Il est prévu que le lendemain, les deux bateaux embarquent des torpilles : torpilles d'exercice pour la Flore ; exercice et combat pour nous.
Les torpilles de combat arriveront de la Pyro en début d'après-midi transportées par chaland .
Le lendemain matin après l'appel de 08h00, nous démontons le poste AV : tables, banquettes, plaques de parquet, tout ce qui nous gêne est viré sur le quai.
Glissières berceaux et palans sont mis à poste, les RP (1) sur deux écrous, le mât et le berceau d'embarquement ainsi que le guindeau sont mis en place.
A 09h00 pétantes nous sommes parés, grutier à son poste, nous attendons la première grenouille.
Notre équipe est très bien rodée, chacun sait ce qu'il doit faire, pas besoin de parler pour ne rien dire au Poste AV, Jakez le patron Torp, debout dans le réduit des lavabos, commande palans et guindeau et donne ses ordres au cas où.
Pour ma part, je m'occupe du branchement de la torpille sur la porte culasse du tube (opération très délicate, car elle conditionne l'isolement de la torpille quand le tube sera mis en eau : si opération mal faite : isolement mauvais : torpille à ressortir avec les compliments du jury !!!) de la mise en place du couteau (2) du retrait du joug qui entrave les hélices et enfin je guide la remise à poste du RP sur deux écrous.
Les autres écrous ainsi que le biberonnage (3) seront mis en place à la mise en eau des tubes embarquement terminé.
Sans problème, nous mettons une torpille au tube toutes les 20 - 25 minutes maximum.
Bien que l'embarquement aux tubes AR pour les torpilles courtes soit un peu plus folklorique, nous n'aurons pas "d'heures sup" à effectuer !!!
La première torpille d'exercice arrive de l'AMT, cet atelier est situé sur le quai perpendiculaire au nôtre à 300-400 mètres de notre poste d'amarrage.
Elle est sanglée sur un chariot de transport tracté par un Fenwick dont la conduite a été confiée au célèbre "Building". "Building" !!! ce surnom lui va comme un gant !!! le personnage est doté d'une stature imposante, je dirais même plus qu'imposante : il dépasse largement le quintal sur la balance, mais sa gentillesse et son envie de rendre service sont proportionnelles à sa corpulence, toujours de bonne humeur et la mine radieuse ; un bon gros !!! une bonne pâte !!!
- Salut patron !! elle est pour vous !!! me lance-t-il avec un grand sourire en dételant son chariot.
- Merci mon garçon !!!
Il repart dare-dare à l'AMT chercher la suivante pour la Flore. Mais l'AMT, c'est comme l'Administration : il ne faut pas les bousculer... elle fait traîner les choses.
Quand enfin il revient, il se fait houspiller par les gars de la Flore.
Il dételle le chariot portant la torpille et repart avec celui que nous avons libéré.
Notre première torpille est dans le tube, porte verrouillée et RP à poste, nous attendons la seconde depuis cinq bonnes minutes, elle arrive enfin et le pauvre garçon se fait carrément agresser par nos gars sur le pont :
- Hé le gros !!! va falloir te manier le c.l !!! on va pas passer notre vie à t'attendre !!! on a autre chose à faire !!!
- C'est pas ma faute !!! implore-t-il, c'est l'AMT qui se bouge pas !!!
- On s'en branle !!! tu n'as qu'a les secouer ces fonctionnaires !!!
Il repart pour un autre tour tractant un chariot vide, lorsqu'il revient avec la deuxième torpille de la Flore, il est dans les temps, ils n'ont pas attendu longtemps.
Il attelle le chariot vide et redémarre plein pot, pied au plancher vers l'AMT.
Notre deuxième torpille est au tube, on attend la troisième mais elle n'arrive pas !!!
Nous en profitons pour monter sur le pont fumer un tabac.
A l'angle du quai vers l'AMT nous apercevons un groupe de cinq ou six personnes.
La torpille n'arrivant pas nous allons aux nouvelles par curiosité et nous nous dirigeons vers ce groupe d'où s'échappent de grands éclats de rire...

(1) RP : refouloir pneumatique qui pousse la torpille hors du tube au moment du lancement.
(2) Couteau : système mécanique qui plaque le câble de la torpille contre la paroi du tube en le bloquant ce qui permet d'écourter le câble au lancement.
(3) Biberonnage : chaque tube a son coffret de biberonnage qui n'est ni plus ni moins qu'un petit chargeur de batterie qui délivre un courant d'entretien pour la batterie de la torpille. La tension variant suivant le type de torpille.

Building conduisait à fond la caisse juste au bord du quai pour rattraper son retard, il a vu le convoi faire un "à gauche toute" et plonger dans la darse : tout a disparu sous la surface puis building a émergé en se débattant comme un beau diable tout en gueulant au secours car comme de bien entendu il savait à peine nager !!!
Lui ayant balancé la bouée couronne que tous les bateaux ont accrochée à la rambarde de la cathédrale , le factionnaire se saisit d'un lance-amarre dans un panier à aussières et vole à son secours en rameutant le voisinage pour obtenir de l'aide.
Avec son lance-amarre, il ne peut que maintenir Building en surface, vu le poids de "la bête" il ne peut le hisser sur le quai...
Le salut viendra de l'AMT, avec une sangle, le naufragé est ramené à l'angle des quais, et les cinq ou six bonshommes accourus et morts de rire le sortent de la fange dans laquelle il patauge ; on sait bien que tous les résidus de gas-oil, de fuel et toutes sortes de saloperies s'accumulent et stagnent dans les angles de quai.
Building tout dégoulinant et plein d'aplomb affirme que tout cela n'est pas trop grave, car il a eu le réflexe de couper le contact !!! il s'inquiète beaucoup plus pour son bachi qui ne réapparaît nulle part !!!
L'urgence est de récupérer le matériel !!!
"Le Papou" (John Urima originaire de Tahiti) arrive revêtu de sa tenue de plongée ; bouteilles sur le dos, palmes et masque à la main, il est accompagné d'un autre plongeur ; ils vont descendre faire une reconnaissance en attendant l'arrivée d'une grue automotrice... et surtout récupérer le bachi de Building !!!
Un nouveau Fenwick est affrété, un nouveau conducteur prend les choses en main avec consigne de "lever le pied" et les livraisons de torpilles reprennent...
Nous rejoignons nos bateaux pour continuer le travail...
Nous ne pourrons donc assister au "repêchage du convoi" effectué en présence des Hautes Autorités de la Base et des nombreux spectateurs avertis par le "téléphone arabe" qui fonctionnait à cette époque aussi bien sinon mieux que les Iphones et autres Smartphones actuels...
Je n'ai pas eu connaissance de la suite des évènements : nous étions repartis en mer.
Je suppose que Building devenu une "figure" de Missiessy grâce à ce "haut fait" d'armes, a eu droit à une séance de trapèze dans le bureau de notre cher Titus notre Officier de Détail bien aimé dont les Anciens se souviennent avec nostalgie... Titus ???... un poème !!!