nuit, la chapelle est fermée au public. La veillée funèbre est assurée par des sentinelles, relevées toutes les heures.
IV) 10 novembre 1920 : 1 + 2 + 3 …. ce sera le sixième cercueil !
Le matin du 10 novembre, le flot des visiteurs reprend. Il est tel que de strictes mesures de sécurité doivent être prises pour éviter de possibles bousculades. La file d’attente est très longue, étant donné la faible capacité d’accueil de la chapelle et l’étroite entrée de l’écoute n°1. A 8 heures, les enfants de toutes les écoles publiques et libres de filles et de garçons conduits par leurs maîtres, sont venus rendre hommage aux huit héros. A 9 heures, Monseigneur Ginisty et ses vicaires sont venus se recueillir pendant une demi-heure devant les trois catafalques.
Vers midi, le train spécial des officiels arrive en gare de Verdun. Immédiatement, André Maginot, ministre des anciens combattants, émet le désir de se recueillir devant les huit inconnus. Sur le chemin de la gare à la citadelle souterraine, la ville est pavoisée de drapeaux tricolores. Il effectue une inspection des lieux avant la cérémonie de 15 heures. La disposition en trois groupes alors que les cercueils ne sont que huit ne lui paraît pas judicieuse. Il prescrit donc l’installation des cercueils, deux par deux, sur quatre catafalques, placés à la file dans l’axe de la galerie. Le défilé des visiteurs est interrompu le temps du réaménagement de la chapelle. De son côté André Maginot regagne le centre ville pour déjeuner au bord de la Meuse.
Peu avant 15 heures, la salle est évacuée. Les derniers à la quitter, dans un ordre parfait, sont des scolaires. Une section du 132e R.I. s’ordonne en deux rangs serrés, le long des parois. A leur suite, les officiels prennent place, en avant des catafalques : des officiers supérieurs, Monseigneur Ginisty et ses vicaires, le conseil municipal et quelques autres représentants. Toutes ces personnes sont confinées dans un espace étroit mais respectent de manière impressionnante le silence du recueillement. Bientôt, le « garde à vous », résonne dans la pièce. André Maginot pénètre dans la chapelle ardente, suivi du général Boichut, commandant de la place de Verdun, du général Duport, commandant de la 6e région et des délégations parisiennes des députés mutilés, des veuves, des orphelins et des vétérans de 1870. Parmi les membres de la première délégation, on compte le sous-secrétaire d’état au ravitaillement Thoumyre, amputé d’un bras.
Le général Boichut annonce l’ouverture de la cérémonie en ces termes « En l’honneur du Soldat Inconnu mort pour la France… Présentez…Armes…Ouvrez le ban » Quelques secondes plus tard, le ministre des anciens combattants, s’adresse à un membre du 132e R.I. : « Soldat, voici un bouquet de fleurs cueillies sur le champ de bataille de Verdun, parmi les tombes de tant de héros inconnus. Ce bouquet, vous allez le déposer sur un des cercueils… Ce cercueil sera celui du soldat que le peuple accompagnera demain, du Panthéon à l’Arc de Triomphe, suprême hommage que la France ait jamais rendu à un de ses enfants, mais hommage pas trop grand pour celui qui symbolisera et immortalisera la vaillance française et dont le sacrifice anonyme a sauvé la patrie, le Droit, la Liberté.
Le destinataire de ces mots est le soldat Auguste Thin. Né à Caen, il fait partie de la classe 1919 et a passé cinq mois au front. Le colonel du 132e R.I. justifia son choix par la bravoure dont fit preuve au feu Auguste Thin et du fait que son père était lui-même un disparu. Le bouquet d’œillets rouge et blanc en main, il se fraye un passage à travers la nombreuse assistance et est suivi par André Maginot et les généraux. La démarche d’Auguste Thin est raide, l’émotion l’envahit et le poids de la responsabilité lui incombant l’écrase. Lentement, Auguste Thin fait un premier tour de l’ensemble des quatre catafalques. Il s’engage une nouvelle fois dans la longueur de la galerie. Il marque une hésitation mais finit par dépasser le dernier cercueil et se retrouve au fond de la galerie. Il fait alors demi-tour et revient poser le bouquet sur la bière gauche du
troisième catafalque. Il se met au garde à vous et salue, la main au casque. Bien des années plus tard, il confia la raison de son choix à son fils : « Il me vint une pensée simple : j’appartiens au 6e corps. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c’est également le chiffre 6 que je retiens. La décision est prise : ce sera le 6e cercueil que je rencontrerai ». Le général Boichut clôt la cérémonie : « fermez le ban ». La Marseillaise retentit et un soldat fixe une plaque de bronze portant la simple inscription « Le soldat français », sur le cercueil de chêne, peint en blanc. A cet instant, une femme en pleurs mais gardant toute sa dignité, se penche et embrasse le cercueil. Ensuite, quatre hommes s’approchent avec un brancard sur lequel est déposé un drapeau français. Ils extraient la bière de la casemate, puis de la citadelle souterraine.
A l’extérieur la foule des pèlerins, venus de toute la France, se massent dans l’attente de son apparition. A sa vue, les réactions sont diverses, les anciens combattants saluent alors que les femmes tombent en pleurs. Le cercueil est déposé sur un canon de 75, et prend le chemin de la mairie, au son de la marche funèbre de Chopin. Là, le maire de Verdun, Schleister, prononce un discours, remet la médaille de Verdun au Soldat Inconnu et plusieurs couronnes sont déposées. Enfin, le Soldat Inconnu atteint la gare, direction Paris. Quant-aux sept autres disparus, ils sont transférés, le 11 novembre 1920, de la citadelle souterraine au cimetière du faubourg Pavé.
De nos jours, l’une des salles d’exposition de la citadelle souterraine de Verdun, reconstitue la scène du choix du Soldat Inconnu.
Par Romain SERTELET