Le statoréacteurL’origine du statoréacteur remonte pratiquement aux débuts de l’aviation avec les articles du français René Lorin qui décrivit à partir de 1907, notamment dans la revue « l'Aérophile », le principe d'un moteur à réaction sans hélice ni pièces en mouvement. Ce visionnaire ne put cependant pas tester son idée faute de moyen d’essai permettant d’acquérir une vitesse suffisante pour démarrer un statoréacteur. Un autre pionnier de l’aviation français qui participa à l’invention du statoréacteur fut Robert Esnault-Pelterie qui décrivit le système à partir de 1909.
Dessin en coupe d'un statoréacteurmaquette d'un statoréacteurL’invention de Lorin tomba cependant dans l’oubli pendant quelques années et ne fut redécouvert en France par René Leduc qu’au début des années trente. Celui-ci travaillait pour le constructeur Louis Breguet sur des modes de propulsion avancés et travailla, par exemple, activement sur le pulsoréacteur.
Les Français n’étaient pas les seuls actifs dans le domaine du statoréacteur. B.S.Stetchkine introduisit la théorie du statoréacteur en URSS en 1929 tandis que les Américains du NACA faisaient quelques expériences préliminaires à Langley en 1927.
Un statoréacteur expérimental NACA (USA) en 1947Le véritable acte de naissance du statoréacteur peut cependant être daté de 1933 avec, en France, le dépôt d’un brevet de René Leduc pour sa tuyère thermopropulsive (nom donné par Leduc au statoréacteur) et, en URSS, le début des essais de statoréacteur sur le banc IU-1 par I.A.Merkoulov. L’idée de René Leduc intéressa assez rapidement les militaires et celui-ci reçut les premiers contrats d’étude du ministère français en 1934 tandis qu’une première théorie détaillée du statoréacteur était publié par Jean Villey, un collaborateur de René Leduc, en 1936.
Le LEDUC-010La propulsion par statoréacteur est un domaine ou les inventeurs et industriels français se sont particulièrement illustrés, un fait qui est aujourd’hui injustement peu connu du grand public. Alors que tout le monde connaît le Concorde, le Mirage III, les Airbus et le Rafale, qui se souvient aujourd’hui que le premier avion à statoréacteur à voler fut le Leduc 010, que le premier missile à statoréacteur opérationnel fut le SE-4200, que les records de vitesse et d’altitude d’engin à statoréacteur furent régulièrement établis par des engins français comme le Stataltex de l’ONERA ?
le "Stataltex" de l'ONERA (France)L’industrie aéronautique Française peut se vanter d’avoir établi un grand nombre de première dans ce domaine et continu de nos jours à être en pointe avec des réalisations comme le missile de croisière ASMP ou le missile air-air Météor.
FonctionnementEn théorie, le statoréacteur n'a pas de vitesse limite, il peut accélérer indéfiniment aussi longtemps qu'il reste de l'oxygène dans l'air. En pratique, il y a des problèmes très difficiles de résistance des matériaux à partir de Mach 5. Aux vitesses supérieures, la pression dynamique est si forte que la chambre de combustion atteint une température incompatible avec les matériaux actuels.
Pour atteindre des vitesses supérieures, il faut donc réduire la pression de l'air dans la chambre de combustion en lui permettant de s’écouler à vitesse supersonique. La température n'augmente alors pas autant que dans les statoréacteurs classiques à combustion subsonique. La grande difficulté est que le carburant est injecté dans un flux d’air supersonique et doit brûler en quelques millièmes de secondes tout en donnant une combustion stable. La vitesse maximale des statoréacteurs à combustion supersonique (scramjet en anglais) reste à déterminer, mais elle semble être supérieure à Mach 20.
Les statoréacteurs fonctionnent avec des carburants variés sous différentes formes : solide ou liquide. Dans le premier cas, apparu relativement récemment, il s'agit d'un propergol solide à faible taux d'oxydant brûlant dans un générateur de gaz ce qui alimente la chambre du statoréacteur avec les produits gazeux issus du générateur. Ces produits brûlent alors avec l’oxygène de l’air exactement comme dans les statoréacteurs à carburant liquide.
Le statoréacteur est constitué d'un tube ouvert aux deux extrémités, dans lequel on injecte un carburant qui se mélange à l'air. Il s'enflamme grâce à un système d'allumage puis la combustion est ensuite entretenue à l'aide de dispositifs appelés "accroches flammes". Le résultat de cette combustion est la production de gaz chauds en grande quantité, qui s'accélèrent en se détendant dans la tuyère terminant le réacteur, provoquant une poussée significative.
Malgré l'apparente simplicité du concept, l'efficacité d'un tel moteur dépend grandement des formes intérieures du « tube ». La première partie, dite entrée d'air, permet de comprimer l'air (Théorème de Bernoulli) en abaissant sa vitesse. Cette baisse de vitesse s'accompagne également d'un échauffement de l'air. L'air arrive donc dans la chambre de combustion avec une pression et une température élevées et une vitesse réduite. Cette zone est dotée en général de plusieurs couronnes d'injecteurs qui pulvérisent le carburant et entretiennent la flamme. La forme de cette chambre et la disposition des injecteurs doit assurer la stabilité de la flamme et la qualité de la combustion et constitue la partie la plus complexe à mettre au point. Enfin, comme pour tout autre moteur à réaction, la forme de la tuyère génère la poussée par détente des gaz brulés. L'énergie thermique est transformée en énergie cinétique.
Ce moteur a l'avantage de ne comporter aucune pièce mécanique en mouvement. Il a par contre l'inconvénient de ne pas pouvoir fonctionner à vitesse nulle. Il doit donc être couplé à un autre système de propulsion pour atteindre sa vitesse minimale de fonctionnement, ce qui limite considérablement son champ d'application.
Le terme « statoréacteur » désigne usuellement le statoréacteur classique, ou statoréacteur à combustion subsonique. Dans ce type de statoréacteur, la vitesse de l'air dans la chambre de combustion est largement subsonique, de l'ordre de Mach 0,5. Mais au-delà d'une certaine vitesse extérieure, l'abaissement de vitesse nécessaire devient trop important et l'efficacité du moteur décroît. Cette limite se situe entre mach 5 et 6. Pour résoudre ce problème, la combustion doit s'effectuer en régime supersonique. On parle alors de statoréacteur à combustion supersonique ou superstatoréacteur ou encore
scramjet. Entre mach 3 et mach 6 environ, le statoréacteur classique est le moteur le plus efficace. En dessous de Mach 3, il devient moins efficace que le turboréacteur à simple flux.
Domaine d'application Les grandes nations étudient ce système de propulsion avec des succès divers.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on a cru, notamment en France, à l'avenir du statoréacteur. René Leduc construisait ses avions «Leduc» qui ne brillèrent guère par leurs performances et se révélèrent difficile à piloter, le statoréacteur supportant mal les changements de taux d'injection. Plus réussi, l'intercepteur à propulsion mixte turbo/stato Nord Aviation 1500 «Griffon» dépassa mach 2 entre 1957 et 1959. Mais le développement des turboréacteurs, beaucoup moins contraignants, a mis fin à la carrière du statoréacteur. En 1960, l'Armée de l'Air et l'Us Air Force ont testé la cible volante française CT41 qui était équipée de deux statoréacteurs et qui pouvait atteindre mach 3,1. Trop rapide pour son temps, aucun avions ne pouvant l'intercepter, ce pour quoi elle avait été conçue, elle fut donc abandonné en 1965. Aujourd'hui, on trouve des statoréacteurs avec accélérateurs à poudre intégrés dans des missiles supersoniques comme les ASMP, l'APACHE ou le SCALP.
le Nord 1500 "Griffon" exposéle "Griffon" en volAux États-Unis, la NASA et l'US Air Force ont fabriqué plusieurs appareils fonctionnant avec un statoréacteur dont un drone de reconnaissance trisonique dans les années 1960.
Un moteur du futur ?Les recherches sur les
superstatoréacteurs, qui sont des statoréacteurs à combustion supersonique qui utilisent l'oxygène contenu dans l'air pour la combustion, et non pas dans des réservoirs, comme les fusées, sont prometteuses. Malgré des défauts majeurs (les problèmes thermiques, rendement à hautes vitesses) on espère pouvoir atteindre des nombre de Mach très élevé, de l'ordre de 10. Des concepts proposant d'utiliser successivement un moteur fusée pour une accélération initiale, puis un statoréacteur (combustion subsonique), un superstatoréacteur (combustion supersonique) et enfin à nouveau une fusée pour sortir de l'atmosphère sont étudiés. L'idée générale est d'utiliser l'oxygène contenu dans l'air pendant l'accélération dans l'atmosphère, jusqu'à Mach 10 à 12, pour économiser sur la masse d'oxygène classiquement embarquée par une fusée et donc gagner en masse utile (satellite) que pourrait transporter le système.
En avril 2006, un essai du superstato expérimental
HyShot IV a été mené à 500 kilomètres au nord d’Adelaïde. Le but ce test était d’obtenir des données en vol réel d’un moteur scramjet de 100 kilogrammes, nanti d’un système d’injection développé par la JAXA.
Cet essai en conditions réelles était le second mené en l’espace d’une semaine.
Deux essais couronnés de succès pour le scramjet HyShot ! (Crédits : University of Queensland)
Avant le décollage, le moteur scramjet avait été placé sur une fusée Terrier-Orion, censée amener le superstato en altitude, et lui conférer la vitesse suffisante pour permettre son bon fonctionnement. En effet, les courbes d’impulsion spécifique en fonction du nombre de Mach montrent qu’un tel moteur ne présente un intérêt qu’à partir de Mach 3. D’autre part, pour fonctionner à plein régime et assurer l’allumage optimal, le HyShot ne doit être mis à feu qu’à la vitesse de Mach 5. D’où la nécessité de placer ce superstato sur une fusée conventionnelle, qui le porte dans les airs et lui transmet la vitesse nécessaire.
Comme tous les superstatos, ou statoréacteurs à combustion supersonique (scramjet en anglais), le HyShot prélève de l’oxygène dans l’air, afin de limiter la masse de comburant à emporter au décollage, et ce, sans accroître trop sensiblement la masse et la traînée de la fusée. Sur le prototype testé jeudi, l’admission d’air était réalisée par quatre ouvertures, situées sur le nez de l’appareil.
Le moteur a atteint son objectif, soit une vitesse de Mach 8, pendant une durée de six secondes. Les ingénieurs en ont profité pour enregistrer la pression à l’intérieur du moteur. Ces données seront comparées aux mesures obtenues au sol, lors de précédents tests sur banc d’essai.
De la complexité du superstato...Les problèmes rencontrés dans la conception de ce genre de superstato sont les suivants :
• Les problèmes thermiques : les entrées d’air sont conçues pour capter un débit d’air maximum à partir d’une section aussi petite que possible (pour limiter la traînée et la masse), ce qui conduit à des problèmes thermiques importants : l’air est à près de 1000 degrés Celsius à Mach 5, et 2000 degrés Celsius à Mach 7 !
• Les entrées d’air : pour les mêmes raisons (traînée, échauffement), l’étude des formes géométriques des entrées d’air est cruciale ;
• Le nombre de Mach limité : outre l’aspect thermique, lorsque le nombre de Mach dépasse 8 ou 10, le rendement propulsif du moteur diminue fortement. Ainsi, on peut se rendre compte à quel point l’objectif du NASP (Mach 25) était surréaliste !
Ces deux tests remplis avec succès par le HyShot font le bonheur des chercheurs australiens, britanniques et japonais, qui voient avancer à grands pas leur projet de scramjet. Ces superstatos, dix fois plus rapides que les moteurs traditionnnels, augurent d’un bel avenir pour les vols hypersoniques !