Suite
La mer est grise et lisse, silencieuse et paisible.
A moins de deux cent milles, les équipages siamois reposent paisiblement, exactement du reste comme les marins de la division française qui ne sont pas de quart en ce moment. Les heures s'écoulent. A Koh Chang, les factionnaires consultent la montre qui va leur indiquer l'heure du branle-bas. Dans la marine thailandaise, la journée commence par une demi-heure de réveil musculaire. Il va être six heures, et bientôt le clairon va précipiter les dormeurs hors du hamac.
Une, deux...Flexions, extensions...
Alerte avions ! La séance de gymnastique s'interrompt brusquement à cause de nos hydravions, apparu à cette heure inhabituelle, pour une ultime reconnaissance. Les marins siamois bondissent à leurs armes et le ciel se strie de traits fulgurants.
Sur le moment, Bérenger qui allait se , voulant se trouver à portée, pesta contre l'arrivée de ce fâcheux avion qu'il n'avait pas demandé, voulant se réserver une surprise totale. Tout compte fait, le fâcheux n'était pas si fâcheux. Car, sur les passerelles des bâtiments qui se présentaient à ce moment dans les passes de Koh Chang, on ne distingua exactement rien dans la grisaille de l'aube... jusqu'au moment où les canonnièrs siamois, en ouvrant le feu, eurent clairement démasqué leurs positions. Successivement sur nos cinq bateaux, les cinq commandant ont donné l'ordre d'ouvrir le feux, sitôt reconnus les objectifs silhouettes par les lueurs de départs des coups. Il est 6h14, et nous sommes le 17 janvier 1941.
Les siamois ont fort bien tiré sur l'hydravion Loire 130 du lieutenant de vaisseau Plainemaison, qui venait si malhonnêtement troubler leur sérénité matinale. L'appareil, rapidement encadré par les éclatements de la DCA, a même dû s'éloigner précipitamment. Sur quoi, les marins ennemis ont à leur tour compris que le danger n'était pas dans le ciel en voyant se profiler vers le large les silhouettes des bateaux français, faciles à distinguer dans les passes.
Retournant à leurs pièces vers ces intrus, ils commencent à hâcher la mer des gerbes de leurs 76.
Il y a là trois ou quatre torpilleurs mouillés à proximité de l'îlot Koh Ngam. Les deux gardes côtes cuirassés, l'Ahidéa et le Dhumburi ne sont pas loin, mais ils sont encore masqués derrière une pointe. Pour l'instant, c'est le sort des torpilleurs qui se joue et ce ne va pas être bien long.
Les premières salves des avisons sont tombrées à terre, mais très vite les silhouettes imprécises au début ont commencé à se mieux détacher, et bientôt tous les coups tombent au but. Le Dumont D'urville et l'Amiral Charner ne sont plus qu'à cinq mille mètres de leur objectif. La Marne et le Tahure sont bien plus près encore puisque pour eux, par moment, la distance tombera à moins de trois mille mètres. Autant dire qu'à cette distance,n pour des bateaux qui portent du 130 ou seulement du 100, c'est une exécution pure et simple, en face des petits torpilleurs surpris au mouillage, qui, dans l'impossibilité d'appareiller pour attaquer à la torpille, n'ont que leur 76 pour se défendre. Cela ne traine pas. Successivement le Songkla, le Chonburi et le Trat sont mis en flammes et coulés.
Ils se sont vaillamment défendus. On a vu sur le Songkla l'armement d'un canon de 76 tué par notre feu, immédiatement remplacé par une équipe de volontaires. Sur le Chonburi, un veilleur posté dans le nid de pie a les jambes emportées par un obus. Il meurt en exhortant ses camarades.
A 6h50, cette première partie de l'affaire est réglée. Reste le plat de résistance : les deux gardes-côtes cuirassés qui sont justement là tous les deux, et qui sont beaucoup plus puissamment armés à eux deux que le plus fort de nos cinq bâtiments. En d'autres circonstances, l'affaire aurait pu être chaude. Elle le sera d'ailleurs par instants au cours du duel d'artillerie dont le Lamotte Picquet va être le principal acteur. Mais en fait, ce combat naval est plutôt une partie de cache-cache, car les adversaires ne peuvent parcourir plus de quelques centaines de mètres sans se masquer tour à tour derrière les îlots de la baie.
.../...
à suivre
TUR2