Un jour, à l'école des cuisiniers, on découvre un graffiti dans les toilettes.
Pas de quoi fouetter un chat, me direz vous.
Vous n'avez pas forcément raison.
En effet, lorsque l'on fait tomber une goutte d'eau dans une bassine pleine, l'onde se propage en cercles concentriques, en rides de plus en plus hautes, sur toute la surface, jusqu'à la couvrir toute entière.
Et c'est justement ainsi que fonctionne l’École des Fourriers.
Les élèves sont sous la responsabilité des instructeurs.
Ces derniers sont comptables devant leur chef de service de leur comportement.
Le crime abominable qui vient d'être commis ne pouvant rester impuni, la pression est mise sur ces instructeurs qui la reportent sur leurs stagiaires.
Voilà qui met la division Commissariat en effervescence, y compris son chef de service, car lui est le responsable en dernier ressort devant Monsieur le Directeur.
Moi, maître secrétaire, instructeur rattaché au BS, je regarde ces gesticulations avec le sourire.
Tout cela est si loin de moi.
Le déploiement de zèle porte ses fruits.
Le délinquant est identifié.
L'affaire pourrait en rester là. Seulement, "l'artiste" n'a pas vraiment conscience d'avoir commis une abomination.
Cela n'est rien, se défend-il, à côté du quartier-maître fourrier qui, au réfectoire, est monté sur la table, a baissé son pantalon et fait profiter du spectacle la noble assistance.
Oui mais, dans les "hommes" du rang, il y a maintenant des filles (pas beaucoup à l'époque).
Là, on monte d'un coup de trois niveaux sur l'échelle de Beaufort.
La tourmente gagne la division Fourriers.
Son chef, à son tour, s'inquiète.
Voilà son service sur le devant de la scène, non pas dans l’œil du cyclone mais, bien pire, dans celui de Monsieur le Directeur.
Qui a commis cette abomination ?
Agitation fébrile.
"L'exhibitionniste" est lui aussi identifié.
Une fois de plus, l'affaire pourrait s'arrêter là.
Oui, mais ici on prend plaisir à battre les œufs en neige.
Ce réfectoire est surveillé par un élève BS, n'est-ce pas ?
Puisque ce surveillant n'a rien signalé, c'est qu'il a forcément failli !
Encore une faute (grave évidemment) qui ne peut rester impunie.
La chenille redémarre, nouvelle enquête pour connaître le jour exact du forfait, le personnel de service, nom, grade, spécialité du surveillant.
Voilà le service intérieur impliqué, et avec lui, le CSI, qui alerte le directeur adjoint, qui en parle au directeur.
Cela prend l'allure d'une affaire d’État.
Le BSI a ses archives.
Qui était de service ?
Les BS secrétaires !
Là, l'orage gronde au-dessus de ma tête.
Les cuisiniers, les fourriers, le service intérieur, étaient déjà dans le bain, rajoutons les secrétaires et portons le tout à ébullition.
L'ouragan on l'a déjà, il va falloir maintenant passer sur l'échelle de Richter pour mesurer l'intensité du séisme.
Ça tremble à tous les niveaux.
Les chefs de services sont sur le grill.
L'élève BS est identifié à son tour.
On lui demande un rapport.
Il répond qu'il y a deux réfectoires à surveiller, qu'il a fait les cent pas de l'un à l'autre, que le QM fourrier a certainement attendu qu'il ne soit plus dans son réfectoire pour accomplir son geste.
Il n'a rien vu, personne n'en a parlé, ni à lui ni à personne, et puis c'était il y a si longtemps.
Simple blague de potaches.
Pas de quoi en faire un plat.
Il ne fera donc pas un rapport sur quelque chose dont il ignore tout.
Point final (du moins vu de son côté).
Pas bien, pas bien.
Voilà un entêté qui met une entrave au bon fonctionnement de l’École.
Rien de moins.
Intolérable !
Le ton monte.
Le pauvre garçon est un peu malmené (verbalement).
Ce mauvais coucheur a bien un chef pour lui faire entendre raison.
Et me voilà convoqué devant le directeur adjoint !
Avarie de sourire.
Ceci dit, ce n'est pas le genre de truc non plus qui va me donner un ulcère à l'estomac.
Je déborde rapidement cette histoire à la gaffe.
Le soufflé retombe.
Voici comment un graffiti insignifiant fait monter la pression à tous les niveaux, met en ébullition tous les services et perturbe la sérénité de l’École.
Au final, comme toujours, la montagne accouche d'une souris.
En attente de la prochaine foutaise.
Cette anecdote est racontée sans méchanceté, aucune.
Qui aime bien châtie bien.