Bonjour
Ma petite contribution à l'enrichissement de la documentation sur le Commandant de pimodan
Amicalement à tous
Loïc
Article rédigé le 23/02/2019
L’arraisonnement de l’ATHOS et ses conséquences politiques
On parle assez peu du rôle primordial et méconnu de la Marine Nationale pendant la guerre d’Algérie. Elle ne s’est pas illustrée par des combats navals retentissants mais a effectué dans les eaux territoriales une surveillance maritime qui a sécurisé les 1000 km des côtes algériennes avec des moyens limités composés de 4 avisos coloniaux rentrés d’Indochine et 4 flottilles de l’aéronautique navale.
Pendant 18 mois à bord du Commandant de Pimodan nous avons vécu, la plupart du temps, en quasi vase clos. Nous formions une grande famille repliée sur elle-même et fréquemment isolée du monde extérieur. Elle s’est prolongée, pour certains, à travers des liens d’amitiés qui durent encore aujourd’hui à travers nos enfants.
La réussite des missions imposait la suspicion permanente, c'est-à-dire devoir toujours se demander si la position et la route d’un bâtiment étaient normales.
Sans la collaboration du Service de Documentation Extérieur et de Contre-Espionnage(SDECE) qui nous informait des cibles potentielles, jamais la marine n’aurait pu réussir l’intégralité de ses missions.
L’arraisonnement de l’Athos est la meilleure démonstration de l’importance de la coopération entre la marine et le SDECE.
Il n’est pas le fruit du hasard mais l’aboutissement d’une longue enquête sur les territoires Égyptien, Marocain, Anglais et Libanais qui a permis de déterminer le nom du navire, la nature de la cargaison et la date de départ. Les documents disponibles sur ce sujet sont insuffisants pour avoir une certitude absolue de l’exactitude de son déroulement. La version que je vous propose est celle qui semble, à partir de ces publications, la plus logique. C’est le FLN qui a désigné Nicolas Cocavessis comme l’informateur et l’a condamné à mort. Mais je n’ai trouvé aucune preuve formelle qui confirme que c’est lui qui a fait cette transmission, ni qu’il appartenait à des services secrets. Il y a peut-être une autre vérité que l’on ne saura sans doute jamais.
En 1955 Ben Bella est exilé en Égypte et chargé de l’approvisionnement en armes des combattants du FLN. Son action est de plus en plus contestée par les chefs de l’intérieur.
Il est urgent qu’il fasse une opération de grande envergure pour reprendre la main. Ben Bella est le seul homme du FLN avec lequel Nasser entretient des relations amicales. Il décide de venir au secours de son ami.
Il nomme le major Fathi Ed-Dib, chef de la section Afrique du Nord des services spéciaux égyptiens pour monter l'opération. Celui-ci le fait avec beaucoup de précautions pour éviter l’implication du Raïs.
Il recrute en 1955 un commerçant-armateur Ibrahim En-Nayal qui sert de couverture pour des opérations de services secrets égyptiens. Ce dernier passe au nom de l'Égypte à la Fabriqua Nazionale di Arme une commande de 80.000 dollars représentant 1000 mitraillettes, 6 canons antiaériens, 360 fusils et les munitions afférentes.
Il achète ensuite en Angleterre, surveillé par Fathi Ed-Dib, un yacht de 18 millions, le Saint Briavels, qu'il conduit à Beyrouth. Le 19 septembre 1956 il y retrouve Ben Bella pour une visite du navire qu’ils rebaptisent “L’ATHOS“.
Par prudence l’équipage égyptien est débarqué et remplacé. Pour éviter les soupçons tous les nouveaux membres d’équipage doivent être européens. Le commandant est grec et se nomme Vassilief, de même que le radio Nicolas Cocavessis.
L’Athos quitte Beyrouth pour Alexandrie le 19 septembre.
Le 4 octobre au matin (sur certains documents il est indiqué la date du 2), l'Athos est chargé de sa cargaison par une cinquantaine d'hommes en civil surveillés par des officiers et sous-officiers de l'armée égyptienne. Il quitte Alexandrie vers 23 heures pour livrer son chargement à Boudiaf responsable de la Wilaya V. L'itinéraire du navire est d'éviter les eaux françaises et de se rendre à Melilla, près de Nador en territoire espagnol où le FLN a installé ses bases et ses dépôts.
Six passagers algériens spécialistes du sabotage et des liaisons radios et formés par l'Égypte font partie du voyage.
L’information du départ est transmise par Nicolas Cocavessis aux autorités Françaises.
Sa réception enclenche immédiatement les recherches aéronautiques et maritimes.
L’Athos est repéré le 14 octobre par un avion Catarina de la base aéronavale qui fournit aux 3 navires d’interceptions sa position et direction.
Le 15 octobre au matin les 3 navires de recherche le repère et entament une poursuite discrète.
C’est à cet instant que je prends part en tant que détecteur radar à cette poursuite.
Mais avant de poursuivre il faut savoir que la spécialisation “détecteur radar“ n’existe que depuis quelques années et que les officiers de la Marine Nationale ne sont pas, à cette époque, tous convaincus de son utilité permanente et encore moins qu’un matelot puisse mettre en doute ce qu’ils observent depuis la passerelle.
Toute la journée du 15 se passe normalement, mais les choses se compliquent lorsque je reprends mon quart à minuit. L’écho radar ne présente aucune des caractéristiques de celui de l’après-midi. J’en informe l’officier de quart qui me répond que mon radar n’est certainement pas bien réglé et qu’il n’y a pas de doute sur l’objectif suivi. Loin de me formaliser je rappelle la passerelle pour leur demander de consigner mon observation sur le cahier de bord et la faire remonter au Pacha. Je précise, le radar est en parfait état de marche et le navire que l’on suit n’est probablement pas l’ATHOS. J’ai dans un premier temps l’impression que ma requête surprend l’officier de quart et n’est guère appréciée. Mais après je me rends compte que mon insistance a installé le doute dans son esprit. Après m’avoir rappelé que j’en prenais l’entière responsabilité, il accepte de prévenir le commandant. Ce qui signifiait qu’il fallait mieux pour mon matricule qu’il ne le réveille pas pour rien. Cinq minutes plus tard le commandant est devant le radar et il est rapidement convaincu. Il donne l’ordre de s’approcher au plus près du navire que l’on suivait tous feux éteints pour une identification visuelle. Je respire mon intuition est confirmée.
Où est passé l’ATHOS ?
Sur l’écran radar 2 navires situés à une dizaine de nautiques présentent des caractéristiques compatibles avec notre objectif. L’un deux était-il l’Athos ?
La chance est cette nuit avec nous car notre premier choix est le bon. Nous ne lâcherons plus l’Athos jusqu’à son arraisonnement.
Le 16 à la levée du jour, l’Athos s’est rapproché des côtes algériennes mais il reste dans les eaux internationales, sa trajectoire est louvoyante et indécise, visiblement il ne connaît pas sa position exacte. La visibilité réduite par le brouillard l’empêche de se repérer avec précision. Il hésite à changer de cap pour rejoindre la côte.
Il apparaît à cet instant très clairement qu’il ne compte pas déposer sa cargaison en Algérie et qu’il s’interroge pour savoir s’il a bien dépassé la frontière entre l’Algérie et le Maroc avant de s’engager vers la côte.
Du radar on voit que la frontière se rapproche et que si l’Athos ne change pas rapidement de cap l’interception ne sera peut-être plus possible. Il est 3 heures 45, dans une demi-heure il sera trop tard.
A 4 heures du matin il met brutalement cap au sud et entre sans le savoir dans nos eaux territoriales pour rejoindre sa destination finale Melilla (qu’à l’époque on ignorait). L’ordre d’arraisonnement nous parvient immédiatement, il nous reste peu de temps pour agir.
La mer est calme et le brouillard favorise la discrétion de notre progression. Lorsque les occupants du navire nous aperçoivent nous ne sommes plus qu’à quelques centaines de mètres.
Le capitaine de corvette Jacques Goursaud leur donne l’ordre de stopper. L’exécution fut immédiate. Aucune résistance.
17 hommes furent désignés pour monter à bord sous la conduite du lieutenant de Vaisseau Muracciole : maître Brelivet, second maître Rivière, quartiers maîtres Pignatel, Saray, Grevel, Matieu, Boutet, Sandras, Defornel et des matelots Olive, Mayans, Gherx, Place, Guéguéniat, Vayer et Fossoux.
L’équipage et les passagers furent ensuite transférés sur le Commandant De Pimodan pour être interrogés par notre commandant. D’après les marins montés à bord de l’Athos il semblerait qu’un régime de terreur y régnait et qu’un vieux marin Grec terrorisé était très content de notre arrivée qui lui sauvait sans doute la vie. S’agissait-il de Nicolas Cocavessis. Je ne saurais le dire.
Je ne me rappelle pas avoir vu ce jour-là les 2 autres navires de recherche. Avaient-ils arrêtés la recherche ou s’étaient-ils faits leurrés pendant la nuit ? Dans ce cas de figure, il est possible que l’Athos nous ait repéré et se soit dissimulé derrière un autre navire pour échapper, tous feux éteints, à notre vigilance et expliquerait l’incident de la nuit.
Je ne me souviens plus exactement du contenu de la cargaison. D’après Historia Magazine il y aurait eu 72 mortiers, 40 mitrailleuses, 2300 fusils, 74 fusils mitrailleurs, 240 pistolets mitrailleurs, 600.000 cartouches et 2000 obus de mortier. Cargaison bien supérieure à celle achetée en Italie. Je n’ai jamais su la provenance de ces compléments. Toutes les armes ont été chargées à Alexandrie.
L’Athos est la seconde prise de notre navire. Avant il a capturé le “FURY“, un navire qui faisait le trafic de cigarettes entre Tanger et Alger. Malheureusement à l’arrivée les cigarettes avaient disparu et avec elles les profits puisque d’après la loi maritime le navire arraisonné et sa cargaison appartiennent à l’équipage.
En conséquence, certains ont cru à tort qu’ils allaient disposer d’un butin estimé à 600 millions francs de l’époque (équivalent à environ 3.5 milliards d’euros en 2019) (En 1956 le salaire moyen mensuel des français était d’environ 5000 anciens francs ou 500 nouveaux francs soit l’équivalent de 70 €. Malheureusement une cargaison d’armes reste la propriété de l’État. Par contre la vente de l’Athos revient à l’équipage. J’ai reçu plusieurs années plus tard la somme d’environ 20 nouveaux francs de la marine. Cette somme provenait-elle de la vente de l’Athos ou du Fury, ou d’autre chose ?
Persuadés que la vente de ces armes nous revenait, beaucoup d’entre nous ont voulu marquer l’évènement par un souvenir inoubliable, un trophée qu’ils pourraient montrer fièrement « une baïonnette des fusils de la capture ». Objet qu’ils ont emmené avec eux lors de leur première permission en France depuis notre arrivée fin 1955 en Algérie.
Quelques temps plus tard nous avons vu à notre grande surprise arriver la gendarmerie maritime qui voulait nous inculper de vol et trafic d’armes. Après explications et négociations avec notre commandant, il fut décidé qu’aucune sanction ne serait prise si toutes les baïonnettes étaient rendues. Cela nous valut d’avoir une seconde permission pour aller les récupérer.
Au moment de l’arraisonnement on était loin de penser comme je le fais aujourd’hui que l’arraisonnement de l’Athos a contribué à façonner l’histoire de l’Algérie.
La prise de l’Athos porte un coup fatal à Ben Bella. C’est un fiasco complet. Il doit vite réagir pour ne pas disparaître de la vie politique algérienne.
21- 22 octobre (soit 6 jours plus tard): En compagnie de Khider, ancien Député MTLD, Hocine Aït Ahmed envoyé du FLN auprès des Nations- Unies à New York et Mohammed Boudiaf, responsable de la logistique du FLN, il rencontre le Prince Héritier Hassan pour négocier avec lui une nouvelle livraison d'armes tant les besoins de l'ALN (Armée de Libération Nationale) se font pressants.
Ils se rendent ensuite avec Hassan auprès du roi Mohamed V afin qu'il veuille bien revendiquer comme sienne la cargaison de l'Athos. Sans succès.
La carrière politique de Ben Bella semble à cet instant très compromise et peut être déjà terminée.
Pourtant quelques heures plus tard, le détournement sur Alger de l’avion qui l’emmenait à Tunis et son arrestation contestée produit l’effet inverse.
De personnalité en totale perdition, il devient spontanément pour la population algérienne le héros de sa révolution.
Après l’indépendance, il est libéré et deviendra le premier Président de la République Algérienne.
Si l’Athos n’avait pas été arraisonné, Ben Bella n’aurait pas rencontré Mohamed V le 22. Le roi ne lui aurait pas proposé de l’emmener dans son avion personnel pour assister à la réunion au sommet du Maghreb à Tunis. La France n’aurait pas protestée, obligeant le roi à renoncer à l’emmener. Incident qui a contraint Ben Bella à prendre le vol qu’il n’aurait jamais du prendre.
Sans l’arraisonnement de l’Athos, l’histoire Algérienne aurait-elle été la même ?
Loïc Gauthier
Quartier maître détecteur du Commandant de Pimodan de fin 1955 à juillet 1957
Remerciements
Merci à Alain le fils du Premier Maître mécanicien Hardy pour l’abondante documentation qu’il m’a transmise.