Bonjour, les amis.
Après notre folle nuit parisienne, pour moi, direction gare de Lyon.
Dans le train Paris-Lyon, l'affluence est telle en cette année 46 que les voyageurs sont entassés de façon inimaginable. Debout entre les banquettes dans les compartiments, debout serrés dans les couloirs, sur les plate-formes, dans les W.C., dans les soufflets. Beaucoup de militaires dans ces trains. A la hauteur de Laroche-Migenne, un petit gros, adjudant aviateur, ressent une envie naturelle qui se fait de plus en plus pressante. Il a tenu le coup longtemps mais là, il n'en peut plus. Le visage livide, il se résout à avouer son état et à tenter une expédition vers les W.C. Les W.C.sont restés ouverts, trois personnes les occupent. Malgré toutes les contorsions possibles et la bonne volonté des occupants, l'accès aux W.C. se révèle impossible. Nous sommes littéralement imbriqués les uns dans les autres, épaule contre buste, statufiés au point d'avoir du mal à relever un bras, dans l'impossibilité de bouger. Le malheureux est maintenant verdâtre, la sueur perle sur son front, la détresse se lit sur son visage. Il est urgent de trouver une solution, mais laquelle? Les deux tentatives de déblocage des W.C. ont échoué. Le train qui ne dépasse pas les soixante-dix kilomètres/heure mettra plus d'une heure pour atteindre la prochaine gare. Un soldat propose d'essayer d'ouvrir la porte du wagon. Le patient pourrait se soulager en s'arc-boutant sur le marche-pied. La solution est retenue et mise en pratique. Après moult contorsions, on réussit à ouvrir la porte donnant directement sur la voie. Le pauvre adjudant, toute dignité abdiquée, s'installe comme il peut sur le marche-pied, retenu par un épais ceinturon de cuir, celui du soldat. C'est le succès. Quelques minutes plus tard, nous voyons émerger un visage rayonnant. Le pire a été évité. Le seul dommage sera un caleçon brenneux.
Ainsi s'est passée cette année à l'école des mousses. Instruction généra;le, instruction militaire, école du soldat. Notre arme est le mousqueton, ce fusil du cavalier. Marcher au pas, en rangs, arme sur l'épaule ...droite, présentez...arme , repos, tir sur cible, etc... apprendre à tuer sans être tué comme le recommande l'instructeur. Plus facile à dire qu'à faire. En 2005, le propos peut choquer. Les militaires donnent maintenant dans " l'humanitaire". Tout le monde, il est bon, tout le monde, il est gentil. L'ennui est que ceux d'en face ne sont pas forcément des gentils. Ils nous le prouvent tous les jours, et qu'il est pour le moins dangereux de " déviriliser" une nation.
Instruction maritime: théorie et manoeuvre de la voile sur les lourdes chaloupes peu "manoeuvrantes", et par tous les temps. En timonerie, apprentissage des signaux à bras toujours en vigueur sur rade, étude des pavillons, leur signification. En manoeuvre proprement dite, la constitution des cordages, leur appellation selon leur fonction, la ligne de mouillage, les différentes chaînes, les ancres, etc...Nous avons aussi appris les chansons à virer et à hisser, de l'ancienne marine à voile: la Danaë, Tacoma, Valparaiso, Encore, vire encore...Jean-François de Nantes et d'autres... moins innocentes . Sortis des Mousses, nous avons une formation de base de militaires et de marins. Et aussi une formation morale dont nous n'avons peut-être pas encore conscience.
Dans les mois qui viennent, chacun rejoindra son école de spécialité parmi les nombreuses variantes de la marine et selon ses capacités: fusilier, canonnier, gabier, timonier, charpentier, cuisinier, secrétaire, fourrier, maître d'hôtel -eh oui- électricien radiotélégraphiste -la mienne- détecteur, etc... pour ce qui concerne le "pont". Toutes les écoles de spécialités de la "machine" ainsi que leur équivalent de l'école des mousses sont situées à Saint -Mandrier, en face de Toulon. La spécialité de radio que j'avais demandée de préférence m'a été accordée. L'école étant située dans l'île de Porquerolles, c'est donc là-bas que j'effectuerai mon stage d'études de six mois.
A plus, les amis. Cette longue description paraîtra fastidieuse à certains d'entre-vous. J'ai recopié intégralement la page de mes "Mémoires".
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