Promenade au Tonkin (suite)
Il fait froid au Tonkin, en hiver.
En opérations dans le Fleuve Rouge, nous portons des tenues de laine de l'armée anglaise, le "battle dress" et la capote.
La nuit, malgré cet équipement, nous sommes gelés.
Il fait 8° degrés mais le vent qui descend des monts du Yunnan est glacé et l'écart de température subi l'été où l'on a enregistré + 50° sur la ferraille du bateau, est considérable et donne cette impression de grand froid.
Dans le passé, certains anciens colons ont vu neiger dans le port d'Haï-Phong.
J'ai appris que mon cousin Marcel, lui aussi petit-fils du grand-père Bertrand, est en caserne à Haï-Phong, dans une unité de la coloniale.
Je lui ai rendu visite.
Apparemment, le cousin n'est pas captivé par le pays.
Il n'a qu'une hâte : terminer ses dix-huit mois et rentrer en France.
Il fera pourtant sa carrière dans l'armée mais pas en Indochine.
Vers la fin de 49, les unités chinoises du général Tchang-Kaï-Tchek battent en retraite devant les communistes de Mao-Tsé-Tung et traversent la frontière.
Nous allons recueillir ces unités en déroute, le plus souvent encombrées de femmes et d'enfants et de tout un matériel hétéroclite, comme seuls les Chinois peuvent s'en charger.
Embarqués dans les ports du Haut-Tonkin, à Cam-Pha ou Mong-Kaï en baie d'Along, ils seront internés et dirigés vers je ne sais quel destin.
Immédiatement à leur suite, sur leurs talons, il nous arrive d'arraisonner une jonque armée, montée par les communistes de Mao.
Détournés de leur destination l'île de Haï-Nan probablement par une tempête, ils sont dans nos eaux territoriales et nous faisons cap droit sur eux.
Au fur et à mesure de notre approche, nous les voyons balancer par dessus bord tout leur armement.
Recueillis à bord, ces Chinois du Nord ont l'arrogance des vainqueurs.
Blancs de peau, aussi grands que nous pour la plupart, ils sont bien différents de leurs compatriotes du Sud.
Le sourire narquois qu'il arborent en dit long sur leur pensée intime.
La victoire des communistes chinois va marquer un tournant dans notre guerre d'Indochine.
Le Viet-minh, parti frère, sera désormais ravitaillé abondamment en matériel et armement à travers une frontière passoire, au relief très accidenté, impossible à verrouiller sur sa longueur.
Dans moins d'un an, ce sera le désastre de Cao-Bang et Lang-Son, prémices de désastres plus grands encore.