En 1975, je suis Commandant depuis 10 ans dans la Marine Marchande, et je suis convoqué au Bureau du Capitaine d'Armement.
Comme j'ai beaucoup navigué en Extrême Orient, j'apprends que je suis affecté sur un cargo de 10000 tonnes qui est affrété pour partir au Viet Nam avec des médicaments, vivres, nourriture, vêtements etc...
Cette mission doit rester discrète, et j'apprends que je vais devoir me débrouiller pour partir sans beaucoup d'argent, pas beaucoup de soutes, ni de vivres, et aucune carte après le canal de Suez.
Je commande les cartes au Service Hydro, et les reçois à Suez ou je peux faire des vivres frais.
A Aden ils ne veulent me donner des soutes que contre argent cash.
Je le promets sachant que je ne pourrai le faire.
Je suis étonné qu'ils ne me demandent pas d'avantage de garanties, et les soutes vivres et cigarettes me sont livrés.
A cette époque le Port d'Aden est un lieu d'exercice et de casernement pour la marine soviétique.
Ambiance délicate !!!
Au moment de payer, je mets mon cachet "Paid by owner".
Grosse colère, mais que faire...!!!
Je les assure qu'ils seront payé, et ils me laissent partir !!!
Je pousse un ouf de soulagement, car je m'attendais à être saisi au moins quelques jours.
Route sur Saigon.
J'ai envoyé plein de messages en graphie et n'ai reçu aucune réponse.
Les Américains viennent de partir, et personne ne sait ce qu'il se passe dans ce pays.
L'approche est délicate, car il n'y a aucun phare ni radiophare... rien
J'arrive au petit matin après le point d'étoiles.
Nous arrivons en allure réduite, et des guetteurs sont sur l'avant en cas de mines.
Le cap St Jacques apparait, mais rien ne bouge.
Mes appels en VHF restent vains.
Il y a des épaves, et je mouille après m'être assuré de la sécurité de l'endroit.
Je n'ai pas de pavillon Vietnamien...!!!
Les heures passent.
Vers Midi des vedettes de l'Armée ou de la Marine quittent l'embarcadère et s'approchent de nous de chaque coté avec à bord un sérieux nombre de soldats Nord Vietnamiens, casqués, armés.
Une vedette accoste l'échelle de coupée.
Des "autorités" montent à bord immédiatement suivis par des soldats, qui vedettes après vedettes occupent tous les espaces du bord.
Visiblement personne n'est au courant de notre arrivée et je suis interrogé sans ménagement tout en montrant les documents du bord.
Tout est mis sous scellés. cartes, documents, passeports, local radio, chambre des cartes etc...
L'équipage, hormis les gens de service sont consignes dans leurs cabines et un "Bo Doi" en arme est affecté à ma garde.
Bien évidemment je proteste en expliquant le pourquoi de ma venue avec un Chargement complet de dons, mais rien n y fait.
D'ailleurs ces militaires commandés par un Officier que je vais surnommer "sourire d'acier" ne parlent que les langages du Nord Vietnam.
Seul le Pilote, un Sud Vietnamien qui a fait comme moi l'Hydro du Havre peut me parler en faisant semblant de m'expliquer des termes techniques de navigation pour la rivière de Saigon.
Je fais monter mon déjeuner et celui du Pilote sur la passerelle, sous la vision sévère des troufions en armes qui garnissent la passerelle et les ailerons.
Le Pilote me demande de lui servir rapidement un coup de rouge, car me dit il, ils ne savent pas ce que c'est et ils vont m'empêcher d'y revenir.
Ce qui fut exact.
Pour moi, ils n'osèrent pas m'enlever ma carafe de rouge !!!
Je m'étais mis en grand uniforme blanc, et il ne me manquait que le sabre !!! visiblement j'avais bien fait.
La remontée de la rivière se fait difficilement au milieu des épaves de navires américains, et nous accostons à Saigon.
Là, la situation devient nettement plus tendue.
Personne ne comprends ce que je viens faire là, ni à quoi correspond ce chargement.
A leurs yeux je dois payer les frais portuaires et les frais de manutention.
Or je n'ai ni représentation diplomatique, ni consignataires de navires.
Ils font ouvrir les cales et voient quelques cartons abimés.
C'est aussitôt des insultes pour un chargement mal livré.
Sourire d'acier est toujours là, et ne va pas me quitter pendant 8 jours.
Je suis consigné dans ma cabine avec interdiction d'avoir aucun rapport avec les officiers et membres de mon équipage, sauf cas spéciaux et ça ne manquera pas.
Je n'ai pas le droit de sortir de mes appartements.
L'officier Radio va outrepasser ces ordres, il se rends sur le pont et fait un beau sourire à une jeune Vietnamienne qui passe sur le quais... et c'est un vrai conseil de guerre qui va statuer de la gravite du cas.
J'engueule copieusement le radio qui est à l'origine de ce nouvel emmerde dont je me serais bien passé.
Bref, après des heures de palabres en javanais mêlé de Pidgeon, on arrive à se calmer.
Je n'ai presque plus de vivres mais les shipchandlers ont disparu.
La nouvelle monnaie le DONG devient pour moi à parité avec le US $ !!! le kilo de bananes revient donc au poids de l'or.
Là aussi mes revendications sont ignorées.
Ils ont vu qu'en tant que Cdt, j'étais Français, de la classe 52 et les doutes me concernant sont visibles.
Bref, je n'ai pas la cote !!!
Je ne sais ce que sera l'issue de cette escale, mais je me doute qu'en Europe quelqu'un finira bien par s'inquiéter du navire !
Au bout de 8 jours, je vois arriver un officier supérieur qui porte les insignes de médecin, et qui frappe à ma porte avec un grand sourire.
Avec un excellent Français il me dit "avec un nom comme ça vous êtes Breton"... et il décline son CV.
C'est un médecin Sud Vietnamien qui a fait ses études de médecine à Rennes, et s'est enrôlé dans le Viet Minh d'abord, et dans le Viet Cong ensuite.
Il rentre de Bretagne où il est allé remercier ses anciens condisciples qui l'ont aidé à soigner dans les maquis.
Soudain tout s'arrange.
J'ai pu tout expliquer et lui même est au courant de ce voyage.
Les militaires quittent le bord.
L'équipage pourra en car visiter Saigon, et moi même je peux me promener... mais avec une patrouille 10 mètres devant moi, et une autre a 10 mètres derrière.
Les Chars que nous avons tous vu aux Infos devant les édifices principaux sont toujours là, et l'ambiance n'est pas des plus joyeuses.
Je suis me dit on, le premier occidental à entrer dans le port de Saigon depuis le départ des Américains.
Le bruit a couru dans tout Saigon qu'il y a un Commandant Français sur un navire dans le port.
Aussi, bravant les soldats, les gens créent des groupes qui viennent vers moi et me bousculent pour me remettre sans attirer l'attention, des petits mots avec des adresses et téléphones de gens que je dois contacter en France.
Je vais passer plusieurs jours à Marseille a cet exercice.
Je deviens tout à coup l'hôte des officiers Nord Vietnamiens qui m'entrainent le soir dans une caravane de voitures de luxe abandonnées par les Américains jusqu'à Cholon pour des diners beuveries ou je ne me sens pas vraiment bien !!!
Je leur en fait la réflexion, ce à quoi ils me répondent, que c'est bien à leur tour "d'en profiter".
Les Chinois, propriétaires des restaurants parlent le Français, et je peux avoir quelques mots avec eux.
Ils sont terrorisés, mais doivent servir à la demande et gracieusement les vainqueurs.
J'ai hâte de quitter ce port et cette ville rebaptisée Ho chi minh ville, après un nostalgique tour vers le lycée Français et la rue Catina.
Avec le médecin et la croix rouge, je peux avoir quelques rares vivres, mais je n'ai pu avoir aucune assistance technique, or un des radars est en panne et le gyro a rendu l'âme.
Je m'en fiche, il faut partir vite, avant que le vent ne retourne, peut être.
J'appareille sur Shangai en pleine révolution culturelle, mais où je vais pouvoir engager ma cargaison pour obtenir vivres et soutes de qualité... mais ceci est une autre histoire...
Aurais je le courage de me relire ???
Alors vous corrigerez vous mêmes les fautes de syntaxe et d'orthographe (simplement souvent de simples fautes de frappe).
Alain CONNAN matelot radariste.