une formidable outil à réaliser les rêves les plus fous d’un adolescent .
Au CFM Hourtin, je suis orienté vers la spécialité de secrétaire militaire. Mon image du métier de secrétaire était celle que tout le monde a sans doute en tête : une tâche subalterne de dactylographe et classement d’archives. Tout ce qui ne me plaît pas, tout ce qui ne me ressemble pas. Je suis né sous le signe des Poissons. On dit que les natifs de ce signe se laissent porter par le courant. Alors, va pour secrétaire. L’adolescent rêveur que je suis encore se dit que ce n’est pas avec cette spécialité qu’il va trouver l’Aventure. Et pourtant !
Organigrammes, paperasses, dossiers, ce cours du BE ne me passionne pas vraiment. L’instructeur dit qu’il faut avoir 10 de moyenne pour ne pas être viré. Mon objectif premier était d’entrer dans la marine. J’y suis. S’il faut avoir au moins 10/20 pour y rester et bien j’aurai au moins 10/20. J’apprends qu’il y a aussi des secrétaires sur les bateaux. Voilà qui est bien, tout n’est pas perdu.
Au cours de ma première année dans la spécialité, je suis confiné, comme je le craignais, dans des tâches peu passionnantes. Oui mais, je suis à Tahiti ! Et là c’est le rêve, un rêve exaucé. Déjà.
Le teenager que je suis encore, libéré de la rigueur du pensionnat, profite à fond de sa nouvelle liberté sous les tropiques. J’ai plein de copains, on fait la bringue, comme on dit à Tahiti. Tous les matins, ou presque, une adjudante de l’armée de terre, vient avec sa boite de pilules soigner mon "mal aux cheveux". Une vraie mère pour moi. Et puis, j’ai l’occasion d’embarquer pour une mission à Mururoa sur le RHM Hippopotame. Mon premier embarquement, ma première tempête, les poissons volants qui s’échouent sur la plage arrière, elle n’est pas belle la vie ?
Mais, pour l’heure, la spécialité de secrétaire militaire, je n’en ai pas encore pris la vraie mesure. Pourtant, j’ai devant les yeux, mon premier-maître, chargé du bureau personnel du CEP. Il ne tape pas à la machine, lui. Il ne classe pas des papiers non plus. Il est néanmoins très occupé. Il a même un second-maître pour l’assister. Les officiers en second des bâtiments viennent "négocier" avec lui. C’est lui qui donne le ton. Il prend des décisions. Parfois elles ne plaisent pas. Les frustrés vont se plaindre au capitaine de frégate, chef de tous les bureaux Pers (Terre, Air, Mer) de l’EM/CEP. Mon patron a alors affaire avec le grand chef. Ça "chaffuste" un brin. Mon premier-maître ne cède jamais, même quand, un jour, le commandant clôt le débat par un : c’est un ordre. Mon gradé répond qu’il ne l’exécutera pas. Wouah ! Je suis impressionné . Le secrétaire, le gradé pour le moins, n’est pas un simple obscur gratte-papier. Le secrétaire se doit d’être serviable mais jamais servile. Je retiens la leçon.
- Spoiler:
- Et puis, est arrivée La Révélation, le virage de ma carrière. Le renouvellement des secrétaires au CEP est un réel problème. Les quartiers-maîtres chefs rentrent en métropole et sont remplacés par des jeunes sortant du BE. Il y a de la "casse". C’est le cas sur le B.D. Chéliff. A peine arrivé le nouveau secrétaire est débarqué manu militari par l’officier en second, un LV fusco. Cet officier n’est pas content du tout et exige du nouveau premier-maître chargé du bureau pers, un quartier-maître chef ancien et surtout expérimenté. On peut le comprendre mais nous n’avons pas ça en magasin. Paris ne nous a adressé que des matelots sortant du BE. Dans le paysage, le plus ancien (mais par pour autant expérimenté), dans le grade le plus élevé (juste QM2), mais aussi le seul, c’est moi. Tu me remercieras un jour, me dit le nouveau premier-maître chef de bureau, tu vas apprendre ton métier. C’est sûr, pour l’heure, je suis peut-être un dactylographe confirmé mais pour ce qui est de la gestion du personnel, je n’ai aucune expérience. Les souvenirs du BE, c’est loin. J’ai effectivement besoin d’apprendre mon métier. Quoi qu’il en soit me voilà chargé du bureau militaire et du secrétariat du LST Chéliff. Sur le coup, je ne suis pas très content de ce qui m’arrive (vais-je être à la hauteur ?), je n’ai pas envie de dire merci. Pourtant c’est le mieux qui pouvait m’arriver. Le merci viendra plus tard, plus de 50 ans plus tard même (56 exactement) à l’occasion d’une rencontre à l’usine Hénaff, vous savez celle du pâté du mataf. Quant à mon officier en second, que j’apprenne mon métier ce n’est pas ce qu’il attend de moi mais que je sois opérationnel, là, dans l’instant.
Cette fois, je suis marin, pour de vrai. Je fais même du quart à la barre, chadburn et veille à la passerelle. La nuit, quand la tempête désarrime notre chargement, je grimpe sur le pont et, comme les autres, à moitié nu (juste un short) dans le vent et les bourrasques, je me démène pour saisir les éléments de notre fret qui se fait la malle. Avant de retourner nous coucher, l’officier en second nous fait servir une rasade de tafia. Je rêvais de bateau pirate, je l’ai trouvé (j’ai d’ailleurs troqué mon bachi contre un chapeau de paille type Panama). Voir les rubriques Chéliff et Blavet sur ce forum pour découvrir l’ambiance hors du commun sur les BDC, ces "mulets" du Pacifique. Nous faisons du tramping (de l’anglais vagabond) d’île en île pour livrer notre matériel et matériaux de travaux public.Parfois les îliens organisent une fête à notre arrivée. C’est Aventures dans îles, capitaine Troy ! En mieux que le feuilleton télévisé, c’est en couleurs, en vrai et j’en suis. Encore un rêve qui se réalise. Décidément cette spécialité dite de "bras cassés" ne manque pas d’heureuses surprises. Cerise sur le gâteau, mon officier en second me propose au grade de QM1. Une quinzaine de jours avant mon débarquement, il aura la satisfaction de voir son plan d’armement honoré : je suis promu QM1. Dans cette période arrive mon remplaçant : c’est un QM1, l’O2 est aux anges. Enfin, on respecte son sacré saint plan d’armement. D’où venez-vous ? De Rochefort, de l’école des Fourriers, je sors du cours. Le Lieutenant de vaisseau jubile. Il est lui aussi sur le départ, il se désole qu’il ne profitera pas de ce QM1 admissible ! Euh, capitaine, j’étais QM1 fusilier, j’ai eu un accident et ait été déclaré inapte à ma spécialité. Je sors du cours de BE secrétaire militaire. Douche froide, glacée même, pour l’O2 ! Moi, je reste à bord jusqu’à la dernière seconde, j’ai tant à faire. Nous avons souvent été à Mururoa, d’où nous ramenions du matériel, avec lequel nous étions en contact. Je ne sais pas si je suis luminescent la nuit ( ), je n’ai pas le temps d’aller passer ma visite médicale de débarquement à Fare Ute (j’ai le rapport de fin de commandement du pacha à taper et mettre en pages). Je laisse mon dosiphot (vierge sans doute puisque jamais sorti de mon caisson) à Michel notre infirmier. Mon avion est dans deux jours. Le Chéliff ne reste jamais longtemps à quai, juste le temps de charger le matos. Mon bon vieux Chéliff appareille, sans moi cette fois. Je reste seul, le cou chargé de colliers de coquillages, sur le quai. Moi qui ait accompagné tant de camarades à l’aéroport, je m’y rendrai seul. J’abandonne tous mes amours, j’abandonne toutes mes joies aussi...
il y a un peu de désordre sur le bateau pirate. Les panneaux de cales sont ouverts c'est donc que nous sommes en plein travail de déchargement.le "bébé" secrétaire a grandi. Ma mère va-t-elle me reconnaitre ?Ce n’est pas grave, depuis quelques jours j’ai 20 ans et suis quartier-maître chef. La vie est belle. (Un marin pêcheur appelé que je reverrai pendant mes congés m’apprendra qu’à mon départ, c’est le maître radio qui supervise le bureau militaire en attente d’un nouveau remplaçant. L’histoire se répète).
En rentrant en métropole, là encore l’histoire se répète. Le commandant en second d’un escorteur rapide vire son chouf secrétaire et réclame "un bon". Le remplaçant désigné préférerait résilier son contrat plutôt que de rallier. Et à moi, est-ce que ça me dit ? Oui, me voilà sur le rapide. Après la désinvolture du BDC outre-mer, voici la rigueur de l’escadre. Plus question de porter un chapeau de paille pour aller sur le pont. Je découvre que mon prédécesseur était un vrai professionnel qui connaissait bien son affaire. Il a été débarqué sous un prétexte totalement fallacieux. Ici, si je monte à la passerelle, ce n’est pas pour faire du quart à la barre, mais pour rejoindre mon poste de manœuvre ou de combat. Je suis homme de porte-voix.
J’apprécie la vie de marin, les escales. C’est sympa mais ce n’est pas pour autant l’Aventure avec un A majuscule. Côté spécialité, par contre, chargé du bureau militaire, j’ai désormais fait totalement mienne la spécialité de secrétaire militaire. Mon premier-maître avait prophétisé que j’allais apprendre mon métier. C’est mon deuxième bureau militaire, seul. J’ai la vanité de croire que pour gérer un escorteur rapide ou un porte-avions, les connaissances à avoir sont les mêmes. Sinon il faudrait admettre que certains administrés sont moins bien gérés que d’autres. Seul le nombre de dossiers à traiter est différent.
A la sortie du cours de chouf, à défaut d’Aventure, un nouveau défi professionnel est à relever. Je suis affecté à la BSM Brest qui devient la bofost Brest avec l’arrivée des SNLE. Une partie de mes administrés, les équipages des SNLE, sont un peu des fantômes. Ils partent pour des patrouilles suivies de permissions, de stages. Pendant 3 ou 4 mois, ils "m’échappent". Pendant ces absences des tas de choses peuvent arriver que je dois anticiper (renouvellement des liens, CDM, admissions cfom, stages divers, médailles, etc.). A cette époque l’informatique ne fait pas tout. Avant chaque départ en patrouille, je sors tous les livrets matricules et vérifie méticuleusement la situation de chaque marin. N’ayant pas d’acte de candidatures (trop tôt pour déclencher l’édition), j’établis des fac-similés que je fais signer à mes administrés. Je garde les dossiers sous le coude pour les adresser à Paris au moment opportun.
L’Aventure pour le moment est comme la Belle au bois dormant, elle dort. Enfin, d’un œil.
Le cours de plongeur de bord me trottine dans la tête. Ça non plus ce n’est pas interdit aux secrétaires, mais, il faut le reconnaître, ils ne sont pas prioritaires. Mes chefs n’adhèrent pas du tout à mon projet (absence). Je ne désespère pas. En attendant que les choses évoluent, je m’inscris à la section plongée du club sportif de l’arsenal. Je passe mon brevet élémentaire de plongeur. Je mets tous les atouts de mon côté. Je suis né sous une bonne étoile. En effet, Paris, par GNP, fait appel aux candidatures. Il apparaît là, sur le moment, qu’il y a pénurie de candidats. Mon patron fait la sourde oreille. Les premiers-maîtres au-dessus de 25 ans de services de l’ancienne école étaient durs en affaires. Dans le même temps nous recevons pour emploi temporaire un chouf sorti du CFOM. Peu après il est désigné pour Lorient. Pour des raisons familiales cela ne lui convient pas. Chouf admissible, second-maître c’est le même niveau d’emploi. Je suis en fin d’affectation. Je propose une permutation. Le principe est accepté. En attendant l’officialisation, j’établis mon dossier de candidature au cours de plongeur de bord. Puisque je ne fais plus partie vraiment des meubles, je ne présente plus d’intérêt, mes chefs sont prêts à signer tout ce que je veux. Mon rêve se réalise, je suis admis au cours de plongeurs. Cousteau me voilà.
A Lann Bihoué, mon chef de service me laisse les coudées franches pour aller plonger. Je deviens un presque "permanent" à la BSM. J’interviens pour de menus travaux sur les sous-marins (Requin, Marsouin, Psyché, Sirène). Comme je suis toujours présent pour les corvées, on pense à moi aussi pour les plongées "plaisir" sur les épaves. Quel délice d’évoluer dans un banc de tacauds dans un rayon de soleil qui éclaire les fonds. A Rochefort, je participe à l’encadrement et à la formation des plongeurs des centres de secours des pompiers de Charente maritime (convention entre le capitaine du Centre de Secours Principal de Rochefort et le directeur de l’école des Fourriers). Je plonge dans la Charente. Il y en a des choses qui, au cours des siècles, ont fini au fond des rivières et des fleuves. Mes copains pompiers ont trouvé de vielles arquebuses, des poteries du XIVème siècle, des fioles de très vieux Cognac, quelques trésors de valeur archéologique. A Brest, je vais apprendre à me servir de suceuses et de lances à eau galeazzi outils bien utiles sur les chantiers sous-marins, archéologiques notamment. Dans ce port, je participe à tous les exercices (de nuit) anti-nageurs de combat. J’avais pu vibrer, au cinéma, aux exploits des navy seals, les nageurs de l’US Navy. Un copain secrétaire disait : tout ce que raconte Roger est vrai, cela nous est arrivé à tous, sauf que lorsque ça le touche lui ça devient tout de suite une aventure. Ce n’est pas faux. Des plongeurs de bord, il n’en manque pas dans la marine. Tout ce que j’ai pu faire, ils l’on fait aussi. Par contre, j’ai plongé en compagnie d’un nageur de combat, travaillant pour le compte de la Piscine (ou la "boite" comme ils disent entre eux). Ce n’était évidemment pas pour étudier l’influence des marées d’équinoxe sur la vie sexuelle des bigorneaux. Là, je ne crois pas que cette expérience je la partage avec beaucoup d’autres. Tout cela pour dire que, tout secrétaire que j’étais, j’ai beaucoup plongé et je peux dire que c’était encore un rêve réalisé, une belle Aventure.
Les affectations se suivent, l’Aventure n’est pas présente en permanence, mais jamais très loin. On me propose un poste à l’étranger. Le départ est précédé de divers stages préparatoires dont un passage par la DGSE. On apprend que les personnel militaires en poste à l’étranger sont considérés comme des "agents de renseignements tolérés" qui pratiquent le "renseignement ouvert". Si passe devant leurs yeux un convoi de camions militaires bâchés, ils peuvent les compter mais ils n’ont pas le droit d’aller soulever la bâche pour voir ce qu’il y a dessous. En aucun cas ils ne peuvent enfreindre les lois du pays hôte. Bien sûr, il y aura toujours quelqu’un pour vous dire : nous, nous voulons savoir ce qu’il y a sous la bâche. Là, chacun voit midi à sa porte.
My name is Bond, James Bond. Notre commander de la Royal Navy est un agent secret pas si secret. Dans ce milieu, on rencontre toutes sortes de gens. Certains sont discrets, d’autres, comme notre James, ne font pas mystère de leur état. Quoi qu’il en soit, sur un lieu donné, chacun finit pas savoir qui est l’autre. Pour revenir à l’exemple de la bâche, quant à savoir ce qu’il y a en dessous, il faut que quelqu’un se dévoue pour y aller voir, n’est-ce pas ?
Voilà encore un pan de mes lectures d’adolescent qui prend vie.
Quelques années plus tard, alors que je postule pour un autre séjour à l’étranger, j’apprends que je suis inscrit à une formation à l’École Interarmées des Renseignements et des Langues à Strasbourg. Que me vaut cette attention ? Des antécédents ? Parmi le stagiaires on compte plusieurs représentants de l’armée de l’air, de l’armée de terre, mais je suis le seul marin. En Alsace, j’ai découvert la flammekueche. Je me suis bien amusé, ça m’a bien plu.
Si l’on m’a envoyé à Strasbourg avant de rallier mon nouveau poste, j’imagine qu’on attend autre chose de moi que de compter les camions bâchés qui passent. Je vais m’y employer. Dans ce métier on noue des relations, il arrive de travailler main dans la main avec des personnes que l’on n’aurait pas imaginées. Militaires certes, mais nous restons des hommes, des humains."mon "camarade" du GRU. A l'occasion d'une escale, nous avions tous deux revêtu notre uniformeLà, cela va être la grande Aventure de ma carrière.
On peut penser que le secrétaire militaire œuvre dans un local exiguë, submergé de classeurs et dossiers (ça arrive) mais son horizon peut être sans limite, sur la mer jolie
dans les espaces glacés du dernier désert d’Europe (lors de manœuvres de l’OTAN au large de la Norvège, un missile de croisière soviétique s’y était perdu)
ou encore dans le désert brûlant, le désert des déserts sud arabique.
J’ai pu parler du Yémen dans d’autres posts, terre d’aventures s’il en est. On pense à Kessel (fortune carrée), Henri de Montfreid (les secrets de la Mer Rouge), ou encore à la piste des caravanes de l’encens (taper "caravanes" dans la fenêtre Rechercher, à gauche de l’écran, sous la liste des membres en ligne) mais mes premiers souvenirs de gamin c’est Bob Morane. Parti en croisière en Mer Rouge, pris pour quelqu’un d’autre, il est kidnappé et conduit à terre sur la côte de La Dramaout. Après des jours de marche dans le désert, il est conduit à la cité des sables. Bob Morane est un héros de fiction et La Dramaout ne pouvait qu’être qu’un pays de fiction. En fait, c’est juste une faute d’orthographe, L’Hadramaout existe bien, c’est au Yemen sud. J’ai marché dans les pas de "mon héros" de jeunesse (façon de parler, je me déplaçais en 4x4) et suis arrivé dans la cité des sables (messages 28 et 75 du post cité plus haut). La réalité rejoint la fiction et est encore plus belle. Ma signature est la marine n’est pas un métier mais une Aventure, si la spécialité de secrétaire militaire est un métier elle a été pour moi surtout une formidable fenêtre ouverte sur l’Aventure.
Dernière édition par Roger Tanguy le Jeu 8 Fév 2024 - 17:48, édité 1 fois (Raison : p'tit' faute)